Par contre, dès qu’il y a un peu plus de distance avec la représentation, on trouve des pièces beaucoup plus intéressantes : David Lamelas adoptant le personnage d’une star du rock, Robert Malaval tentant d’écrire un livre sur les Rolling Stones,
Katharina Sieverding jouant de l’ambiguïté sexuelle avec ces visages hybrides (combinaison de son autoportrait et du visage de son
mari Klaus Mettig) en résonance avec tant de chanteurs rock maquillés ou travestis (
Transformer). De même
Linder (bien avant Shadi Ghadirian) affirme par ses montages une posture radicale et féministe : cette pochette pour un single de
Buzzcocks titré
Orgasm Addict montre un corps nu, des bouches souriantes sur les seins et un fer à repasser en guise de tête.
Rhona Bitner photographie des salles de concert vides, décrépites, abandonnées, suspendues, des endroits où l’esprit a soufflé, travail sériel sur la mémoire et l’oubli passionnant (
Saint Andrews Hall). Dans un même registre, il y a aussi l’évocation de groupes disparus, comme
Destroy All Monsters, fondé à
Detroit par Jim Shaw et Mike Kelley, qui tous deux partirent
vers d’autres horizons, la sulfureuse
Niagara et Cary Loren, gardien de la mémoire.
Du côté des vidéos, j’ai revu le terrible Guitar Drag de Christian Marclay avec toujours la même admiration pour ce travail, filmé le 18 novembre 1999 au Texas en mémoire de James Byrd Jr., homme noir lynché par des blancs,
dont le corps fut attaché à l’arrière d’un pick-up et trainé sur des kilomètres, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Marclay fait un parcours similaire, en attachant à l’arrière de son camion une guitare électrique reliée à des haut-parleurs installés sur le pick-up. La guitare est trainée sur la route et sur les pierres, ses sons stridents ainsi amplifiés sont insupportables, pendant les quatorze minutes d’agonie. La pire musique de toute l’exposition en est sans doute la plus poignante.
A l’entrée de l’exposition, projetée sur un mur lépreux, la vidéo Portraits de Céleste Boursier-Mougenot ne semble montrer que des mains de guitaristes en gros plan : l’image en noir et blanc est pauvre et dépouillée (et hélas impossible à photographier), les moyens low-tech sont délibérément réduits au minimum. L’artiste détourne une fois de plus ses instruments en branchant la caméra sur un ampli : nous entendons le bruit de l’image, dans cette déconstruction expérimentale attaquant le fondement même de la création du son, la rendant sinon aléatoire, en tout cas non maîtrisée.
Cette exposition est enfin l’occasion de voir dans son intégralité
Rock My Religion, de
Dan Graham, composition très dense et critique, où l’auteur relie le mouvement religieux des Shakers (fondé par
Ann Lee), le
Revival religieux de 1801 et des rituels indiens à l’émergence du rock; l’extase religieuse et l’extase des fans se rejoignent dans une même transe. Mais le rock, dit-il, est le premier mouvement musical 100% commercial, conçu pour l’exploitation économique des adolescents. De
Jerry Lee Lewis soucieux de théologie et en débattant avec son producteur Sam Phillips, on passe à
Jim Morrison sur le pouvoir sexuel du rock et son émasculation symbolique quand il exhibe son pénis en public. Dan Graham conclut sur la figure de
Patti Smith en grande prêtresse du rock, sauveuse messianique et actrice inconsciente de l’aliénation induite par le rock. 55 minutes de bonheur ! Ce regard intelligent et critique, cette réflexion sur le rock comme mouvement culturel et social sont le point fort de cet ensemble. On en sort en regardant les gentilles photos de stars avoisinantes avec un oeil beaucoup plus aiguisé.
Plus tard, au
Musée Réattu, je vois des grandes photographies de
Patrick Bailly-Maître-Grand, les
Astéroïdes : l’artiste coule de la résine transparente sur des CDs, puis les place dans un agrandisseur. On peut alors voir les rides, bosselettes et vagules de la surface, irradiées de lumière, comme un écho visuel de la musique gravée là, comme une évocation de la symphonie céleste. Ce
Sgt Peppers’ Lonely Hearts Club Band n’aurait pas déparé dans l’exposition aux Ateliers.
Photos Dister, Destroy All Monsters et Bailly-Maître-Grand par l’auteur. Photos Sieverding et Bitner courtoisie du service de presse des Rencontres d’Arles. Katharina Sieverding étant représentée par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin de l’exposition.