Elle me semble marquer l'arrivée de la facture de la crise. C'est ce
qui explique son retentissement. La crise prend complètement à
contre-pied le dispositif politique de Sarkozy, à savoir le projet d'une
banalisation libérale de la France, pour sortir d'une exception jugée
dommageable par les élites.
Cela se résumait dans l'idée chère à
Sarkozy de décomplexer le rapport des Français à l'argent, sur le thème "laissez
faire les gens bien placés pour gagner beaucoup d'argent, et vous en
profiterez tous". Son tour de force a été de présenter cela comme
une forme de justice : "Si vous vous donnez du mal, vous gagnerez,
seuls les paresseux perdront." Il avait trouvé un thème de campagne
très efficace, en conciliant libéralisme et justice. La crise a réduit à néant cette belle construction. Dans un premier
temps, Sarkozy s'en est très bien tiré, en affichant son volontarisme.
Mais les belles paroles n'ont pas eu de suite. Nous savons que la
facture de la rigueur va être lourde et que nous allons tous devoir
payer plus d'impôts. Cela repose le problème de la justice fiscale et
sociale en de tout autres termes, et cela jette une autre lumière,
rétrospectivement, sur les intentions initiales. L'affaire
Woerth-Bettencourt restera peut-être sans aucune suite, mais elle révèle
quelque chose de profond. Elle fait surgir au grand jour la désillusion
de l'opinion à l'égard de la promesse sarkozienne.
Au-delà de cette affaire, avez-vous le sentiment d'une remise en question des principes démocratiques ?
Non, au contraire. Ce n'est pas la démocratie en tant que telle qui est remise en question, c'est la manière dont certains en profitent. Le culte de la chose publique est plus fortement intériorisé en France que partout ailleurs. Les gens sont donc très choqués quand les individus au pouvoir se comportent en individus privés. La plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c'est qu'il n'a pas le sens de l'institution. Le côté privé du personnage prend toujours le dessus. Il n'arrive pas à être un homme d'Etat."