Clair.
Voici un mendiant. Un bon, qui connaît son métier: il se place dans un endroit où l'on est obligé de le voir, mais sans gêner le passage. Il n'est pas trop sale et sait trouver un regard à la fois clair (même s'il a les yeux noirs) mais pas trop soulis: le public n'aime pas les larves. Il se voûte comme on apprend dans la rue, ni trop ni trop peu. Il a l'air "pauvre mais honnête"... Bon, il ramasse de l'argent dans sa sébille, son chapeau, sa boîte de pastilles, selon le cas.
Chien.
Voici un mendiant, peut-être le même. Mais il a un chien. Un pas trop mignon, ça la fout mal.Mais pas trop sale ni trop grand.Un "vieux pataud" sympa et calme, peut-être un peu alcoolisé pour qu'il se tienne calme: c'est fréquent, mendier est un métier, il y a du savoir-faire. Du sucre dans du vin mouillé, ça fait l'affaire.eh bien, avec le chien ce mendiant gagne beaucoup plus qu'un autre, ou le même, sans chien! Et ceux qui n'ont rien donné à l'homme seul donnent parfois quand il y a la bête.
Femme.
Voici une mendiante; elle a su se comopser une expression du visage à la fois pleine de souffrance et de dignité. Avec une fierté sans arrogance. Comme sur les belles photos des photographes à la mode qui exposent des clichés représentant des pauvres du tiers-monde d'une façon esthétique et léchée. Ca se vend cher dans les galeries. Si elle a su se vêtir avec décence et bon goût: pauvre mais propre, ça s'étudie, avec suffisamment de féminité sans arrogance, elle ramasse du pognon. Une mendiante est ujne femme: le saviez-vous?
Bébé.
Voici une mendiante, la même ou une autre. Mais elle a un bébé. C'est parfois une poupée de chiffon que l'on remise avec celui d'autres mendiantes dans un caddie à la fin de la journée quand le boss viennent ramasser l'argent en Mercédès et ramener ces dames. Ca se voit tous les soirs à la gare du Nord, à Paris, mais aussi ailleurs. Mais ce serait pareil pour une mendiante indépendante, sauf qu'elle se ferait casser la gueule par les mendiantes "employées" si elle se trouvait sur leur territoire, aux meilleures places. Avec un bébé, vrai ou faux (on préfère les poupées, les vrais bébés attrapent des angines, surtout dans les couloirs du métro) la mendiante se fait bien plus de fric.
Mère.
De femme, elle est devenue mère: tout bénef. C'est drôle, les gens qui passent, hein? Y a des fois où j'aimerais bien les cogner sauvagement en poussant des cris rauques de sauvage brutal et cruel voire même sanguinaire! La pitié a ses degrés mais le mépris 'y trouve sans cesse.En même temps c'est bien fait pour ces gogos...
Représentations.
Bébé ou chien, ça dépend du sexe et ça joue le même rôle. Il faudrait essayer avec un mendiant mâle tenant un bébé dans les bras pour voir... Pour les passants, ça montre que, ami des animaux ou pas, ils considèrent l'enfant comme un chien! A condition qu'il y ait une femme.Remarquez qu'il est rare qu'on donne au chien tout seul! S'il est errant, on appelle les flics puis on donne du Sheba au chat, l'âme tranquille grâce qu devoir accompli. Pour les chats, c'est autre chose: s'ils errent on leur fout la paix! Le monde de la misère s'organise autour de nos représentations.
Pas sympa.
Quand on a été SDF, on le voit vite. Et l'on finit par essentir la mentalité du passant. Ca pue parfois. Autant qu'un dégueulis de clodo. Je suis tous les jours vraiment heureux de ne plus être aussi pauvre et d'avoir un toit! En plus je suis moins méchant: la misère, ça rend moche de partout, ça rend teigneur, hargneux, mauvais...Je n'ai jamais mendié. Education, tout ça... autrement si j'avais mendié, j'aurai eu envie de tuer... C'est presque arrivé!
Guitare.
Quand on est dans la débine glauque et putride, bien collante, visqueuse, gluante, on découvre de soi des recoins pas sympa! sachez que la misère nous révèle à nous-mêmes.Côté pauvre ou côté riche (on est toujours riche quand on en mendie pas, qu'on se le dise!)...sauf que le non-pauvre ne veut rien savoir à ce propos: il passe son chemin et ne s'interroge plus sur lui-même. Par chance je me suis trouvé une guitare, alors c'est plus pareil, ça rapporte plus qu'un chien voire même qu'un bébé. Il n'y a pas de guitares en chiffon, mais ça peut aboyer.
En savoir plus...
Pour en savoir plus sur le monde des pauvres urbains, on lira De clerck, Le sang nouveau est arrivé et Patrick Renaudot, La tentation du bien (où l'on trouve des comptes: combien gagne un mendiant du moins il y a quelques années).Ca se trouve sur le net et il y a d'autres livres qui font mal, c'est bien fait!
Envoi: Avez-vous remarqué que, dans ce qui précède, la femme passe en second? On est même macho quand on ne le veut pas!