Beaucoup d’endroits à Arles se prêtent à la découverte de nouveaux talents, ce qui n’est pas si fréquent en France, et c’est une excellente initiative. Commençons par le Prix Découverte, pour lequel les festivaliers votent sur les 15 propositions de quatre commissaires. Cette année, non contents de présenter la série ‘100 ans’ d’Hans-Peter Feldmann (tout sauf une découverte, mais un très beau travail sériel sur l’âge et l’apparence face auquel on se situe, on se repère, on se compare : Ai-je l’air plus jeune que Hansjürgen ? Comment fait Hans, 53 ans, pour avoir l’air si jeune et beau ? Et Maureen, 39 ans, pour être encore si attirante ?), Hans-Ulrich Obrist (associé pour l’occasion à Philippe Parreno) a raflé le Prix Découverte (Taryn Simon montrant ici des victimes d’erreurs judiciaires, la plupart condamnés pour viol et ensuite innocentés, un beau travail sur la photographie comme vérité et comme mensonge; Troy Webb, Scène du crime, The Pines, Virginia Beach (Virginie), a purgé sept années d’une condamnation à 47 ans pour viol, enlèvement et vol) et le Prix de la Fondation LUMA, attribué en parallèle par Fischli et Weiss (Trisha Donnelly, choix surprenant, voire décevant).
J’avais voté pour Leigh Ledare (remarqué ici-même l’an dernier) qui présente un travail très personnel, voire dérangeant : il photographie pendant tout un week-end son ex-femme Meghan dans une maison de campagne; celle-ci y retourne quelques jours plus tard avec son nouveau mari, le photographe Adam Fedderly, lequel, à son tour, la photographie pendant leur séjour, puis confie ses films non développés à Ledare.
Le montage de ces deux séries (Ledare à gauche, Fedderly à droite) scande la salle d’exposition : deux histoires en parallèle, une nostalgie sensuelle et un sentiment d’abandon pour l’un, une promesse d’avenir heureux pour l’autre. La femme entre deux hommes, la relation triangulaire sous-jacente, ce ‘Double Bind’, m’ont beaucoup ému, touchant sans doute en moi une corde sensible. La composition de cette pièce est remarquable, comprenant également des documents, des images trouvées, des magazines, comme pour inscrire cette histoire, banale et triste/heureuse, dans l’univers de toutes les autres histoires d’amour et de désamour, dans la romance du monde. Parmi les nominés pour le Prix Découverte, j’ai aussi remarqué le travail épuré de Liz Deschenes, dont les photographies monochromes configurent l’espace autour d’elles, au-delà de la représentation : c’est un miroir du monde et non plus une mimésis qu’elle bâtit là, comme un nouveau langage, une exploration de domaines encore inconnus en photographie. Mais les vraies découvertes à Arles se trouvent dans l’exposition ReGeneration2, organisée par le Musée de l’Elysée cinq ans après le succès de la première. Ce sera le sujet du prochain (et dernier) billet. Sinon, l’exposition SFR Jeunes Talents m’a laissé sur ma faim (et le lauréat a 49 ans…) et c’est plutôt du côté des étudiants de l’Ecole d’Arles que j’ai trouvé quelques pépites. Un peu dans l’exposition officielle où on remarque le reportage sur les travailleurs de nuit de Lucile Chombart de Lauwe (à suivre, désormais au bar Floréal) et le travail très pur sur le territoire et la mémoire de la Portugaise Maria-do-Mar Rêgo (Cromlech); Mais surtout dans l’exposition off ’Heimlich‘ (un bien beau titre anti-freudien, entre étrange et familier, entre caché et dévoilé) dans l’église Saint-Julien (le commissariat en étant assuré par les étudiants de Rennes) où le choix plus large, moins étroitement représentationnel, permet de découvrir des innovateurs comme Erwan Morère et ses ‘paysages’ islandais où la matière se dissout (Seydisfjördur, ci-dessus), Dorothée Smith et ses scènes inquiétantes marquées par le questionnement du genre, Marie B. Schneider et ses froides architectures, et surtout Anaïs Boudot qui ne montre ici ni paysage, ni décolleté, ni voile ou brume, mais un assemblage de radiographies médicales, saisissante étrangeté du réel (Prenez vingt-cinq tas de cendre, ci-contre).
On retrouve Dorothée Smith et Anaïs Boudot dans une autre exposition off, Identity Lab, organisée par L’évadée et par Christian Gattinoni dans le cadre du festival Voies-Off. Là encore, beaucoup de questionnement sur le genre, certains assez abrupts (Tom de Pékin, Luigi et Luca), d’autres plus subtils. Anaïs Boudot présente ici (Jigsaw feelings, vue d’expo à gauche, photo individuelle à droite) des photographies au sténopé, un alphabet de postures évoquant le dessin du XVIIème, une déclinaison de corps nus, ouverts, écartelés, en suspension, chutant des cieux en enfer, puzzle-assemblage sensuel et tragique. C’est aussi l’occasion de découvrir les autoportraits voilés de Michel Peneau et les personnages troubles et spectraux d’Alexander Binder (Maleficium, ci-contre).
Enfin, l’exposition des Rencontres consacrée à la marche (dans la lignée du livre de Thierry Davila), à côté de valeurs sûres comme Francis Alÿs (et ses chaussures magnétiques), Hamish Fulton et André Cadere (rien de bien neuf de ce côté là) permet de découvrir une vidéo du Portugo-luxembourgeois Marco Godinho, Something White, enregistrant en temps réel sa marche en compagnie de l’écrivain norvégien Tomas Espedal le 11 juillet 2008 dans un tunnel désaffecté : bruit des pas, conversations étouffées, marche dans le noir, bribes de vision et bribes de son, hésitations avant d’entrer dans la caverne sombre et féminine, pauses et, au bout, la lumière, éblouissante, et les moutons qui s’enfuient.
C’est une traversée de bout en bout, une expérience initiatique, une victoire sur l’obscurité, un avènement salvateur vers la lumière, qu’il soit maçonnique ou chrétien.
Photos Feldmann, Ledare, Deschenes, Morère, Boudot 1 et 2, Godinho 2 par l’auteur. Photo Taryn Simon courtoisie du service de presse des Rencontres d’Arles. Hans-Peter Feldmann étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin de l’exposition.