Rêves ou réalités? Les prisons et le suicide

Publié le 18 juillet 2010 par Raymond Viger

Rêves et suicides dans les prisons

Colin McGregor, prison de Cowansville, chronique de prisonniers, suicide

Je me réveille étourdi et désorienté. Je retourne mon oreiller du côté où il est encore frais et sec et je réfléchis. Il y a quelques secondes, je déambulais la rue Sherbrooke par une journée ensoleillée et je bouquinais dans les magasins de livres usagés. Mais plus maintenant. La réalité me rattrape. Mes yeux doivent s’habituer à la faible lumière, je distingue les petits sillons qui parcourent les blocs de ciments peints du mur de ma cellule. Je suis toujours en prison. 

Le rêve

Les rêves de prisonniers peuvent être décevants. Ils existent dans une réalité au-delà des murs gris et ternes qui nous gardent captifs. Le monde des rêves est attrayant et séduisant. Lorsque je dors, mon esprit voyage ailleurs. Les rêves me ramènent ceux que j’aime et que j’ai aimés. Les univers de mes rêves n’ont pas de limite, j’ai la capacité de réparer mes tords, au contraire de maintenant. La prison vous isole non seulement des victimes réelles ou potentielles de crimes, mais aussi de vos amis. Partout où je vais, je porte, tel un boulet, mes regrets et ma mélancolie.

Le suicide

Dans ces brefs moments de répit, est-il normal de se demander si le suicide me transporterait, pour de bon, dans le monde sans douleur des rêves? Est-ce qu’en me dépouillant de mon enveloppe humaine, je serais transporté dans un monde meilleur? C’est une solution que plusieurs choisissent.

Un détenu âgé, qui n’avait plus beaucoup de temps à purger en prison, se plaignait pendant des mois de ses douleurs physiques. Mais lorsqu’il visitait l’infirmerie, il était souvent congédié par les autorités médicales. Les autres prisonniers, qui avaient d’abord tenté de l’aider, ont fini par le rejeter: ses lamentations étaient devenues chroniques et répétées. Il s’est mis à dormir sur le plancher de sa cellule pour tenter de calmer son agonie. Je me suis habitué à le croiser, alors qu’il traînait son corps le long des corridors de la prison. Occasionnellement, il me jetait un regard vif et allumé.

C’était dans l’après-midi. Un lundi où il faisait gris. Les sirènes d’urgence ont retenti. J’ai rangé mes outils dans la fabrique de la prison où je travaille et j’ai battu en retraite dans ma cellule. Lorsqu’on nous a finalement laissé sortir, l’on a appris que le vieil homme était délivré de ses douleurs.

La culpabilité

Cette soirée-là, plusieurs prisonniers se sont assis en cercle dans la chapelle de la prison. Nous étions vingt détenus, un bénévole et un aumônier. Le religieux nous a invité à discuter de ce que nous ressentions. Un détenu avait vu, trop tard, le corps du vieillard qui se balançait dans sa cellule. Plusieurs hommes ont exprimé un vague sentiment de culpabilité. J’étais parmi eux. Aurait-on pu faire quelque chose de plus pour l’aider?

L’un des participants, qui était visiblement informé du fait que le vieil homme souffrait de problèmes psychologiques sévères plutôt que de douleurs physiques, a livré un plaidoyer enflammé, dans lequel il a réclamé de meilleurs soins psychiatriques pour les détenus. Ensemble, nous avons prié.

Plusieurs semaines après le suicide, un psychiatre spécialisé dans les affaires criminelles a fait une apparition aux nouvelles. Le sujet: comment gérer certains criminels? À travers ses lunettes rondes et métalliques et en fixant la caméra de ses yeux de poisson, il a déclaré sans détour que tous les détenus devraient être médicamentés selon le diagnostique rendu par le psychiatre de l’établissement carcéral – comme lui-même -, et si le besoin est, de les castrer chimiquement.

«Et qu’arrive-t-il si les prisonniers refusent la médication?», lui a-t-on demandé. Un sourire s’est dessiné sur son visage. «Hé bien, a-t-il répondu, ils ne devraient jamais être libérés». Ils peuvent croupir dans leur cellule et méditer sur les douleurs qu’ils ont causés à leurs victimes. Le psychiatre a laissé entendre qu’il espérait que ces détenus récalcitrants finiraient par s’enlever la vie. Le spécialiste a gentiment été remercié pour avoir partagé son opinion avec le public.

Rêves ou réalité?

Est-ce la vie qui est illusoire ou est-ce que ce sont les rêves qui sont réels? Les philosophes et les différentes religions débattent de cette question depuis des centaines d’années. Moi, c’est le livre de Raymond Moody qui me permet de rester sur cette planète. Cet urgentologue a été le premier à évoquer que les patients qui vivent l’expérience de la mort clinique et qui sont ensuite ramenés à la vie rapportent des expériences essentiellement similaires, racontant les mêmes séquences, et ce, peu importe leur sexe, leur âge ou leur religion.

Les témoignages rapportés par des suicidaires qui ont ressuscité sont tous uniformément horribles. Ils ne quittent pas pour de meilleurs cieux. Leurs blessures et leurs douleurs psychologiques les suivent dans l’au-delà. Ils seront confrontés aux mêmes problèmes pour l’éternité. Conséquemment, lorsqu’ils sont ramenés à la vie, explique le docteur Moody, ils choisissent plutôt de rester vivants plutôt que de revivre ce cauchemar.

Pendant cinq ans, le blocage à la vésicule biliaire dont je souffrais était diagnostiqué par les autorités carcérales comme une maladie mentale, une douleur que je feignais. Je me suis accroché à la vie comme une sangsue sur un nageur qui plonge dans un lac glacé des Laurentides. Je serrais la mâchoire à chaque attaque de douleur: j’ai écrit des lettres et je me suis plains jusqu’au moment où un chirurgien célèbre passe me voir. Une opération plus tard, j’étais libéré de ma douleur.

Je ne suis pas à la veille d’être libéré. Si tu meurs ici, m’a dit un psychologue de la prison, personne ne versera de larmes. Mais il y a la lecture, l’écriture, le sport et la télévision, des correspondants, la lumière du jour et les quelques rares visiteurs. Il y a même la possibilité, peut-être un jour, de réparer mes tords. J’ai tendance à penser que le monde est un rêve qui représente tout ce que nous avons. Et nous trouvons toujours une raison de vivre.

Ressources pour prévenir le suicide:

Pour le Québec: 1-866-APPELLE (277-3553). Site Internet. Les CLSC peuvent aussi vous aider.

La France: Infosuicide 01 45 39 40 00. SOS Suicide: 0 825 120 364   SOS Amitié: 0 820 066 056

La Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.

La Suisse: Stop Suicide

Textes de prévention pour le suicide. Nous autorisons la publication et les photocopies de ces textes pour un usage non pécuniaire à condition d’en mentionner la source. Pour une publication sur un site Internet ou un blogue, nous demandons d’en mentionner la source et d’en faire un lien sur le texte original. Pour les enseignants ou les intervenants, si l’un des textes peut vous être utile pour sensibiliser les gens avec qui vous intervenez, n’hésitez pas à les photocopier et les distribuer.

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