Crise des experts

Publié le 16 juillet 2010 par Scienceblog
L

e mot est lâché : il a été prononcé par Pierre Gentilini, président de la croix rouge lors de l’émission C dans l’air du 22 avril 2010, dont le titre était « La civilisation de la peur » (http://www.france5.fr/c-dans-l-air/index-fr.php?page=resume&id_rubrique=1420). L’expression est intéressante et mérite une analyse sérieuse dont je ne ferai pas le tour aujourd’hui. Crise des experts, crise de l’expertise, excès de prudence, expertise « achetée » au profit des entreprises (pharmaceutiques dans le cas de la grippe A), principe de précaution dévoyé : comme le dit un intervenant en début d’émission, il n’y a pas de prise de décision (politique).

L’expert est aujourd’hui une des pierres d’achoppement du processus de décision. Selon ses dires, il apporte au décideur l’ensemble des arguments qui permettent un choix, et éventuellement propose une orientation. Par exemple, les experts de l’OMS ont, selon leurs études,

  • déterminé qu’il y avait une pandémie de grippe A, qu’ils se souciaient de la dangerosité de cette grippe, que, si elle n’était pas fondamentalement, dangereuse, pouvait le devenir à cause de la capacité d’un virus à muter facilement en une forme plus dangereuse, et que donc, en connaissance de cause, il fallait limiter cette pandémie au maximum
  • proposé que les populations soient vaccinées de façon à endiguer la propagation de cette maladie, et de sorte que la propagation d’un variant soit limité.

S’est alors posé la question de la dangerosité de la grippe A … Il paraissait alors évident que cette maladie n’était pas très dangereuse, sauf pour des personnes à risques. On citait le cas de personnes mortes de la maladie, ce qui a très rarement été le cas, la mortalité rencontrée était souvent due au facteur aggravant que présentait l’infection au H1N1. On tentait de dire combien c’était grâve, mais … qui était ce on ?

C’est là que la crise de l’expertise intervient !  Nous ne sommes plus là dans un domaine purement factuel, chiffres et données à l’appui, mais dans un champ spéculatif, concernant celui de l’importance réelle de cette pandémie. Cette importance est peut être même plus grande que ce que les hôpitaux et médecins ont transmis : combien de cas d’infection non diagnostiqués ont-ils eu lieu ? Peut-on en faire l’évaluation ? Les réponses à ces questions sont très probablement :

  • oui
  • au moins un cas sur deux
  • non, car il faudrait créer un système de détection de séropositivité des personnes au virus, ce qui n’est pas en vente actuellement.

Donc, non seulement nous entrons dans un domaine spéculatif, mais en plus, les laboratoires ne se donnent pas la peine d’apporter des réponses factuelles à des questions légitimes. Pourtant, les experts ont continué à apporter leur avis, alors qu’ils n’étaient pas mieux qualifiés que d’autres (que moi en tout cas …) pour en parler : le champ spéculatif devenait leur terrain favori.

Dès lors, il devient possible de critiquer les experts de l’OMS qui continuent à parler en émettant un avis alors que la controverse existe ou devient possible. Ils sortent du champ délimité par leur connaissance  du sujet et définissent une nouvelle doxa, que les politiques suivent avec, ad minima, le sentiment que les experts en savent plus qu’eux. Ainsi, le politique a besoin de l’expert afin de pouvoir ensuite dire qu’il n’était pas responsable, qu’il a pris les décisions en toute bonne foi, sur la base des avis des experts. Qui ne sont pas toujours à même, c’est le cas de le dire, de donner leur avis. Ainsi, j’ai même entendu Frédéric Lefebvre proposer de nommer, suite à la crise de la grippe A, des experts pour déterminer qui était en faute (à propos de l’achat des doses de vaccin par la ministre de la santé). Quels experts, quels types d’expertise, de quelle façon, j’aurais aimé le savoir, mais bon passons, cette prise de parole montre bien cette toxicomanie du politique envers l’expert.

Le lien entre expert et politique mériterait d’être approfondi encore plus par des exemples précis, et une sociologie de l’expertise devrait être entreprise. Elle permettrait également de mieux déterminer les évolutions de la place d’une techno-science dans la société, et les moyens de l’intégrer, ou de s’en prémunir vial les lanceurs d’alerte par exemple (voir la cas probiotiques Danone).