On ne peut recommander « Platée » de Jean-Philippe Rameau autrement. Puisqu’ à notre époque, où l’on croule sous le flot permanent d’informations de tous genres, il faut être concis, soyons concis: ceux qui n’ont pas envie de continuer à lire, peuvent s’en tenir là !
Mais je dirais à tous ceux qui veulent savoir ce qui se passe actuellement à l’Opéra National du Rhin : Ce qui s’y passe est génial !
Au premier regard, il s’agit d’une œuvre encombrante. De nos jours, le sujet semble être tiré par les cheveux. Les passages de danse classique sont nombreux et l’ambiance sonore est d’une sobriété baroque. Voilà, le décor est planté ! La mise en scène de Mariame Clément crée pourtant une ambiance fabuleusement joyeuse dans la salle – et au-delà de la salle : Le ciel divin, où Jupiter se dépatouille avec ses problèmes de jalousie par rapport à sa femme, Junon, est en fait un appartement New Yorkais des années cinquante. Les dieux, qui échafaudent des plans pour faire entendre raison à Junon, sont d’élégants businessmen qui font bien sagement les courses pour leurs épouses respectives, toutes mères au foyer. La sottise sort directement d’une publicité à la télévision pour continuer à essayer de vendre un produit de consommation après l’autre.
Platée avec Emiliano Gonzalez Toro et Céline Scheen à l´Opéra du Rhin à Straßburg (c) Alain Kaiser
Platée, l’affreuse déesse grenouille tellement malmenée par Rameau, se transforme à Strasbourg : Après avoir subi un « embellissement » elle mue du monstre vert aux seins nus en une sorte de croisement entre Miss Piggi et HP Kerkeling. C’est une créature pathétique, vivant dans un monde fascinant pour elle, certes, mais où, intellectuellement parlant, elle ne peut donner l’échange. Clément ne se permet pas une seule fausse note dans sa mise en scène. Du début à la fin elle reste dans cette époque où tout paraissait possible, et où une fin de la prospérité générale était plus qu’improbable. La chambre à coucher du prologue avec son grand lit conjugal, d’où sortent non seulement Jupiter et Junon, mais également un nombre impressionnant de dieux et déesses, se transforme en pièce à vivre avec un aquarium géant. Platée et son amie Clarine, en plein milieu des plantes aquatiques, y sont confortablement installées. Céline Scheen, qui avait déjà fait rire le public en « Cupidon » ayant pris l’apparence de Marylin Monroe, est la seule dans cette mise en scène, d’avoir la chance de porter un costume de fée ravissant. Sa voix claire et vive s’accorde du reste parfaitement avec son rôle. Les nymphes, en revanche, font leur apparition en costume de bain moulant, des bonnets à fleurs en caoutchouc sur la tête. Elles dansent leur ballet avec un tel entrain, qu’on a envie de « nager » avec elles.
La voix de basse pleine et claire de François Lis dans le rôle de Jupiter occupe parfaitement l’espace. Dans le double-rôle de Thespis et Mercure on pouvait entendre Cyril Auvity, dans celui de Momus et Cithéron, Evgueniy Alexiev. Le jeu de ces divinités n’omet aucun cliché pour faire du père des dieux un homme d’affaires à succès.
Emiliano Gonzalez Toro chante la Platée à l´Opéra national du Rhin à Straßburg (c) Alain Kaiser
Des voitures, comme la Cadillac rouge en papier mâché, dont Platée fait malencontreusement exploser le moteur, en font partie. Tout comme une aventure torride avec une serveuse en rollers derrière le canapé en simili cuir rouge dans un restaurant « self-service ». Que toutes les idées se juxtaposent les unes aux autres tout au long du fil conducteur dans une bonne humeur contagieuse, n’est pas uniquement dû au travail de Clément.
Les ballets, des créations du chorégraphe Joshua Montent, y contribuent aussi de façon considérable. Montent ne les conçoit pas comme de petits interludes artificiels, mais plutôt comme des pièces faisant partie d’un tout, qui sont du coup, encore bien plus drôles. Un bel exemple est le ballet des cowboys et indiens qui gesticulent respectivement avec leurs révolvers et tomahawks de telle façon que le public finit par être dans tous ses états. Ou alors le passage, où les trois Grâces, couturières pour la circonstance, « équipent » Platée d’un voile de mariée et ornent sa queue de nœuds blancs. Ce passage comporte des enchaînements de pas baroques, ce qui est, transposé dans le contexte du miracle économique, tout simplement désopilant.
Mais une lecture approfondie de cette œuvre permet aussi sans problème de mettre la critique de la société de consommation en évidence. A la fin, personne ne veut plus prendre l’affreuse Platée au sérieux qui, malgré tout, et ce n’est certainement pas un hasard, continue à vouloir faire entendre sa voix. On essaie même de la noyer dans son propre aquarium, sans succès. Personne ne prête attention à la force de la nature qui se manifeste sous forme de la queue mouchetée de Platée, dont la pointe dépasse en permanence sous ses habits roses du dimanche. Ceci pourrait nous faire prendre conscience que l’époque, où l’on se moquait de la nature, est révolue depuis longtemps. Mais il semblerait que nous continuions sur cette lancé avec le plus grand enthousiasme.
Platée avec Emiliano Gonzalez Toro et Francois Lis (c) Alain Kaiser
Après l’annulation du mariage de Jupiter et Platée, auquel tous les grands du monde avaient été conviés (Einstein, Elvis Presley, de Gaulle, Mère Theresa ET la statue de la liberté en personne), Jupiter et Junon disparaissent dans leur immense lit conjugal. Platée reste, visible pour tous, accroupie devant le lit en question, ce qui veut dire, que son rôle dans l’opéra s’arrête peut-être là, mais que par ailleurs elle n’a pas encore dit son dernier mot.
Christophe Rousset assure la direction musicale. Il travaille aussi proche que possible du son original pour livrer ainsi une interprétation musicale transparente et très fine. Les prestations d’Emiliano Gonzalez Toro dans le rôle de Platée sont exceptionnelles : Aussi bien en tant que chanteur qu’acteur. Son ténor chaud enchante dans toute forme d’expression, si difficile soit-elle. Ses mouvements maladroits sont touchants et son regard perturbé et lourd du malheur qui menace, annonce, comme déjà indiqué, un avenir inquiétant. Les applaudissements frénétiques et les « bravos ! » du public confirment, qu’Emiliano Gonzalez Toro est un artiste qui a vraiment toutes les cordes à son arc. Nous lui souhaitons encore beaucoup de soirées comme celle-ci, pour la plus grande joie du public, où qu’il se trouve dans le monde.
Restent à mentionner les costumes pimpants ainsi que le décor changeant et plein de surprises de Julia Hanson qui s’accordent parfaitement avec la mise en scène de cette pièce qui vaut vraiment la peine d’être vue plus d’une fois.
Une remarque pour tous ceux qui aimeraient maintenir la tradition baroque sur un piédestal et qui auraient envie de se moquer de l’adaptation contemporaine : Même chez Jean-Philippe Rameau, Platée était censée distraire et faire rire le public de la cour. Et ce qui était assez bien pour la cour de Versailles au 18e siècle devrait l’être largement pour nous aussi! Il y a la possibilité de revoir une captation des représentations de Platée à Strasbourg et à Mulhouse dans le net sur la chaîne ARTE encore pendant 6 mois.
Un petit avant-goût:
Découvrez Platée selon l’Opéra National du Rhin sur Culturebox !
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker