Depuis quelques jours, la statue d’Aphrodite découverte en 1820 par un paysan sur l’île de Mélos, dans les Cyclades, et devenue célèbre sous le nom de Vénus de Milo, trône de nouveau dans l’angle sud-ouest de la cour carrée du Louvre (aile Sully). Elle retrouve ainsi l’emplacement qui fut le sien de 1824 à 1848, quand elle devint l’une des pièces phares du département des antiques. Par son classicisme serein teinté de douceur et de sensualité, elle réussit à faire oublier la perte des antiques glanés par Napoléon dans toute l’Europe, tout particulièrement en Italie, qui retrouvait l’emblématique groupe hellénistique du Laocoon.
La salle a été laissée quasiment vide, habillée uniquement du chaud marbre rouge de Percier et Fontaine qui fait ressortir la blancheur du marbre de la Vénus, afin d’accueillir convenablement le flot des 6 millions de visiteurs qui viennent la contempler chaque année.
Le réagencement des salles vise bien sûr à faciliter la circulation dans cette partie du musée, contemporaine des derniers Valois, mais également à expliquer l’art grec au public qui afflue en nombre dans ces espaces. Pour ce faire, les deux galeries sud et nord qui débouchent sur la Vénus de Milo accueillent l’une un parcours thématique, la seconde un parcours géographique, de la Macédoine à l’Egypte.
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La galerie thématique évoque notamment, à travers des copies romaines, les œuvres de Lysippe (actif entre 370 et 300 avant J.-C.), portraitiste d’Alexandre le Grand, et de Praxitèle (actif entre 370 et 330 avant J.-C.), rendu célèbre par sa Vénus de Cnide, premier nu féminin de l’art grec, ainsi que par son Apollon sauroctone. Les copies de ces deux œuvres laissent entrevoir la douceur du modelé, la musculature estompée et la grâce des attitudes des originaux. Ces mêmes caractéristiques sont présentes chez la Vénus de Milo, probablement sculptée vers 120 avant J.-C.
Lui faisant face à l’autre bout de la galerie sud, la monumentale Pallas de Velletri oppose l’esthétique de la statue complète, miraculée ou restaurée à l’époque moderne, à l’esthétique du fragment qui s’imposa progressivement avec la Vénus de Milo, dont on renonça après d’âpres débats à reconstituer les bras, faute de connaître avec certitude leur position. La Vénus pourrait d’ailleurs être une Amphitrite, la femme de Poséidon étant vénérée à Milo. Des fouilles ou découvertes futures apporteront peut-être des éléments de réponse…
La galerie nord déroule quant à elle un panorama de l’art grec du IVe siècle avant J.-C. à la bataille d’Actium (31 avant J.-C.), qui marque la chute du royaume des Lagides, dernier royaume grec descendant d’Alexandre. De la Macédoine à la Cyrénaïque (actuelle Libye) en passant par la Turquie, sans oublier Athènes et l’Italie du Sud, les cinq salles de la galerie nord mettent en avant les particularités de chaque zone géographique tout en rendant visibles les similitudes d’un monde grec devenu très vaste à l’époque hellénistique, unifié sous le joug d’Alexandre le Grand d’abord, dominé par l’empire romain ensuite.
Le monde grec se nourrit des cultures autochtones, comme le montre l’exubérance de la céramique de Canosa (Apulie), dont les oenochoés s’ornent de protomes de centaures et de têtes de femmes. Tout aussi riche, le diadème découvert dans une tombe d’Italie du sud s’orne d’un décor végétal proliférant où s’entremêlent émail et perles de verre, dans un style influencé par l’orfèvrerie de la Macédoine. La patrie d’Alexandre le Grand est notamment représentée par des portes de tombes sculptées en marbre, possédant des gonds et un heurtoir en bronze. Afin de pousser l’illusion à son comble, ces dernières demeures vont jusqu’à posséder des lits peints imitant l’alliance de l’ivoire, de l’or et du verre du mobilier réel.
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Les portraits de rois et reines lagides, dont Cléopâtre VII, qui vit son royaume sombrer à Actium, rappelle que les Ptolémées, bien qu’ils aient régné sur l’Egypte comme des pharaons, étaient de culture et de langue grecques.
Les Attalides sont représentés par un grand vase funéraire dit « vase de Pergame ». Sur sa panse court une frise de cavaliers aux poses variées, dont les manteaux claquent au vent. La sensation de mouvement des chevaux lancés au galop s’accroît au fur et à mesure que le spectateur tourne autour au vase. Le sculpteur s’est joué de la faible profondeur du relief en introduisant une discrète perspective : la jambe avant droite des chevaux fait davantage saillie que la gauche, plus éloignée du spectateur.
Athènes continue d’être un centre religieux et artistique florissant, comme en témoigne une grande stèle funéraire érigée pour une femme morte en couche. A la douce mélancolie de la jeune servante portant un des nourrissons répond l’élégant contrapposto de la défunte qui anime l’himation, créant un réseau de plis autour de son bras qui soutient le second nouveau-né emmailloté.
Outre le dialogue avec les galeries de l’aile sud de la cour carrée, la Vénus de Milo entre en résonance avec le sujet des copies romaines de la salle des Caryatides, Vénus accroupies, satyres suppliciés ou pourchassant des nymphes. La veine du portrait chère à Lysippe y est représentée, de même que l’exaltation du corps féminin et l’expression de la souffrance, thème qui se développe à partir du IVe siècle avant notre ère.
Outre des antiques connus comme la Diane de Versailles ou le Silène éduquant Dionysos, citons un puissant Centaure marin portant un silène qui annonce presque le Bernin, et une Aphrodite acéphale, qui retient de la main gauche son manteau autour de ses hanches. Le vent gonfle le tissu, découvrant impudiquement les jambes de la déesse. L’eau de mer, où la statue est demeurée longtemps immergée, a émoussé le marbre, lui conférant presque le moelleux de la chair.
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Ce nouveau parcours autour de la Vénus de Milo donne au visiteur assidu ou occasionnel l’occasion de dépasser son statut d’icône devenue intemporelle, d’image acheiropoïète, pour la replacer dans son contexte de création, dans les jeux d’inspiration et d’influences qui l’ont vu naître.
Les photos sont issues du dossier de presse du Musée du Louvre :
1. La Vénus de Milo, copyright 2010 musée du Louvre / Angèle Dequier
2. La Vénus de Cnide, copie romaine, copyright 2006 musée du Louvre / Daniel Lebbée et Carine Deambrosis
3. Askos à tête de Méduse, Canosa, copyright RMN / Hervé Lewandowski
4. Diadème, Canosa, copyright 2005 musée du Louvre / Erich Lessing
5. Lit funéraire de Thessalonique, copyright musée du Louvre / Anne Chauvet
6. La Vénus de Milo, copyright 2010 musée du Louvre / Anne Chauvet