Conflit d'intérêt, Françafrique et droits de l'homme: le 14 juillet pourri du Président.

Publié le 15 juillet 2010 par Juan
La fête nationale fut gâchée. Sarkozy croyait avoir obtenu un répit depuis sa prestation télévisuelle. Les sondages, même ceux du Figaro, ont montré qu'il n'en est rien. La venue de 13 dirigeants africains, dont quelques beaux spécimens des dictatures soutenues par la France a miné les cérémonies. Il pleuvait même des cordes pendant le défilé des armées. Et, malheureux calendrier, l'assemblée nationale venait d'adopter, la veille, l'une des pires adaptations de son droit pénal à la Cour pénale internationale.
Les temps sont pourris.
Sarkozy n'a pas convaincu
Sarkozy n'a pas convaincu au-delà de son électorat. Le constat est sévère, car il émane du Figaro. Depuis la prestation présidentielle sur France 2 lundi soir, sondages, réactions et commentaires se sont évidemment multipliés. Ils sont à l'unisson: Nicolas Sarkozy a raté son intervention.
Un tiers des téléspectateurs lundi soir avaient choisi de regarder le Chef de Sarkofrance, soit 6,6 millions de personnes. Un score honorable, mais sans gloire, l'un des plus mauvais du Chef de la droite pour plus d'une heure d'interview télévisée. A droite, on ne satisfait pas des hésitations présidentielles depuis le déclenchement de l'affaire Woerth et des polémiques en tous genres qui ont affecté certains ministres. Le 1er juillet dernier, Yves Thréard, le directeur de la rédaction du Figaro, écrivait réclamait sans détour : «il a tort d'attendre. Les affaires ont déterioré le climat, le temps est pourri.»
Le temps reste pourri. Mardi, Eric Woerth se trouvait impliqué dans une nouvelle affaire, la vente à prix jugé bradé d'un terrain de course dans l'Oise. Mercredi, deux nouvelles révélations affectent la Sarkofrance :
1.  Libération, dans son édition du 14 juillet, révèle que Florence Woerth, l'épouse du ministre, a proposé ses services à deux banques suisses en 2009. Désireuse de quitter Clymène, la société gestionnaire de la fortune Bettencourt, elle aurait postulé auprès de deux filiales françaises d'établissements helvétiques. Dans le même temps, son mari lançait sa chasse médiatique à la fraude fiscale. Recalée, Florence Woerth s'est épargnée de justesse un nouveau conflit d'intérêt. Chaque jour, on découvre les contours d'une droite sans gêne qui, de bonne foi, ne voit pas de mal à commercer avec les grands de ce monde.
2. Mediapart a poursuivi son enquête sur ces petites associations satellites qui permettent à l'UMP de contourner légalement mais allègrement les plafonds de financement politique. Le mémo confidentiel de Patrice de Maistre aux Bettencourt de septembre 2006 publié par le Nouvel Obs mardi, tout comme l'un des enregistrements pirates de ses conversations avec Liliane Bettencourt,en ce moment, il faut qu'on ait des amis») mentionnaient des versements à Nicolas Sarkozy : le destinataire de ces dons était une curieuse «Association de soutien à l'action de Nicolas Sarkozy», un micro-parti dont le président était en 2008 Christian Estrosi, et le trésorier Brice Hortefeux. Au total, cette formation a collecté plus de 400.000 euros en 2006 et 2007, rapporte Mediapart. 400 000 euros en contournant l'esprit de la loi sur le financement des partis et des candidatures politiques !
Le 30 juillet prochain, Eric Woerth quittera sa fonction de trésorier de l'UMP. Grâce à lui, l'UMP a modernisé comme personne sa collecte de fonds auprès des plus fortunés du pays, jusqu'en Suisse. Cette modernisation vient de lui péter à la figure à la faveur de l'affaire Bettencourt. 
 
La démocratie s'arrête sur les Champs Elysées
Mercredi, quelques échantillons de forces armées africaines ont défilé sur les Champs Elysées à Paris. Nicolas Sarkozy voulait associer 13 anciennes colonies françaises aux cérémonies du 14 juillet.
La veille, il recevait à déjeuner les dirigeants de ces pays d'Afrique francophone à l'Elysée, l'occasion d'un hommage contesté et contestable à «la force des liens que l'Histoire a tissés entre nos peuples. Et la force de cette rencontre, c'est de construire ensemble notre avenir.» Et d'ajouter : «L'objet de notre rencontre n'est donc pas de célébrer vos indépendances -vous le faites vous-mêmes très bien.» Le chef a précisé: «Je sais bien tout ce que la notion de 'relations privilégiées', de 'relations spéciales' charrie de soupçons et fantasmes (...) mais le moment est venu de l'assumer ensemble, sans complexe et sans arrière-pensées.»
Sarkozy a ensuite confirmé que les pensions de tous les anciens combattants de l'armée française résidant à l'étranger, quelle que soit leur nationalité, seraient alignées sur celles des anciens combattants français: «Il est des dettes qui ne s'éteignent jamais. C'est le cas de celle que la France a contractée envers vos pays, où commença de briller, voici 70 ans, la flamme de la France Libre, et dont les fils ont versé leur sang pour libérer la France.» Trente mille personnes attendaient cette décision qui répare une injustice notamment évoquée dans le film Indigènes de Rachid Bouchareb en 2004.
Le Chef de Sarkofrance a promis de consacrer 60 millions d'euros par an, sur trois ans, pour former 50 000 jeunes Africains par an. Il n'a pas oublié l'armée, et promis dans la foulée, 100 millions d'euros par an, sur trois ans également, pour former 12 000 soldats africains «au maintien de la paix». Un soldat vaut mieux qu'un étudiant. Surtout en Françafrique. Certains symboles sont détestables.
Des ONG ont manifesté, en soirée, contre la présence de ces dictateurs et autres présidents autoritaires, dont certains ont échappé grâce à la complaisance de la justice française, à un procès pour détournement de fonds. «Nous sommes scandalisés de la présence dans la tribune officielle (...) de dictateurs qui tirent sur leur peuple», a ainsi déclaré Odile Tobner, présidente de l'association Survie.
La France trahit le droit pénal international
Parlons des droits de l'homme, justement. Hasard du calendrier, les députés UMP en voté le même our en faveur de la loi sur l'adaptation de notre droit pénal à la Cour pénale internationale. Le texte complète la définition des crimes contre l’humanité, et ajoute un paragraphe sur les crimes et délits de guerre. Mais il est critiqué, et critiquable, pour plusieurs raisons:
1. De façon surprenante, il prévoit que l'auteur d'un crime de guerre peut être absous s'il ne savait pas que l'ordre de commettre ledit crime était illégal et que ledit crime n'est pas d'apparence illégale: «En outre, l’auteur ou le complice n’est pas pénalement responsable dans le cas où il ne savait pas que l’ordre de l’autorité légitime était illégal et où cet ordre n’était pas manifestement illégal.» (cf. Art. 462-8.).
2. Le texte tolère également les crimes de guerre commis par une personne qui «a agi raisonnablement pour sauvegarder des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité du danger couru.» Notez le terme: «raisonnablement». Le sang se glace.
3. Le texte soumet les poursuites par les autorités françaises à quatre conditions cumulatives : (1) le suspect doit résider «habituellement sur le territoire français»; (2) les faits commis doivent être «punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis»; (3) les poursuites ne pourront être exercées «qu'à la requête du ministère public» (donc pas de plaintes citoyennes) et (4) la CPI doit avoir décliné «expressément sa compétence» et «aucune autre juridiction internationale» ne doit avoir demandé son extradiction (cf. Art. 689-11). Fichtre ! Quels crimes de guerre vont donc pouvoir être poursuivis en France ? La CPI a justement été créé en cas de défaillance des Etats pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. la Sarkofrance applique à l'envers le droit pénal international en soumettant l'éventualité de ses propres poursuites à l'existence ou non d'une action de la CPI... On croît rêver.
Faut-il voir dans cette transposition scandaleuse du droit pénal international dans la législation française le résultat d'un lobbying actif de dictatures amies ou simplement le désir de leur plaire ?
Lundi, la France s'était déjà doté d'un curieux arsenal contre journalistes trop curieux. La loi sur «l'action extérieure de la France», concoctée par l'Elysée et le Quai d'Orsay, est un fourre-tout : création d'une nouvelle catégorie d'établissements publics, «contribuant à l'action extérieure de la France à l'étranger», création d'un un établissement public «chargé de développer l'expertise et la mobilité internationale», création d'un autre «pour l'action culturelle extérieure», «modernisation» de l'expertise technique internationale, instauration d'une allocation versée directement aux conjoints expatriés dans les postes diplomatiques et consulaires, et ... définition des «dispositions relatives au remboursement des frais de secours engagés par l'État à l'occasion des opérations de secours à l'étranger.» Ce dernier point est le plus troublant, le reste n'étant que toilettage et communication. L'article de loi est bref et limpide:
«L'État peut exiger, dans la limite d'un plafond fixé par décret, le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a engagées ou dont il serait redevable à l'égard de tiers à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger au bénéfice de personnes s'étant délibérément exposées, sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence, à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer au regard des mises en garde reçues.»
En d'autres termes, les journalistes pris en otage dans des zones dangereuses pourront être contraints de rembourser leurs frais de libération et rapatriement. L'article ne précise pas si les rançons sont exclues. A priori, elles ne le sont pas. Voici qui devrait décourager les journaux et leurs grands reporters trop curieux. Qui témoignera de la situation réelle de l'Afghanistan ou de l'Irak ? Le service d'information des armées. Lundi soir, Nicolas Sarkozy avait d'ailleurs eu cette curieuse expression, à propos des deux otages de France 3 retenus en Afghanistan, qui en disait long sur son état d'esprit : «Nous ferons tout pour les sortir de la situation où ils se sont mis.»
Belle démocratie.
Mercredi soir, le chef de la droite s'est échappé pour un long weekend de 4 jours. Il était temps. Ces vraies vacances sont pour plus tard, du 3 au 24 août, a précisé l'Elysée.
Ami sarkozyste, pars en vacances également.

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