La mort de la culture française?...

Publié le 16 décembre 2007 par La Fille Aux Chaussures

  

  Vingt-sept nouveaux romans en quelques semaines. Très bien. Mais citez un écrivain français qui ait aujourd'hui un impact international? Ainsi commence le long article, passablement contradictoire, que l'hebdomadaire américain «Time» consacre à la mort de la culture française...

Un Monsieur Bip coiffé d'un béret regarde tristement une fleur qui s'étiole... Cette image, qui compresse deux mythes tricolores (le célébrissime personnage du mime Marceau et le béret - manque que la baguette...) orne la couverture de l'édition européenne du «Time» daté du 3 décembre 2007. Un titre choc l'accompagne: «La mort de la culture française». Suit un long article de sept pages, au fil desquelles Donald Morrison analyse ce qui semble être pour lui un phénomène incontestable : le déclin accéléré de la culture française.

«Personne ne prend la culture plus au sérieux que les Français, écrit-il. Ils la subventionnent généreusement; la cajolent avec des quotas et des abattements fiscaux. Les médias français lui donnent énormément de place sur les ondes comme dans les colonnes de leurs journaux. Même les magazines de mode offrent des chroniques littéraires sérieuses, et le 5 novembre, l'annonce du prix Goncourt -un des 900 prix littéraires français- a fait la une de tous les journaux du pays. (Il est allé à Gilles Leroy pour «Alabama Song».) Chaque ville de France, quelle que soit sa taille, a son opéra annuel ou son festival de théâtre, et chaque église son concert d'orgue ou de musique de chambre le week-end.

Mais il y a un problème. Tous ces grands chênes qu'on abat dans la forêt culturelle française ne font guère de bruit dans le vaste monde. Autrefois admirée pour l'excellence de ses écrivains, artistes et musiciens, la France d'aujourd'hui est une puissance qui s'étiole dans le marché culturel global. [...] Seule une poignée de romans de cette saison trouveront un éditeur à l'étranger. En moyenne, moins d'une douzaine trouvent chaque année preneurs aux Etats-Unis, alors que 30% des livres de fiction publiés en France sont traduits de l'anglais.»

Avant de revenir sur les causes de ce désintérêt de l'étranger pour la production littéraire française, Donald Morrison brosse un portrait plutôt déprimant de la création française dans tous les domaines. «Dans le domaine de l'art, Paris, qui a vu naître l'impressionnisme, le surréalisme et autres ''ismes majeurs'', a été supplanté, au moins sur le plan commercial, par New York et Londres Le cinéma français, qui a pourtant réussi à préserver une production importante (200 films par an), en tout cas incomparablement supérieure à celle de ses voisins (Allemagne, Espagne, Italie, Grande-Bretagne notamment) est, aux yeux du journaliste américain, sans grande ambition, quasiment provincial et souvent trop bavard. Il est loin, dit-il, le temps de la Nouvelle Vague, quand Godard, Rivette, Truffaut et quelques autres révolutionnaient le septième art, marquant des générations de cinéastes à travers le monde. (Moyennant quoi, il s'emballera plus loin pour «Taxi», de Luc Besson. Sans un mot sur Abdellatif Kechiche, Arnaud Depleschin, François Ozon, Olivier Assayas, Olivier Dahan, ou Agnès Jaoui, ni même sur le pourtant très international «Fabuleux Destin d'Amélie Poulain»...)

Pour la musique, le constat n'est guère plus réjouissant: «La France a des compositeurs et des chefs de réputation internationale, mais pas d'équivalents comparables à ces géants du XXe siècle que furent Debussy, Ravel, Satie et MilhaudLà, Donald Morrison pousse le bouchon un peu loin: on lui rappellera que - pour ne parler que d'eux - Pierre Boulez ou Henri Dutilleux, même s'ils ont atteint un âge respectable, sont aujourd'hui dans une forme artistique éblouissante, et célébrés, joués, étudiés dans le monde entier. Du côté du rock ou de la pop? «Vite. Nommez une pop star française qui ne soit pas Johnny Hallyday», s'amuse-t-il. Eh bien, rien de plus simple, mon cher Donald : Air et Daft Punk, les porte-drapeaux de la fameuse french touch ne sont-ils pas les chéris de tout ce que les Etats-Unis comptent de plus branché, de Sofia Coppola –qui a composé la b.o. de «Virgin Suicides»? Air...)– à Beck? A quoi on pourrait ajouter le nom de Laurent Garnier, DJ qui parcourt sans trêve la planète de Tokyo à Detroit, de Manchester à New York, ou celui de l'altermondialiste franco-barcelonais Manu Chao, qui est en train de faire un carton sur les campus américains.

Pour Donald Morrison, la littérature française est malade. Atteinte de nombrilisme aigu. Et du coup rien ne rayonne plus hors de nos frontières depuis Malraux, Sartre et Camus. «L'abstraction et la théorie ont longtemps été prisées dans la vie intellectuelle française, et amplifiées dans ses écoles. Nulle part cette tendance n'est plus apparente que dans le domaine de la fiction française, qui souffre toujours des effets du mouvement du “nouveau roman” des années 1950, très introspectif. Nombre des romanciers français actuels les plus révérés écrivent des fictions sèches, élégantes, qui voyagent mal. D'autres pratiquent ce que les Français appellent l'autofiction - des Mémoires à peine camouflés qui ne font pas mystère de leur profond narcissisme. Ainsi Christine Angot a-t-elle reçu le prix de Flore 2006 pour “Rendez-vous”, une épuisante et introspective dissection de ses histoires d'amour. Michel Houellebecq, un des rares écrivains français largement publiés à l'étranger, est d'abord connu pour sa misogynie, sa misanthropie et son obsession pour le sexe.»

Comme il n'en est pas à une contradiction près, Donald Morrison renverse cependant aussitôt la vapeur pour constater que «les romanciers français se concentrent de plus en plus sur ce qui se passe ici et aujourd'hui : un des grands livres de cette rentrée littéraire, ‘‘L'Aube le soir ou la nuit'' de Yasmina Reza, raconte la récente campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Un autre livre saillant, ‘‘A l'abri de rien'' d'Olivier Adam, met en scène les immigrants du fameux camp de Sangatte.» Après s'être extasié sur le renouveau de la chanson (il cite Camille, Benjamin Biolay et Vincent Delerm), le rap d'Abd al Malik et Diam's, le voilà qui s'exclame que la France pourrait bientôt renouer avec sa gloire passée: «Les musiques d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine ont plus d'espace dans les magasins que dans n'importe quel autre pays. Des films venus d'Afghanistan, d'Argentine, de Hongrie et d'autres pays lointains remplissent les cinémas. Des auteurs de tous les pays sont traduits en français, ce qui, inévitablement, aura une influence sur la prochaine génération d'écrivains français. En dépit de ses quotas et de ses subventions, la France est un paradis pour les amateurs de cultures étrangères.» Au fait, où James Joyce, Henry Miller, Robert Frank ont-ils été édités pour la première fois? A Paris.

Autre oubli troublant: pas un mot, dans cet article de «Time», sur l'extraordinaire influence qu'ont sur les campus américains -et ailleurs- des penseurs comme Michel Foucault et Jacques Derrida, et où enseignent toujours Michel Serres ou René Girard. Comme disait Lacan, à chacun sa lacune.

B. L.

bibliobs.nouvelobs.com 

Il est clair que  les propos de Donald Morrison sont (expressément?) caricaturaux et orduriers. Ils illustrent bien là les relations d'amour-haine qu'entretiennent depuis des décennies la France et les Etats-Unis. Mais derrière ce trait certes forci, n'y décèle-t-on pas une vérité qui fait mal? La culture française n'est-elle pas en perte de vitesse?
J'espère que cet article fera réfléchir certains, car dans un pays qui se vante de placer la Culture au-dessus de tout, est-il normal de paraître de plus en plus complexé d'être cultivé et de voir s'étioler d'année en année les budgets alloués à la Culture.
Il est temps que la culture française sorte du nombrilisme (voire du parisianisme) dans lequel elle s'est depuis trop longtemps enfermée. La France devrait s'inspirer de l'Espagne et de son partenariat avec les pays d'Amérique latine et se rendre compte enfin de la fabuleuse chance que représente la Francophonie...