Il fait froid ce matin, si froid que je puis m’empêcher à tous ceux qui ne sont pas du bon côté de la fenêtre, observant,
comme moi, le lent ballet des mouettes affamées.
Affamé, l’êtes-vous ? Vous, qui, depuis si longtemps que j’en ignore le début, m’accueillez d’un « Bonjour,
Madame ! » rocailleux, à chaque fois que je me rends dans le petit centre commercial de mon quartier. Assis sur un tabouret de toile, peut-être pas si âgé que votre apparence le
suggère, vous interpellez ainsi tous ceux qui passent à votre proximité.
Je me souviens d’un jour où j’ai perçu enfin que vous ne compreniez pas un mot des phrases que je prononçais, pour abolir la distance entre nous. Alors, depuis, nous communiquons par un
sourire. Vous savez que régulièrement je viens déposer une offrande symbolique à vos pieds. Pas de l’argent, non, mais le superflu, ce que l’on pense rarement à offrir à quelqu’un qui semble
n’être plus qu’attente. Et vous m’offrez à votre tour ce sourire qui me brise , il me rappelle des temps anciens, où nos places respectives étaient alors imbriquées.
De quel pays venez-vous ? Qui veille sur vous ? Où allez-vous lorsque vous cessez soudain d’être part constituante du muret contre lequel vous vous appuyez ? J’ai toujours la
crainte de ne plus vous revoir.
Alors, ce matin, je suis saisie d’un violent sentiment d’inutilité à ne pouvoir vous réchauffer, et, à travers vous, c’est à toutes ces étincelles vacillantes allongées sur les trottoirs de nos
villes que je songe.
Je ne vous oublie pas. Aucun d’entre vous. Jamais.