Une guerre des droites ?
Quelques heures avant l'intervention télévisuelle de Sarkozy, Brice Hortefeux dénonçait «un petit groupe de personnes qui n'ont jamais accepté le large succès démocratique de Nicolas Sarkozy en 2007». La théorie du complot est une explication facile : «Comme ce n'est plus l'époque, faute de coup d'Etat, ils en sont réduits à des coups d'éclat.» A qui Brice Hortefeux faisait-il allusion ? A certains gauchistes récalcitrants ? Non. A Jacques Chirac et Dominique de Villepin. L'affaire Bettencourt, une nouvelle épreuve de la guerre des droites ? Assurément. Certains journalistes s'en sont d'ailleurs fait l'écho. Olivier Metzner, l'avocat de la fille de Bettencourt, est également celui de Villepin dans le procès Clearstream. Et c'est lui qui a proposé à la presse les fameux enregistrements pirates qui ont lancé cette avalanche de révélations, trois enquêtes préliminaires, un redressement fiscal de Mme Bettencourt en préparation, la démission d'Eric Woerth de la trésorerie de l'UMP, et des soupçons de financement illégal de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Pourquoi tant de hargne à droite ? Les plaies ne sont-elles pas refermées ?
Risquons-nous à une théorie.
Jacques est discret. Il attend son malheureux procès sur les emplois fictifs à la Mairie de Paris. Il se doute qu'il écopera d'une condamnation, surtout pécuniaire. Il espèrerait que l'UMP soit là pour assurer ses arrières et lui rembourser les frais d'une éventuelle condamnation. Mais Nicolas de l'Elysée aurait refusé. Même si Bernadette a multiplié les signes de rapprochement envers Nicolas, Jacques n'est pas parvenu à s'assurer un franc soutien de la part de son successeur au Palais. Quelques révélations plus tard, et voici toute la «modernisation» des dons orchestrée à l'UMP par Eric Woerth sous la tutelle de Nicolas Sarkozy dénoncée au grand jour.
L'UMP, une affaire de dons...
On a pu s'étonner que Nicolas Sarkozy dispose dès 2006 d'une association de financement distincte de l'UMP. Il n'est pas le seul. La lecture des comptes de campagne publiés au Journal Officiel pour les années 2006, 2007 et 2008, est parfois instructive.
Prenez Laurent Wauquiez. L'hebdomadaire Le Point publiait dans sa page confidentielle le 8 juillet dernier, que le secrétaire d'Etat à l'Emploi était allé faire de la retape auprès de quelques grands financiers français de la City à Londre, pour financer son mouvement politique Nouvel Oxygène. Le tout en pleine polémique du Woerthgate ! C'est au mieux maladroit au pire politiquement irresponsable. Nouvel Oxygène a été lancé en 2008. Ce groupuscule personnel de Laurent Wauquiez, affichait 34 000 euros de dons de personnes physiques pour sa première année, 22 000 euros de subvention politique, et quasiment aucune dépense. Rien d'illégal donc, à quémander un peu de subsides à des banquiers expatriés pour raisons professionnelles. Mais pourquoi solliciter des financements politiques quand on est encore membre du gouvernement et sans enjeu de campagne électorale ? Le secrétaire d'Etat s'en est expliqué : «C'est faux. Ce n'était pas un repas de financement, ni de financeurs, même s'il y avait parmi les convives des gens qui soutiennent mon action politique.»
Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale, avocat d'affaires et maire de Meaux, dispose aussi de sa structure personnelle, Generation France. Celle-ci est active. Copé y organise des colloques et conférences.. Il reçoit beaucoup, et dépense beaucoup. Son association est prospère : en 2006, elle récoltait déjà 117 000 euros de dons de personnes physiques. En 2007, riche année, les dons grimpent à 221 363 euros. En 2008, l'association récupère encore 116 065 euros. Au total, il a ainsi amassé plus de 450 000 euros auprès de personnes physiques en trois ans, en sus de l'UMP. Les dépenses du club de Copé sont englouties dans la rubrique «propagande et communication» : à peine 27 000 euros en 2006, mais 172 452 euros en 2007, puis 164 399 euros en 2008.
A côté, la Gauche Moderne, le nouveau parti créé par Jean-Marie Bockel quand il quitta le Parti socialiste pour le clan Sarkozy, fait pâle figure : 62 000 euros de dons pour sa première année en 2008. Heureusement, il a pu obtenir 108 000 euros de subventions «d'autres formations politiques». On devine que l'UMP joue le rôle de généreux donateur pour assumer les finances d'un parti sans adhérent. Les Progressistes d'Eric Besson sont tout aussi pauvres : aucun don, à peine 2 000 euros de cotisations d'adhérents, mais, là encore, 100 000 euros de subventions d'une autre formation politique. L'UMP fait décidément bien les choses pour maintenir cette façade d'ouverture.
L'affaire Bettencourt, elle, a connu de nouveaux rebondissements jeudi 15 juillet : quatre personnes ont té placées en garde à vue, dont Patrice de Maistre, toujours pas sur les soupçons de financement politique illégal. Deux anciens collaborateurs de Liliane Bettencourt, une ancienne secrétaire des Bettencourt et son ancien majordome ont confirmé certaines accusations de l'ex-comptable : «Je savais que M. et Mme Bettencourt aidaient financièrement des personnes politiques. C'était une évidence que ces personnes venaient pour cela» a déclaré la première aux policier qui l'interrogeaient. Le maître d'hôtel abonde...
Et Carla ?
Carla Bruni-Sarkozy, drapée dans le costume d'une dame patronnesse désintéressée, n'est pas à l'abri. L'Oréal aurait été d'un précieux secours à la fondation de Carla Bruni. La presse anglaise s'en est étonnée en début de semaine : le DailyMail parle de 500 000 euros de donation par Lancôme, une filiale du groupe de cosmétiques. En avril dernier, un autre quotidien, le Telegraph, évoquait une autre donation, de 500 000 euros, de la part de John Paulson, ancien président de Goldman Sachs, et son épouse.
Les frais de Nicolas
On se souvient que Sarkozy aimait gloser sur son prédécesseur. Jacques Chirac avait même été ennuyé par la justice à cause de ses «frais de bouche» à la Mairie de Paris avant 1995. Devenu président, il avait multiplié par neuf les frais de l'Elysée. Pour masquer sa boulimie dépensière, Sarkozy s'était ensuite abrité derrière des promesses de transparence. la belle affaire ! Il a porté les dépenses présidentielles à un niveau inégalé, et ce n'est pas qu'une question d'affichage.
L'Elysée sait cependant réagir. On l'a vu avec l'affaire des sondages l'an passé. Une petite page de commentaires de la Cour des Comptes dans son bilan 2008 des dépenses de la présidence de la République avait révélé une véritable machination sondagière au sommet de l'Etat. Nicolas Sarkozy a depuis fait le ménage. Les principales commandes de sondages ont été rapatriées au sein du gouvernement: le budget études et sondages est passé de 3,4 millions d'euros en 2008 à 1,2 millions d'euros l'année suivante. Le SIG géré par Thierry Saussez dispose d'une manne providentielle pour faire la pub des mesures gouvernementale. la dernière en date, en faveur de la réforme des retraites, a coûté quelques 7 millions d'euros de spots et encarts publicitaires à la télévision, la radio et dans la presse. Jeudi 15 juillet, la Cour des Comptes de Didier Migaud a donc noté des progrès en livrant son troisième rapport sur les frais de Nicolas. Le Figaro s'en félicite. Le quotidien a raison. L'Elysée est devenu prudent. La Cour soulève cependant quelques écarts finalement bien classiques en Sarkofrance :
1. En matière de sondages et d'enquêtes (cf. ci-dessus), la Cour note que l'Elysée a changé sa comptabilité analytique, pour affecter plus de 800 000 d'euros d'honoraires liés aux études sur un autre poste...
2. Nicolas Sarkozy use et abuse de son avion, il ne cesse de se déplacer (20% de son budget de 112 millions d'euros, avec un dépassement de 2 millions d'euros par rapport au budget: +45% versus 2008). Les voyages en Europe ont coûté 26% de plus qu'en 2008 (15 sommets pour 2,3 millions d'euros, et 6 autres déplacements pour 1,0 million). Le prix des voyages présidentiels hors Europe a cru de 46% (2 sommets seulement pour 1,7 millions d'euros, et 20 autres déplacements pour 8,8 millions d'euros). Enfin, les déplacements en France ont coûté 36% plus cher qu'en 2008, dont 0,6 millions d'euros seulement pour 3 sommets : le solde, ces fameuses «visites de terrain» se sont élevées à 5,3 millions d'euros pour 56 déplacements, plus d'un par semaine.
3. La Cour s'est particulièrement attardée sur 3 déplacements «représentatifs». Un simple meeting de 2 heures dans l'Ain le 10 septembre 2009 a coûté 128 000 euros. Le chef de Sarkofrance a notamment dépensé pour 17 000 euros d'aménagement d'un gymnase. Son périple, par ailleurs inutile, à New York lors d'une assemblée générale de l'ONU en septembre 2009 a coûté 1,15 millions d'euros. En particulier, le président français a fait réaménagé l'aménagement d'une suite à New York, pour quelques entretiens bilatéraux pour 13 000 euros de mobilier. Enfin, le G20 de Pitsburg, du 24 au 25 septembre, s'est chiffré à 542 000 euros. Soixante pour cent de ces coûts relèvent des déplacements eux-mêmes.
4. «La médiatisation des déplacements engendre des coûts de plus en plus élevés». La Cour note ainsi que les dépenses du service audiovisuel d'Elysee.fr sont passées de 465 000 euros en 2008 à plus de 1,2 millions d'euros en 2009 pour les déplacements en France ou à l'étranger. Sarkozy aime être filmé en permanence, et ne fait pas confiance aux médias pour relayer ses propos. «La Cour relève que l'engagement de ce type de dépenses est laissé à la seule appréciation de votre cellule de communication sans aucun contrôle en dépit de leurs montants.»
5. L'Elysée a fait fabriquer un fond de scène pour décorer l'arrière-plan de chaque déplacement présidentiel pour 141 000 euros.
6. Le coût de la réception organisée à New York pour les Français expatriés locaux, au Manhattan Center Studio n'avait pas coûté 400 000 euros comme certains journalistes s'en étaient inquiétés mais ... 273 000 euros, une jolie somme.
7. Les frais de restauration pour Sarkozy et son équipe à bord des avions pendant les déplacements sont gérés et facturés par Air France. Ces factures ont atteint 1,7 millions d'euros en 2009, mais elles concernent surtout l'exercice antérieur. La Cour s'inquiète de leur niveau, non provisionné, pour 2009. Le prix des repas par personne est hallucinant: entre 115 et 169 euros pour des trajets moyen courrier (Berlin, Tel Aviv, Nice, Bucarest, et Varsovie).
8. La restauration à l'Elysée, alimentation des personnels comprise, se chiffre à 8,3 millions d'euros, et a mobilisé 35 personnes à temps complet. «Sans méconnaître le prestige qui s'attache à la table du Palais et aux poids des traditions de la République en cette matière, on peut s'interroger sur l'importance des effectifs mobilisés et sur le poids de la charge représentée par le service de restauration de l'Elysée (...)». On reçoit donc beaucoup à l'Elysée. Ceci explique sas doute que les frais de ménages ont cru de 23% (1,7 millions d'euros).
9. La masse salariale de la présidence a baissé de 3,7% en 2009, une belle performance. Sur le site de l'Elysée, le directeur de cabinet du président se félicite même d'une réduction de 8% des effectifs de la présidence. Les salaires baissent de 3%, les effectifs près de trois fois plus. Cela signifie que certains ont eu de bien belles augmentations. La Cour rappelle la rémunération du président lui-même : 254 160 euros, stable par rapport à 2008 (ce traitement était de 130 000 euros en 2007). Mais elle ne livre aucun détail sur le périmètre des effectifs alloués à la présidence. Pour mémoire, ces derniers s'établissaient à 1031 personnes au 1er janvier 2008, puis de 943 au 31 août 2009. Le budget voté par l'Assemblée accordait 1033 collaborateurs, directs ou détachés, à l'Elysée. Depuis 2007, le nombre de collaborateurs directs est stable.
10. Remarque surréaliste, la Cour s'est félicitée de voir Nicolas Sarkozy payer directement ses dépenses privées... C'était l'un des points critiqués des rapports 2007 et 2008.
Ami sarkozyste, où es-tu ?