Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce mince recueil de facture très classique, presque austère quant à sa présentation (mais ça ne manque pas de charme), n’est pas écrit entièrement en anglais mais bilingue, puisque son auteur, Colette Wittorski, est française.
La traduction anglaise est assurée par le poète irlandais francophile Fred Johnston, un familier des revues françaises et francophones (il collabore, par exemple, régulièrement à la revue mauricienne Point-barre).
Ainsi goûtons-nous à la double musicalité de la langue de Molière et de celle de Shakespeare.
Seize poèmes se succèdent, version française sur la page de gauche, traduction anglaise sur celle de droite.
Il s’agit de poèmes courts, sobres, minimalistes, dont quelquefois le souci de concision n’est pas sans avoisiner une manière de « brutalité ».
Les mots tombent sur la page blanche, abrupts, un peu comme des entailles, des couperets, des incisions.
La poète s’y présente comme une « Ecorchée vive » qui « hurle de douleur ».
Violence, donc, qui, derrière la maîtrise, le dépouillement presque rêche du verbe, traverse de part en part le poème, semblable à une blessure secrète.
Le nu du mot, le nu de la phrase, dans leur netteté sans concession, totalement incontournable : « Si bref est l’instant […] Je voudrais tant […] m’envoler ». Un « présent » qui, en prenant « sa place » alors que « Nos voix […] coulent de source », se fait témoin, reflet d’une certaine harmonie auto-suffisante. Le lien, l’accord et la déchirure, tels des échos qui se répondent.
Une poésie qui, cependant, demeure assez difficile d’accès, si ce n’est, même, farouche, avec ses quelques incursions visionnaires. De belles, surprenantes images en jaillissent, comme « Les collines sautent sous leurs peaux de bêtes » ou encore « Dans la pénombre des humains / in humanity’s twilight ». Un « dark side », un pessimisme qui offre son caractère grinçant , parfois, s’insère (« Nous n’irons plus au bois / Les têtes sont coupées »).
Cette poésie a, sans conteste, un caractère insaisissable et, de bout en bout, on garde l’impression qu’elle vous file entre les doigts, un peu, dirai-je, à l’image de l’éphémère cruel qu’elle sait et aime évoquer…Mais n’est-elle pas « menace d’engloutissement ( threat of being swallowed) » « sur le sol qui bouge (on the altering earth) » ?
P.Laranco.