Le chef d´orchestre Martin Fischer-Dieskau

Publié le 27 avril 2010 par Europeanculturalnews

Der Dirigent Martin Fischer-Dieskau (c) OPS


Interview avec le chef d’orchestre Martin Fischer-Dieskau

Monsieur Fischer-Dieskau, votre voyage à Strasbourg a été décidé au dernier moment. Vous avez remplacé Darell Ang, bloqué comme tant d’autres par le nuage de cendres volcaniques. Pour trois soirées consécutives, vous allez diriger l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Au programme : des concerts de Haydn, Mozart et Schubert.

Oui, c’est exact. Mon voyage était effectivement plus que précipité. Lundi matin, j’ai reçu un coup de téléphone et une heure et demie plus tard j’étais déjà assis dans la voiture muni des partitions. Heureusement que je les avais à la maison et que je les connaissais aussi ! Mais malgré tout, c’était très fatiguant, car, tout en conduisant, j’avais en permanence un œil sur les partitions.

Avez-vous déjà fait des remplacements au pied levé comme celui-ci?

Oui, cela arrive de temps en temps. Je me souviens encore de la première fois : J’ai du diriger un opéra à Naples. A l’époque j’étais encore très jeune et très nerveux. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes. Mais au fond, on ne devrait pas accepter d’engagement à si court terme. Dans ce cas précis, il s’agissait d’une situation tout à fait exceptionnelle : L’orchestre ne pouvait pas jouer tout seul, tout de même !

Quelle impression avez-vous de l’OPS ?

J’ai constaté que l’orchestre a d’excellents solistes : Le corniste – un anglais, du reste – est incroyable (Kévin Cleary). Il est très précis et donne absolument tout. Le hautboïste (Sébastion Giot) aussi est exceptionnel, sans oublier le violoncelliste (Olivier Roth). Je ne savais pas non plus que le soliste du concerto de Mozart, Vladlen Chernomor, ne faisait partie de l’orchestre que depuis peu de temps. Il faut du courage pour jouer comme soliste devant son propre orchestre, car les collèges sont parfois des critiques impitoyables. Mais depuis le début des répétitions jusqu’à la première de ce cycle de trois jours, Chernomor était en progrès constant.

Qu’est ce qui vous a motivé pour devenir chef d’orchestre ?

A l’époque où j’ai passé mon baccalauréat, j’ai dirigé un opéra à la Charlottenburg à Berlin. Un vieux monsieur juif, premier violon, qui, comme beaucoup de gens de sa génération a été contraint d’émigrer pour revenir ensuite, m’a vu et dit : « Il faut absolument que tu en fasses ton métier, mon garçon ! »

Comment voyez-vous le rôle du chef d’orchestre ?

Un chef d’orchestre est bon, quand les musiciens ont l’impression de pouvoir jouer sans être dérangés. Bien sur, il faut donner le principe de base qui permet de « bien respirer », il faut en quelque sorte « régler » les pulsations. Mais pendant un concert, il ne faut pas être focalisé sur le chef d’orchestre. D’un coté, le chef d’orchestre ne doit pas déranger, de l’autre, il doit décider de tout. L’image du compositeur, celle de sa musique devrait s’élever au dessus du chef d´ochestre et l’orchestre.
Mais la direction d’orchestre relève de nos jours souvent d’une imposture : Beaucoup de musiciens et solistes dirigent des orchestres sans avoir une formation adéquate. Et bien souvent, les orchestres n’ont plus de base de comparaison pour savoir qui est un bon chef d’orchestre et qui ne l’est pas. Beaucoup de jeunes gens font des études et sont pressés d’exercer leur métier. Pourtant, nous savons tous, qu’un bon chef d’orchestre ne peut être jeune. Ce n’est tout bonnement pas possible. Ce qui manque, c’est l’expérience. C’est elle qui fait la qualité d’un chef d’orchestre. Les études pour devenir chef d’orchestre comportent quantité de matières, somme toute, très importantes, qu’il s’agisse de déchiffrage ou de la technique de percussion? et tant d’autres. C’est sur, sans cette formation il est impossible de maîtriser ces techniques. Moi, par exemple, j’essaie – autant que possible – de diriger par cœur. Car, comme disait Celibidache : « Il faut sentir la fin depuis le début pour naviguer dans le bons sens ! » Bien que Celibidache soit d’une certaine façon aussi un imposteur, même s’il était très gentil !
De nos jours, on manque souvent de temps. C’est pour cette raison qu’il faut s’approprier un certain nombre de choses en amont pour pouvoir diriger par cœur ensuite. Maazel ou Ozawa sous qui j’ai travaillé, dirigent aussi par cœur. Le monde du chef d’orchestre est totalement séparé de celui de l’orchestre. Le chef d’orchestre et l’orchestre ne parlent pas la même langue. Un bon musicien d’orchestre possède d’autres qualités qu’un bon chef d’orchestre. En ce qui me concerne, par exemple, je serais incapable de jouer au sein d’un orchestre. Le chef d’orchestre a une grande responsabilité. Il joue sur un clavier, sachant que l’expression « clavier » est trop mécanique, elle ne convient donc pas tout à fait. Ce « clavier » ce sont des êtres humains et des âmes. Je suis souvent conscient de ma puissance mais je sens aussi le poids de la responsabilité qui est la mienne : On entend immédiatement la plus petite erreur de ma part. Beaucoup de gens croient qu’être chef d’orchestre signifie en même temps « faire carrière ». Mais c’est une mauvaise approche ! Il n’y a que peu de personnes qui ont une bonne approche, une approche musicale concernant la direction d’orchestre. Cette ambition de faire carrière à tout prix est une erreur grossière ! Les longues carrières, que l’on pouvait observer dans le temps, n’existent plus de nos jours. Aujourd’hui, les contrats sont signés pour deux ou trois ans en moyenne. Après trois ans un changement, même forcé, s’impose ! Pour survivre, un chef d’orchestre doit avoir un instinct machiavélique. Il doit savoir faire des alliances, parfois il doit aussi tenir tête à un intendant. Ce sont des choses difficiles mais elles font partie de ce métier. L’aspect musical est relégué à l’arrière-plan.
Nikolaus Harnoncourt est l’exception qui confirme la règle. Il a réussi à rester totalement à l’écart de tout. Il se contente de faire sa musique comme il l’entend. C’est admirable. C’est un exemple qui prouve, que malgré tout, c’est parfois la qualité qui a le dernier mot et que c’est elle qui permet à un chef d’orchestre de reporter le succès qu’il mérite – même si cela demande un peu plus de temps. Regardez par exemple la carrière du grand chef d’orchestre Georges Prêtre. Même très âgé il est et reste l’un des plus grands et les plus importants chefs d’orchestre du moment. Ceci me rend optimiste. D’un autre coté je constate qu’il y a actuellement une certaine tendance de faire signer des contrats aux chefs d’orchestre jeunes et sportifs, car l’apparence est de plus en plus importante de nos jours. Cette démarche n’est pas la bonne ! Moi par exemple, j’ai plaisir à tester mon savoir-faire et je pars du principe que le succès ne devrait être lié qu’à cela !

Est-ce que vous vous situez dans un environnement musical en particulier ?

Non pas du tout ! Je joue et j’écoute de différentes choses avec grand plaisir. Je me passionne toujours pour tout qui est à l’ordre du jour. Il est impossible de choisir entre Goethe ou Homer, n’est-ce pas ? Ou l’un ou l’autre ? On a besoin des deux ! Mon environnement familial était enraciné dans le romantisme allemand. J’ai beaucoup étudié Mozart et l’opéra italienne (NB : Martin Fischer-Dieskau est le fils du baryton Dietrich Fischer-Dieskau qui fête ses 85 ans cette année) mais je n’ai pas de préférences. Ce que je regrette pourtant, c’est qu’en règle générale, la programmation manque de courage pour proposer de la musique contemporaine écrite par des compositeurs peu connus. Les programmes sont devenus très conventionnels. A Taïwan, j’ai pu observer que les œuvres des compositeurs de retour à la maison après avoir fait leurs études en Europe, avaient des racines très européennes. Les pièces étaient tout simplement agrémentées par des instruments taïwanais – et voilà le travail « contemporain » !

Le célèbre chef d’orchestre Antal Dorati était également compositeur. Ma fille, qui vient d’avoir 20 ans joue en ce moment son concerto en Israël et en Turquie. Je pense qu’elle est très douée, ce que son grand-père confirme également. Dimanche (NB 25.4.2010) elle va jouer un concert de Chopin à Hambourg sous la direction d’un jeune chef d’orchestre, qui était l’un de mes élèves. J’y assisterai, bien sur, et je suis déjà très curieux !

Avez-vous des désirs concernant votre avenir personnel ?

Oui, j’aimerais diriger mon propre orchestre et ceci pour un certain temps. Un Orchestre avec lequel je pourrais construire quelque chose. Etablir un programme, non seulement pour une saison, mais sur plusieurs saisons avec une sorte de fil conducteur. Je suis toujours à la recherche du cheminement idéal, caractérisé par l’esprit d’ouverture et non pas par des calculs d’ordre politique. J’aimerais être indispensable et, malgré tout, rester capable d’évoluer en permanence. Il y a encore tellement de choses que j’aimerais faire. J’ai terminé il y a peu de temps mes études en musicologie, par exemple. Je recommande à tous les musiciens, surtout aux musiciens d’orchestre, de faire des études – même tardivement !
Et j’aimerais aussi que les chefs d’orchestre et les musiciens ne se prennent pas trop au sérieux !

Merci beaucoup pour cet entretien !

Cette interview était réalisée par Dr. Michaela Preiner le 23 avril 2010 à Strasbourg.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker