Inefficace ?
Lundi, Nicolas Sarkozy s'est même agacé de la «détestation» de l'argent qu'il constate dans l'opinion. Il ne comprend pas. A peine a-t-il reconnu que le conflit d'intérêt est un problème. Il a promis une commission sur le sujet. Son intervention n'a pas servi à grand chose. Il n'a pas convaincu. Et le «Sarkogate» continue, malgré la démission annoncée, pour le 30 juillet, d'Eric Woerth de ses fonctions de trésorier du parti présidentiel. Le matin même, Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, avait raté une occasion de se taire en déclarant que «cette question n'est pas à l'ordre du jour».
En 65 minutes d'intervention télévisuelle lundi soir, Sarkozy a commis une bonne vingtaine de mensonges et d'approximation lundi soir. Un record pour une interview soi-disant préparée depuis un mois. Il a accusé la retraite à 60 ans et les 35 heures des pires tares, oublié que la pénibilité était l'essence même de nombre de régimes spéciaux, se trompe sur la durée hebdomadaire de travail en Europe et le taux de chômage en France, et reparle d'un bouclier fiscal allemand imaginaire. Lundi soir, Nicolas Sarkozy semblait vivre dans une bulle, éloigné de la réalité. Lundi soir, Nicolas Sarkozy semblait étranger à la République que nous connaissions.
Même sur son propre bilan, le chef de Sarkofrance n'avait pas grand chose à défendre. Il refuse de reconnaître l'échec de la défiscalisation des heures supplémentaires, un effet d'aubaine qui a dégradé l'emploi intérimaire et à durée déterminée dès le printemps 2008. Et l'autre mesure phare de son paquet fiscal de l'été 2007, la défiscalisation des intérêts d'emprunt immobilier, est en passe d'être annulée. Elle ne sert qu'aux classes aisées ! La hausse des cotisations sociales sur les salaires de la fonction publique et la réduction prochaine de 6 milliards d'euros d'allocations sociales prévues par le plan de rigueur des François Fillon et Baroin dégradera un peu plus le pouvoir d'achat. En voyage au Japon, Fillon lâche le mot tant honni, «rigueur», un terme que Sarkozy n'ose pas utilisé quand il parle à la télévision. Le président français précisait: «le mot rigueur, ça veut dire baisser les salaires, augmenter les impôts, je ne le ferai pas.» Effectivement, il préfère dégrader les services publics et aggraver les charges pensant sur les ménages modestes. C'est une question de sémantique...
Conflits d'intérêt ?
Le rapport du directeur de l'Inspection Générale des Finances a soulevé plus de questions qu'il n'en a résolu : oui, il existe bien, au sein du cabinet du ministre, une «équipe dédiée au traitement des situations fiscales individuelles.». Elle a même traité plus de 6000 dossiers individuels pendant les deux ans où Eric Woerth en était le patron. Oui, la situation fiscale de Mme Bettencourt mérite un contrôle. Oui, l'enquête est partielle et insuffisante, à cause des délais impartis et de son objet ultra-étroit. Oui, Eric Woerth était au courant du contrôle fiscal de M. Banier, tout comme de la situation fiscale (bouclier fiscal compris) de Mme Bettencourt. Oui, Patrice de Maistre est intervenu à plusieurs reprises auprès d'Eric Woerth quand il était ministre. Les rencontres entre les deux hommes furent même fréquentes, pour des gens qui ne se connaissent pas. Lundi soir, Sarkozy tenta de s'abriter derrière la seule conclusion positive du rapport : le directeur de l'IGF n'a pas trouvé de trace écrite d'une intervention d'Eric Woerth sur la situation fiscale de Liliane Bettencourt. Quelle trouvaille !
Les soupçons de financements politiques illégaux ou douteux perdurent : Mediapart révèle que Sarkozy s'était créé un micro-parti, une «association de soutien» à son action. Estrosi en était le président, Hortefeux le trésorier. Et la petite association a pu recevoir 400 000 euros en 2006 et 2007. Le Nouvel Observateur publie un memo du gestionnaire de fortune des Bettencourt à son employeur, daté de septembre 2006. Il détaille les dons qu'il suggère de faire, après ses contacts personnels, directs et répétés avec ... Eric Woerth. L'agenda de l'ex-comptable est saisi et confirme les dates. Vendredi, Marianne lance un nouveau pavé : Liliane Bettencourt a retiré 100 000 euros fin 2006, d'un autre compte, chez Dexia celui-là, une somme qui aurait dû être notifiée à Tracfin, l'organisme chargé de lutter contre le blanchiment et qui n'était pas consignée dans les carnets de caisse de l'ex-comptable de la milliardaire.
La lecture des comptes de campagnes est instructive. Nicolas Sarkozy n'était pas le seul dirigeant à contourner (légalement) les plafonds légaux à l'aide d'un micro-parti satellite. Jean-François Copé (450 000 euros en 3 ans), Eric Woerth, mais aussi Laurent Wauquiez se sont dotés de ces utiles véhicules à leurs ambitions personnelles. Le secrétaire d'Etat à l'Emploi, maladroit, a même été pris dans une micro-polémique : le 28 juin dernier, il est allé chercher quelques financements auprès de spéculateurs français installés à la City de Londres. Après un rapide démenti, Wauquiez a reconnu les faits : «Franchement, ce n'était pas des grosses sommes, c'est moins que ce qu'on peut avoir en d'autres occasions». Franchement, est-ce bien sérieux ? On se rappelle également les financements divers obtenus par Carla Bruni-Sarkozy pour sa fondation désintéressée.
L'affaire Woerth-Sarkozy a aussi ses ramifications en Suisse. On rappelle quelques témoignages locaux des visites d'Eric Woerth et de Patrick Devedjian, avec leurs épouses respectives, pour solliciter quelques-uns des 100 000 Français expatriés là-bas pour financer la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Le candidat de l'UMP a-t-il été financé par l'argent de l'évasion fiscale ? C'est une autre question à laquelle tout le monde se refuse de répondre. Pierre Condamin-Gerbier, l'ancien responsable du comité local, s'est souvenu que «le soutien des proches de l’UMP en Suisse a été conséquent».
Justice ?
Malgré cette multiplication de faits, aucune enquête indépendante n'a été ouverte. Le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, s'active, grâce aux enregistrements pirates publiés par Mediapart. Lundi, sept nouvelles perquisitions ont été effectuées par la brigade financière. Quatre personnes - Patrice de Maistre, François-Marie Banier, Fabrice Goguel (l'ex-avocat de Mme Bettencourt) et Carlos Vejarano, le gérant de l'île d'Arros aux Seychelles, escamotée dans les déclarations fiscales de la milliardaire - ont été placées en garde à vue dès jeudi. Parmi les témoins de la défense sarkozyenne, l'ex-banquière de Mme Bettencourt avait été appelée en renfort pour contester les déclarations de l'ancienne comptable de la milliardaire. Elle n'aurait jamais entendu cette dernière lui faire part, un jour de printemps 2007, d'un don occulte de 150 000 euros à la campagne de Nicolas Sarkozy. La banquière s'avère être une VRP de luxe, amie de Patrice de Maistre et membre d'un cercle d'influence installé... au Fouquet's. Certains symboles font mal.
Mardi, Sarkozy recevait une douzaine de chefs d'Etat africains. La plupart peuvent être qualifiés au mieux d'autoritaires, au pire de dictateurs. La presse, là-bas, est rarement libre. Les détournements de fonds publics, y compris des subventions internationales, y sont légions. Les opposants peinent à se faire entendre, les scrutins électoraux sont manipulés. Qu'importe ! Nicolas Sarkozy n'évoqua rien de tout cela. La Françafrique demeure. Mercredi, quelques contingents africains défilaient sous des trombes d'eau sur les Champs Elysées aux côtés de l'armée française. Le président français insiste: nous avons une histoire commune. Laquelle ? Les colonies, la libération du pays en 1944 ou les pots-de-vin ?
En début de semaine, l'Assemblée nationale adoptait deux lois, toutes deux symboliques de l'état de délabrement moral de notre République devenue reprochable: la transposition française du droit pénal international fixe tellement de conditions à d'éventuelles plaintes contre des crimes de guerre qu'elle en devient impraticable; elle réserve les plaintes à des auteurs résidents en France, à l'absence d'instruction à l'étranger, et à un désistement explicite de la Cour pénale internationale. Autre fâcheux symbole, la loi sur l'action extérieure de la France prévoit la possibilité au gouvernement de réclamer à ses ressortissants otages un remboursement des dépenses engagées pour les libérer. Les grands reporters sont prévenus: n'allez pas enquêter en Afghanistan ni en Irak ! Contentez-vous des communiqués de presse officiels du service d'information des armées.
Manipulations ?
La République reprochable de Nicolas Sarkozy s'incarne ainsi à tous les échelons de la vie publique. Chaque livraison de légions d'honneur donne la nausée, tant cet héritage républicain qui hier récompensait scientifiques et résistants sert désormais à médailler les fidèles. Le 14 juillet dernier, même François Pérol, ancien conseiller du président propulsé à la tête des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires à l'automne 2008, et poursuivi pour "prise illégale d'intérêt", a eu son hochet sarkozyen !
Jeudi, la Cour des Comptes a livré son troisième rapport sur les dépenses de l'Elysée, avec 6 jours de retard. Didier Migaud avait préféré décaler (sur instruction ?) son annonce après la prestation audiovisuelle du président. La Cour est satisfaite de certaines corrections apportées par la Présidence sur ses recommandations de l'an passé : désormais, Nicolas Sarkozy paye directement ses dépenses privées (sic!), les appels d'offre sont plus fréquents. Même les effectifs ont été réduits. Mais la Cour relève l'inflation des frais de déplacements et de communication du chef de Sarkofrance. L'Elysée se félicite. Certaines révélations sont pourtant stupéfiantes: Sarkozy a porté les dépenses présidentielles à un niveau inégalé, mais personne ne s'en étonne : 5 millions d'euros engloutis pour 56 déplacements en province, un coût des voyages en hausse de 26% en Europe, de 36% en France, de 46% à l'étranger... Lors de ses vols moyens courriers, le chef et son équipe sont restaurés pour 115 à 169 euros le repas en moyenne. Pour habiller chaque visite de terrain, un décor amovible de 141 000 euros a été fabriqué. Le service audiovisuel de l'Elysée, qui ne sert qu'à alimenter le site Elysee.fr, coûte 1,2 millions d'euros par an, une dépense plus que doublée en 12 mois.
Vendredi, on apprenait qu'un gigantesque appel d'offre, pour 120 millions d'euros annuels, a été finalisé il y a quelques semaines par le Service d'information du Gouvernement. Aegis, qui aurait remporté le contrat, serait en charge de mettre en images les messages gouvernementaux à compter de 2011: production de reportages publi-rédactionnels, de sites Web, d'enquêtes diverses et variées. Le SIG a eut vite fait de préciser qu'il n'entendait que moderniser la communication de certaines grandes causes nationales et nouveaux dispositifs. Le soupçon d'une industrialisation du story-telling présidentiel en vue de l'élection de 2012 est bien réel : de 49 millions d'euros en 2008, les publicités gouvernementales sont montées à 100 millions d'euros en 2009, et autant en 2010. Faut-il donc dépenser plus pour la sécurité routière ou la prévention de la grippe ? On se souvient des 7 millions engloutis pour défendre la réforme des retraites, ou cette autre campagne pour le plan de relance.
Après une interview ratée, et des cérémonies du 14 juillet pourrie par la météo et les polémiques, Nicolas Sarkozy s'est échappé 8 jours. Il revient mercredi, pour repartir deux jours en province, avec avion, décor et caméras.
Ami sarkozyste, où es-tu ?