Il y a peu de temps, alors que je regardais les statistiques de fréquentation de Zone Jeu, j'ai eu une révélation : avec ses deux années d'existence et son équipe de bénévole plus ou moins présente, Zone Jeu est actuellement devenu plus important en terme de lectorat que le magazine Joystick, pilier de ma propre éducation vidéo-ludique il y a bien des années de cela. Certes, il n'est pas possible de comparer un blog comme le nôtre à un magazine de plus de 15 ans, et cet édito n'est définitivement pas dédié à de l'auto-congratulation mais plutôt à une question : le déclin d'un magazine comme Joystick est-il un symbole apocalyptique pour toute la presse écrite dédiée aux jeux vidéo ?
Il était une fois le papier
Il y a bien longtemps, la presse écrite régnait en maître sur l'information vidéoludique internationale. A l'époque, Internet n'était pas assez répandu dans les foyers pour être un réel concurrent, la radio ne s'intéressait guère à ce loisir encore trop niche, et la télé, malgré quelques tentatives d'émissions et chaînes dédiées, voyait (et voit toujours) les jeux comme des concurrents, et se refusait donc à en parler plus que nécessaire. C'est donc par des magazines comme Player One (dont l'histoire est racontée dans les excellentes Chroniques de Player One), ou encore trois pionniers qui sont encore debout, à savoir Consoles +, Joystick et Joypad.
Au fur et à mesure que les jeux vidéo devenaient un loisir grand public et accessible à tous ou presque, de nombreux autres titres sont apparus, et tout autant ont disparu, mais les publications de référence restaient les mêmes. C'est une lame de fond bien plus importante qui a frappé ces piliers de la presse informatique : Internet. Au fur et à mesure que le web allait de l'avant pour devenir le principal média de communication dans le monde occidental, l'information "gratuite" des sites web a porté un sévère coup à la presse papier qui arrivait de moins en moins à proposer de réelle plus-value à ses lecteurs. Déjà à l'époque, certains s'étaient essayés à une savante coopération entre les deux médias, à l'image de Joystick et le célèbre site Joystick.fr qui proposait des services de jeux multijoueurs aux lecteurs avant d'être malheureusement fermé. Ajoutez à toutes ces difficultés des manoeuvres financières pas toujours judicieuses (le rachat de Hachette Presse par Future Publishing qui a mené à la démissions des équipes de Joystick et Joypad qui partirent par la suite former Canard PC et Gameblog), et on peut dire qu'il y a 10 ans de cela, la presse papier a raté le coche, et au moment où d'autres pays se préparaient à encaisser le coup, les magazines français commençaient à couler.
La mort de la presse écrite n'est pas l'apanage du jeu vidéo, et on peut dire que ce décès "programmé" aura fait couler beaucoup d'encre, mais malgré mon amour du papier, je n'y crois pas vraiment, et ne vais certainement pas pleurer pour les magazines qui tombent. S'il y a parmi vous d'anciens lecteurs du Joystick des grandes heures, je vous conseille de faire une expérience toute simple : allez dans un kiosque, et achetez un numéro du Joystick actuel. Le résultat est flagrant : à peine plus de 100 pages, dont environ 10% de publicité, des news et test qui paraissent bien après ce qu'on peut voir sur le net, et un prix qui n'a cessé d'augmenter : près de 7€ actuellement. Effectivement, les solutions et guides pour divers jeux restent intéressants, mais est-ce que cela en vaut vraiment le prix ? Je ne pense pas. Dans ce cas, alors, quel est l'intérêt de dépenser de l'argent pour acheter un magazine ?
Il est bien dommage de voir cela arriver, mais je ne pleurerai pas sur le déclin d'un magazine qui m'a pourtant bercé pendant près d'une dizaine d'années, et pour une simple raison : je le comprends, mais Joystick n'est pas représentatif de la presse écrite vidéoludique en générale.
La nouvelle génération
Malgré tout ce que j'ai écrit au-dessus, j'aime la presse écrite et celle-ci est partie intégrante de mes moyens d'informations sur le jeu vidéo. Ainsi, je suis abonné depuis plusieurs années à Canard PC ainsi qu'à l'anglais Edge, et achète quand je le peux les magazines Games TM (anglais également) et IG. Pourquoi ? La réponse est simple : parce que je ne le regrette jamais. Ces quatre publications ont compris une chose fondamentale dans l'industrie de l'information : pour survivre à Internet, il ne faut pas combattre ce média sur son terrain, mais apporter quelque chose de plus au lecteur. Lorsque j'ouvre Canard PC, je sais que je vais y retrouver des news sur lesquelles je ne serai pas forcément tombé avant sur le net, des tests sans concessions, des dossiers thématiques profonds, et surtout une équipe rédactionnelle pleine de personnalité et indépendante. De son côté, le petit IG qui a dépassé il y a peu la barre des 10 000 exemplaires vendus chaque deux mois, joue sur l'aspect "artistique" du jeu, sur des dossiers thématiques longs (parfois trop) et étudiés, et ne dispose d'aucun affichage publicitaire. Côté anglais, Edge présente le monde du jeu vidéo d'un côté professionnel et négocie ses exclu souvent plusieurs mois avant les publications web.
La raison pour laquelle je continue d'acheter régulièrement ces publications est que j'y trouve des choses que je ne trouve pas sur Internet. Et là est pour moi la leçon que de nombreux éditeurs de presse n'ont pas compris : l'industrie de la presse fonctionne selon la loi de Darwin, la survie de ceux qui arrivent à s'adapter. Et je ne parle pas ici d'une adaptation de forme, d'un changement de formule graphique, d'opérations publicitaires ou bien d'une application iPhone ou iPad, non, je parle ici de ce qui compte vraiment : une adaptation du contenu. Des millions de lecteurs sont prêts à mettre la main au porte-monnaie pour trouver dans un magazine ou un journal des informations qu'ils ne trouvent pas ailleurs, mais si c'est pour fournir du contenu clôné déjà disponible depuis longtemps sur le web, à quoi bon ?
L'iPad, sauveur auto-proclamé de la presse écrite qui ne sera probablement qu'un buzz éphémère
Conclusion : L'Apocalypse attendra
Malgré un début difficile, ce billet sera doté d'une conclusion positive : la presse écrite de jeux vidéo n'est pas en danger, elle a juste besoin, dans son ensemble, d'un bon coup de pieds dans l'arrière-train pour s'adapter et se remettre en place. Comme pour tous les grands changements structurels, il y aura probablement des pertes, et je serais ennuyé de voir disparaître des magazines qui ont bercé mon enfance, mais c'est là la loi de Darwin : seul le plus adapté survivra. Plusieurs publications françaises ont déjà prouvé qu'elles pouvaient avoir du succès en proposant un contenu original et en coopérant avec le web plutôt que de se battre contre lui, espérons que les autres comprennent et suivent le même chemin !
Note : La plupart des chiffres de la presse écrite peuvent être trouvés sur OJD.com