L'Inde compte plus de pauvres dans seulement 8 de ses 28 États qu'il n'y en a dans les 26 pays les plus démunis d'Afrique, selon un nouvel indice créé par l'université Oxford pour les Nations unies, indice qui vient raffiner le portrait que l'on fait de la pauvreté dans le monde.
Plus de la moitié des 1,2 milliard d'Indiens vivent toujours dans la pauvreté en dépit de la spectaculaire croissance économique qu'a connue le pays depuis des années, ont rapporté hier les chercheurs de l'Oxford Poverty & Human Development Initiative en dévoilant leur nouvel Indice de pauvreté multidimensionnelle. De ce nombre, on en trouverait plus de 421 millions rien que dans huit États de la fédération indienne, alors que les 26 pays les plus pauvres d'Afrique en comptent 410 millions. Ces chiffres globaux cachent toutefois des écarts marqués en termes de nature et de gravité entre régions urbaines, comme celle de Delhi qui n'a que 15 % de pauvres, et régions rurales, comme l'État du Bihar où cette proportion atteint 81 %.
«Le sort des personnes pauvres n'est pas seulement déterminé par leur niveau de revenu», ont souligné les auteurs de l'étude qui se sont penchés sur le cas de 104 pays en voie de développement représentant 78 % de la population mondiale. «Notre indice va plus loin que les approches habituelles en reflétant aussi le degré de privation des personnes pauvres en matière d'éducation, de santé et de niveau de vie.»
Le nouvel indice a été mis au point en collaboration avec plusieurs experts, dont ceux du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Il se base, en fait, sur dix indicateurs allant du taux de scolarité à la mortalité infantile, en passant par le degré de malnutrition, l'accès à l'électricité et la possession de quelques biens de consommation.
Selon ce nouvel outil, les 104 pays étudiés compteraient 1,7 milliard de pauvres, dont plus de la moitié (51 %) se trouveraient en Asie du Sud et un peu plus du quart (28 %) en Afrique.
Ce chiffre de 1,7 milliard est supérieur au total de 1,3 milliard auquel on arrive avec l'habituelle mesure de la Banque mondiale, qui établit le seuil de pauvreté extrême à un revenu de 1,25 $US par jour. Certains pays voient ainsi leur taux de pauvreté grimper brutalement, comme l'Éthiopie, qui passe de 39 à 90 %, et le Pakistan, qui passe de 23 à 51 %. D'autres, au contraire, apparaissent sous un meilleur jour, comme la Tanzanie (de 89 à 65 %) et le Vietnam (de 22 à 14 %).
L'un des avantages du nouvel indice est qu'il permet de mieux évaluer non seulement le niveau, mais aussi la gravité de la pauvreté, disent ses concepteurs. C'est une chose de ne pas manger à sa faim tous les jours, de ne pas pouvoir envoyer ses enfants à l'école ou de même pas avoir de plancher dans sa maison, mais c'en est une autre d'avoir tous ces problèmes en même temps.
Un autre avantage est de pouvoir aller au-delà des moyennes nationales et de discerner les différences importantes qui séparent souvent les régions et les groupes ethniques. «C'est une image en haute définition qui révèle toute la gamme des problèmes auxquels sont confrontées les familles les plus pauvres», déclarait hier l'une des conceptrices de l'indice, la professeure Sabina Alkire.
L'Inde et la Chine
Dans le cas de l'Inde, on constate, par exemple, qu'en dépit d'une croissance économique fulgurante et d'une baisse du taux de faible revenu, la proportion des enfants de moins de trois ans qui sont sous-alimentés n'a pratiquement pas bougé de 1998 (47 %) à 2006 (46 %). Ainsi, le taux de pauvreté en Inde ne serait pas de 29 %, comme le disent les statistiques gouvernementales, ni de 42 %, comme le dit la Banque mondiale, mais de 55 %. La situation serait particulièrement grave en zone rurale, où les principaux problèmes sont la malnutrition, la faible présence des enfants à l'école primaire et la mortalité infantile.
L'autre grande économie émergente, la Chine, ferait meilleure figure de ce point de vue. Si on en croit les statistiques de 2003, son score à l'échelle du nouvel indice de pauvreté (12 %) se révèle même supérieur à la proportion de sa population vivant avec moins de 1,25 $ par jour (16 %). Là encore, le problème serait plus aigu en zone rurale, mais tiendrait cette fois essentiellement à la faible proportion des ménages comprenant au moins un membre ayant cinq années d'école.
Le nouvel indice arrive à point nommé, disent ses concepteurs, alors que la communauté internationale doute de plus en plus de sa capacité d'atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement qu'elle s'était fixés pour 2015. Il permet, par exemple, de voir que les pauvres de Syrie, d'Irak et d'Azerbaïdjan ont actuellement moins besoin qu'on relève leur pouvoir d'achat que d'un meilleur accès aux services minimums de santé et d'éducation. Il permet aussi de voir comment le Bangladesh a pu réduire son taux de pauvreté de 69 à 59 % en l'espace de seulement trois ans grâce à une vaste campagne encourageant l'envoi des enfants à l'école.
Miroir, miroir
Les chercheurs d'Oxford ne sont pas les seuls à essayer d'améliorer les outils de mesures à notre disposition depuis des années. De nombreux autres experts travaillent depuis des années sur de nouvelles façons d'évaluer le progrès économique et social des nations. Le prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, en appelait encore l'automne dernier à l'invention d'un nouvel indice du bien-être.
Les concepteurs du nouvel indice de pauvreté ont dit hier souhaiter y ajouter des indicateurs sur l'emploi, la sécurité des personnes et leur capacité d'influencer leur propre destinée dès qu'on aura les données nécessaires. Ils ont promis, en attendant, de dévoiler un deuxième rapport qui porterait, cette fois, sur les pays développés.
Le PNUD a d'ores et déjà annoncé qu'il intégrera leur nouvel outil de mesure à la vingtième édition de son fameux Rapport sur le développement humain attendu cet automne. Le Mexique a dit qu'il l'adoptera aussi à des fins nationales, alors que le Chili et la Colombie l'envisagent.
Source : Le Devoir