La fermeture du service de radiothérapie de l’hôpital de Guéret, effective depuis le 30 juin, n’en finit pas de semer le trouble dans un département, la Creuse , réputé pour sa tranquillité. L’émoi de la population et des élus, tous bords confondus, s’explique aisément. Les patients seront contraints de se rabattre sur Montluçon (Allier) ou Limoges (Haute-vienne), deux villes distantes respectivement de 60 et 90 kilomètres. Trop, c’est trop. Samedi, les 260 maires du département ont décidé unanimement de rompre leurs relations avec l’État. Toute collaboration avec les services de l’État est suspendue. Si aucune solution n’est trouvée d’ici à septembre, une démission collective est envisagée.
Lundi, Hugues Moutouh Préfet de la Creuse estimait que “la politique de la chaise vide n’est pas forcément la meilleure des politiques“. Sa déclaration au micro France Bleu Creuse, l’un des principaux médias du département, même empreinte de bonne volonté frise le ridicule : “Je ne laisserai pas les patients creusois être traités comme la cinquième roue du carrosse. Je dis simplement aux malades et aux familles des malades qui ont l’impression de ne pas être correctement traités, de m’appeler, je (les) prendrai au téléphone“.
La fermeture du centre de radiothérapie de Guéret, confirmée la semaine dernière par le tribunal administratif de Limoges est justifiée par le fait que ce centre accueillait 200 patients par an, soit trois fois moins que le seuil minimal d’activité, de 600 personnes, défini par le ministère de la santé en mars 2007.
A l’évidence l’application de ce seul critère ne colle pas aux spécificités des départements ruraux que de telles dispositions technocratiques semblent vouer à devenir des réserves d’indiens. Derrière la beauté de ses paysages, la Creuse cumule un certain nombre de handicaps. Le premier d’entre eux est d’être un département pauvre (plus faible revenu moyen net imposable), à faible densité (124 000 habitants), qui détient surtout le triste titre d’être le département le plus vieux de France avec un habitant sur trois âgé de plus de 60 ans ou plus.
Pourtant, son caractère préservé constitue désormais un atout pour des urbains stressés à la recherche d’une autre qualité de vie. Depuis 1990, plus de 19000 personnes sont venues s’installer en Creuse, tandis que 16600 Creusois la quittaient, d’où un solde migratoire excédentaire de de 2500 personnes en 9 ans.
Reste que le département est très peu irrigué de transports en commun comme le relève le docteur Rachid Elie Loufti. Le président départemental de la Ligue contre le cancer note qu’avec cette fermeture, les malades du cancer dans la Creuse devront effectuer plus d’une heure de route, pour se faire soigner. Aller-retour ce sera en fait minimum deux heures de trajet pour dix minutes de séance mais des délais d’attente “jusqu’à cinq semaines”, “alors que les services des villes voisines sont déjà surchargés” s’emporte Michel Vergnier, député-maire PS de Guéret.
Les élus du département ne sont pas d’horribles dépensiers peu soucieux des deniers publics. En 2009, la direction de l’hôpital de Guéret avait fait une proposition à la seule clinique de la ville de créer un partenariat public-privé qui permettrait au centre de radiothérapie de prendre de l’envergure et d’accueillir les 600 patients demandés. L’idée avait été soumise au ministère de la santé qui l’avait jugée dans un premier temps “très bonne” avant de se rétracter et de décider de la fermeture à la fin 2009.Le tempétueux député (UMP) de la Creuse Jean Auclair, en garde une dent contre Roselyne Bachelot. “J’ai squatté toute une nuit sur la moquette devant le bureau de Roselyne Bachelot pour qu’on reparle de la radiothérapie. Elle ne m’a même pas reçu” déplore le parlementaire qui se présente lui-même comme un “sarkozyste acharné”. Depuis, Jean Auclair demande la démission de Roselyne Bachelot “parce qu’elle n’est pas capable de prendre ses responsabilités, elle fait comme l’équipe de France, comme Domenech, elle nous lâche en rase campagne et ça, c’est inadmissible de la part d’un ministre“.
Signe qu’il se passe bien quelque chose, les sept curés de la Creuse ont décidé de joindre leur voix au mouvement de manifestation contre la fermeture du service de radiothérapie qu’ils considèrent “comme majeur”. Un courrier co-signé, “un cri de vie” a été adressé sous forme de lettre ouverte notamment à Roselyne Bachelot. “Avec la disparition de ce service nous franchissons à nouveau un degré supplémentaire dans la spirale de désertification du département. Au jour le jour, nous sommes témoins privilégiés de la vie des familles, des villages, des communes de cette région. Nous ne pouvons nous résoudre à voir ce département perdre ses forces vives, et les structures vitales qui permettraient de le développer à égalité avec d’autres départements ruraux. Mme la ministre, vous vous montrez capable de vous mettre au chevet d’une équipe de France de football bien malade. Montrez-nous que vous êtes capables de vous mettre à l’écoute et au chevet d’un département qui ne veut pas rester sur le banc de touche, et qui demande à vivre avec les mêmes moyens que les autres”.
Il y a belle lurette que dans le délitement général de la puissance publique, la notion d’aménagement du territoire et de service public s’est effacée devant les impératifs financiers. A croire qu’il est plus facile de fermer des services que de négocier des tarifs raisonnables avec les grands groupes pharmaceutiques ou les multinationales qui vendent du matériel médical. A titre d’illustration, le groupe Johnson & Johnson annonçait de façon très brutale à la mi-juin la fermeture de son usine d’Auneau (Eure-et-Loir) propriété de sa filiale Ethicon spécialisée dans la fabrication de matériel chirurgical. Bien que bénéficiaire l’usine de 365 salariés sera délocalisée en Amérique du Sud. Et comment parler décemment d’économies quand les rapports officiels épinglent la gabegie qui a entouré la gestion de la grippe H1 N1.
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