reGeneration2 est, cinq ans après la première édition, une nouvelle plongée dans la jeune création photographique : le Musée de l’Élysée a de nouveau fouiné partout. Au final, 25 pays, 48 écoles et 80 photographes présentés à Arles. L’occasion de bien des découvertes. Rappelons que l’un des lauréats de 2005, Raphaël Dallaporta, est présenté à Lausanne (jusqu’au 25 juillet) en contrepoint de la nouvelle sélection (laquelle comprend cinq Français : Thibaut Brunet, Maxime Brygo, David de Beyter, Nicolas Delaroche, et Audrey Guiraud).
Peut-on tenter de dégager quelques tendances de cette sélection ? Certes, même si elles sont subjectives. J’ai senti pour ma part, que le portrait semblait être dans une impasse, que ces jeunes photographes de portrait n’inventaient plus rien, faisaient du bon travail à la manière de leurs aînés (ici Dijkstra, là Ruff), mais qu’ils n’arrivaient guère à créer une aura. En particulier, les scènes de groupe avec jeunes filles modernes (Ágnes Éva Molnár ou Camila Rodrigo Graña) ne sont que charmantes, et tout juste dignes de Facebook. Il m’a semblé aussi que rares étaient les photographies narrant une histoire, reportage ou fiction, qui, dans cette sélection, tenaient la route : ni la jeune fille envoûtée de Teresa Vlcková, ni celle entre ciel et terre de Liu Xiaofang, ni les contemplatifs de Kalle Kataila, ni les scènes de la vie rurale suisse d’Ueli Adler. Par contre, le reportage sur un couple de SDF habitant un tunnel new-yorkais par Andrea Star Reese échappe au pittoresque et au politiquement correct, et celui de Savas Boyraz sur ses compatriotes kurdes en Turquie est aussi de grande qualité, jouant sur la précarité des matériaux, sur la tension entre dehors et dedans, entre intime et public, entre modernité et tradition (ben û sen). De même, l’installation vidéo de Richard Mosse, Irak, faisant tournoyer l’image autour de vestiges métalliques rouillés et criblés d’impacts dans le désert, cimetière des armes, cependant que sa voix égrène (avec un terrible accent) une litanie de noms bien connus de lieux iraquiens, d’Abou Ghraïb à Tikrit, sait apporter une grande richesse formelle à un sujet qui, sinon, serait trop évident (dommage que ne soient pas montrées ici ses photographies de fausses catastrophes aériennes).
Mais mes plaisirs lors de ce panorama de la jeune création photographique sont venus de photographies plus formelles, plus composées, qui m’ont paru être plus innovantes, plus en rapport avec les interrogations actuelles sur la représentation. En voici quelques exemples. D’abord, je ne peux cacher ma joie à m’être laissé prendre par le Rideau trompe l’oeil de Daniela Friebel, que j’ai compris comme une interrogation aimable de l’image et de son rapport au réel (en haut). Deux photographes ont entrepris de travailler sur des architectures simplifiées, dépouillées : Audrey Guiraud perd tout repère face à des formes construites énigmatiques qu’on ne sait comment appréhender (à droite) : ces blocs rouges sont-ils des immeubles ? ces reflets dénotent-ils un puits de lumière ? y a-t-il une perspective ? un haut et un bas ? Elle reconstruit une réalité à partir d’un point de vue improbable. Sylvia Doebelt, elle, montre ce qui pourrait être une maquette dans tous les tons du gris (à gauche); banc et table sont-ils réels ? mais surtout qu’est ce rectangle blanc ? une fenêtre, un tableau ? C’est en fait la projection de lumière d’un projecteur de photos : pas d’image, à peine un peu d’effet de moiré en regardant de près; non pas une profusion d’images à la Sugimoto, mais un vide, un refus, une manipulation, une interrogation là aussi (blanks).
D’autres photographes révèlent la poésie d’images simples, comme Milo Newman et ses Oies à bec court dans le Norfolk, qui sont à peine des traits de plume sur un ciel blanc, le vol dessinant comme les contours d’une montagne asiatique, ou bien la sculpture minimale faite de câbles, de poulies et de trappes de Janneke van Leeuwen (Cable room), objet complexe et inutile, “chambre mentale”.
Deux photographes japonais présentent des photographies quasi abstraites, indéfinissables et pleines de poésie : Yusuke Nishimura enregistre la lumière à divers moments de la journée, combinant ensuite de manière mathématique ses prises de vue de la journée (onze ici) et arrivant ainsi à un paysage multi-temporel dont la gradation de couleurs abstraites évoque la peinture de Rothko ou de Newman (08:02:55,…, 17:49:01, 10/22/07; Jackson Heights, New York, Dayscapes). Megumu Takasaki, lui, semble se rattacher à la tradition du dessin oriental : photographie suspendue au mur comme un rouleau, recréation numérique d’un négatif, image inversée rappelant un arbre, balayage des traits comme si la main du photographe était venue brouiller l’image (Genèse #7).
Enfin, dans la plus belle tradition picturale baroque, Geoffrey H. Short photographie une Explosion : orgie de volutes de feu oranges, jaunes, rouges, variations brutales de l’intensité lumineuse, cendres qui volètent et criblent l’image de petits points blancs, bribe de ciel bleu. Admiratif devant la beauté de cette image, je ne sais où, quand, pourquoi elle a eu lieu : accident, attentat ? Ici tout est illusion, et la mort, la violence semblent disparaître devant l’esthétique : tour de passe-passe éternel de la photographie illusionniste.
Voici donc mes coups de coeur et mes admirations (qui sont aux antipodes des choix du Lacoste Elysée Prize, à deux exceptions près, Mosse et Short, mais bon…). Voici ceux que j’irai revoir dans cinq ans*, et voici la fin des billets sur Arles. Je vais écrire sur Casanova Forever maintenant, mais dans quelques jours seulement…
* Pour mémoire, les quatre photographes que je remarquais il y a cinq ans : Raphaël Dallaporta, mentionné plus haut; Aimée Hoving; Pétur Thomsen; et Shigeru Takato. Encore un peu tôt pour juger ?
Photos Friebel, Mosse, Doebelt et Takasaki par l’auteur.