Entretien avec Jan Kapriski... un temps rédacteur en chef de la revue (éphémère) : Littérature et écriture.
***
Jan - « L’heure du bilan a sonné !» m’as-tu annoncé Serge. Tu es venu me voir et tu m’as demandé de conduire cet entretien. Il sera donc question de ta présence sur le Web depuis trois ans, et de ce que tu souhaites nous dire à ce sujet ; ça peut être utile auprès des auteurs qui se posent la question suivante : « Qu’est-ce qu’Internet peut bien m’apporter ? ». On commence par l’audience de ton blog, ou plus généralement, ton audience sur le web...
Serge ULESKI - Cela fait disons un peu plus de 2 ans que « j’existe » sur le net. Difficile d’évaluer mon lectorat mais… je le situe entre 6000 et 10000 par mois - ce qu’on appelle les « visiteurs uniques » -, en audience cumulée sur les trois sites suivants : Nouvelobs, Lepost.fr et le JDD.
- C’est ma manière à moi de me démultiplier ; notion très importante avec Internet. Si vous voulez qu’on vienne chez vous, il faut aller chez tous les autres. Aussi, je suis partout où il y a de la lumière... même celle d’une bougie. Chaque billet publié sur ce qu'on pourrait appeler mon blog-maître, celui du nouvelobs, fait l'objet d'une publication sur une trentaine d'autres sites.
- D’où ton Pagerank de 5.
- C’a demandé pas mal de travail pour obtenir un tel pagerank ; un travail à plein temps ; il faut pouvoir intervenir sur l'actualité, avoir un avis sur tout ou presque... Mais je cible en priorité les sites à forte audience.
- Et les sites qui traitent de littérature ?
- La plupart de ces sites n’acceptent pas de contributions extérieures. Ces sites sont fermés ; ils fonctionnent en vase clos ; aucune chance de s'y faire connaître ; de plus, ce sont des sites très confidentiels, à faible, voire très faible audience.
- Pourtant, tu interviens bien sur des sites tels que Exigence Littérature, Oulala, Agoravox, ActuaLitté, Contre-feux… et quelques autres.
- Quand ils ont la gentillesse d’accepter les billets que je leur propose. Mais seuls ActuaLitté et Exigence littérature traitent spécifiquement du livre et de la littérature.
- Je t’ai vu chez l’éditeur Léo Scheer, sur sa plateforme M@nuscrit.
- Je vais partout, même si je ne suis pas chez moi et qu'on peut toujours me virer ; il n’y a donc pas de raison que je ne sois pas sur cette plateforme.
- Faut préciser qu'à cette époque, tu étais à la recherche de solutions d’édition-papier pour tes textes ; solutions que tu as par la suite trouvées.
- Exact.
- Pour reprendre cette idée de « démultiplication »… tu interviens sur les sites tantôt en tant que contributeur, ou bien alors, tu utilises la fonction « commentaire »…
- Avec cette fonction propre à Internet, j’interviens sur les journaux en ligne tels que Libé, Le Point, le JDD, Le Figaro, l'Express, Rue89, Marianne, Slate.fr...
- Tes interventions vont bien au-delà du simple commentaire. Il est plutôt question de rebond ou de prolongement…
- On répond à un texte par un texte. C’est ma position en ce qui concerne le "commentaire ; commentaire qui peut occuper une place qui ne lui est pas destinée, et ce faisant devenir le centre d'une parution dont le contenu initial se trouve renvoyé à la périphérie.
- Le commentaire devient alors le nouveau centre d’attention ?
- C'est ça. Une seule règle néanmoins : il faut respecter le sujet traité par le billet.
- Ta démarche peut être à l’origine de quelques tensions...
- C’est le risque. Tensions du côté de l’auteur du billet original ou bien, des internautes qui interviennent, eux, sous la forme concise du commentaire. Faut bien dire qu’il y a sur Internet et les sites généralistes à forte audience, un refus de tout ce qui est disons écrit ou étoffé ; sur Internet, on aime la concision, et donc les commentaires courts. C'est sans doute la BD qui est responsable de cette situation ; la BD et ses effets sur deux générations ainsi que les méthodes d'enseignement du français depuis plus de trente ans ; les nouveaux outils de communication sont aussi en cause : les portables et les sms ; pour faire court : l'hégémonie irréversible de l'image et du son, et par voie de conséquence... les problèmes que rencontrent les internautes quand il faut passer à l'écrit.
- Avec Internet, le niveau est toujours un problème, non ?
- C'est vrai : on y trouve pas que des as de l'écrit ou du raisonnement. Mais... il faut le dire : Internet permet à nombre d’auteurs, d'artistes et de créateurs à la marge des milieux culturel, artistique et médiatique de s’exprimer ou de présenter leur travail ; et ces internautes-là représentent de surcroît près de 99% de ceux qui créent ; et j'en fais partie. Internet est aussi là pour pallier la disparition de ce qui s’est longtemps appelé « Le café du commerce » : lieux où l’on pouvait dire ce qu’on pense, donner son opinion quelle qu’elle soit ; ces lieux ont pratiquement disparu. Internet a pris le relais ; une différence de taille quand même : avec Internet, la parole libérée est souvent une parole anonyme, sans nom ni visage...
- D'où les excès.
- Et qui plus est : une parole formulée dans l'instant, dans l'humeur ; une parole sans recul qui se propage à une vitesse vertigineuse auprès d’une audience potentiellement illimitée.
- Toi-même, comment gères-tu les commentaires des internautes ?
- Chez moi, la fonction "commentaire" est modérée a priori. Mais je valide tous les commentaires – quelle que soit leur longueur -, sauf les insultes : on a le droit d'écrire que je suis nul sans même avoir besoin de l’expliquer ; en revanche, on ne peut pas écrire que je suis un gros con car, là, on franchit la ligne jaune.
- D'autant plus que tu es grand et mince.
- Merci de le préciser.
- C'est fait.
- Dans l’ensemble, les commentaires que l’on me soumet sont plutôt constructifs ; mon billet sur DSK n’a pas fait de remous. Sur Alain Soral...idem, et alors que cet auteur fait l’objet d’une haine inextinguible ; ainsi que Dieudonné qui garantira des records d’audience à quiconque poste un billet à son sujet. Sur Godard, Eastwood et Marc-Edouard Nabe, j'ai essuyé quelques insultes mais rien de grave en soi.
- Quelle est la fréquence de tous ces commentaires ?
- Beaucoup se plaignent d'Internet. A son sujet, ils n’hésitent pas à parler de "poubelle".
- Les critiques les plus virulentes ont pour origines ceux dont la notoriété est antérieure à Internet ; notoriété qui repose sur la télé, la radio et la presse écrite. Et puis, il faut bien aussi mentionner cette caste médiatique qui, depuis toujours, prétend au monopole de l'analyse et du commentaire ; et cette caste médiatique moribonde (à la tête de médias déliquescents dont les jours sont comptés) découvre avec Internet qu’elle est loin de faire l'unanimité auprès d'un public spectateur-lecteur-auditeur-critique avec lequel elle n'avait, jusqu'à présent, aucun contact direct ; protégée qu'elle était, aujourd'hui cette caste accepte mal la liberté d'opinion. C’est la raison pour laquelle elle a recours au rejet et au mépris
- Quels sont tes billets qui ont rencontré le plus de lecteurs ?
- Un billet sur Dieudonné et puis un autre sur l’affaire Fofana.
- Et la censure ? As-tu eu à t’en plaindre ?
- Non, pas trop. Lepost.fr est le seul site disons leader qui m'ait censuré, en dehors des plateformes à forum.
- Lepost.fr t'a censuré à propos de quels articles ?
- Sur les articles suivants : Cendres d'hommes, de femmes et d'enfants ; un billet dans lequel je fais la remarque suivante : plus l’armement est sophistiqué, moins les soldats meurent et plus les civils trinquent ; un autre article sur la psychanalyse qui a pour titre Les nouveaux vampires ; et un autre encore : ironie suprême, ce billet a pour titre La tentation de la censure : encore et toujours ! billet destiné à dénoncer la censure dont sont victimes Dieudonné, Nabe, Soral ainsi que les menaces qui pesaient sur une expo concernant l’œuvre de Jean-Edern Hallier.
- Autre ironie... il t'est arrivé de faire la UNE du Post.fr !?
- Oui. Comme quoi... tout est possible sur Internet. On vous censure et puis, on vous place en Une...
- Sur quel sujet c'était cette Une ?
- L’affaire Fofana... Sur le Net, il s'agit surtout de censure préventive : dans le doute, on préfère bâillonner le bloggeur. La censure est exercée par des responsables éditoriaux dont le courage est loin d'être la qualité première (on m'affirme que certains d'entre eux changent de pantalon plusieurs fois par jour !), et par des « modérateurs » (ainsi appelés) véritables commissaires politique ; et pour finir... par des petits chefs et caporaux aussi bornés qu'incultes. Pour exercer cette censure, la grande majorité des hébergeurs qui n'a pas les moyens de contrôler tous les contenus se repose sur la délation par l'intermédiaire de la fonction Alerter (ou avertir - bel euphémisme pour dénoncer) ; en un clic on alerte ; celui qui dénonce restant anonyme : pas de visage ni de nom ; juste une adresse IP.
- J'imagine... ils doivent tous s'en donner à coeur joie !
- On peut dire ça, oui.
- Autre chose maintenant : en parcourant ton blog, j’ai remarqué que tu affiches sous chacun de tes titres un compteur de vente.
- Depuis la mise en ligne progressive de mes titres de septembre 2009 à Juin de cette année, j'en suis à un moyenne de 600 exemplaires par titre.
- C'est plutôt encourageant non ?
- Comme on a pu le voir avec les commentaires, les ventes représentent grosso-modo un peu moins de 10% de l'audience. Aussi, si 10% des lecteurs laissent un commentaire, il semblerait qu'il y ait le même pourcentage qui achète mes ouvrages.
- Seule solution pour augmenter les ventes : augmenter l'audience.
- En effet.
- Cela dit, pourquoi ce faible taux de retour sur ton "investissement", si j'ose dire : investissement dans la toile en général et dans ton blog en particulier ?
- Plusieurs raisons ; j'en retiendrai deux : parmi les lecteurs de mon blog, certains viennent simplement pour y lire ce que j'ai à dire sur tel ou tel sujet plus ou moins d'actualité ; et qui plus est, ils ne lisent pas de "littérature". Quant à ceux qui en lisent encore, laisse-moi éclairer un aspect parfois négligé, pourtant primordial de la lecture ou de la non-lecture d’une œuvre à l’égard de laquelle tout lecteur serait tenté de se détourner d’instinct, avec à l’esprit cette considération imparable et fatale à tout auteur non estampillé écrivain : à quoi bon la lecture d’un texte dont on n’est pas assuré de la légitimité
- Un peu comme la signature sur un tableau ?
- Oui.
- Et cette légitimité, où le lecteur ira-t-il la chercher ?
- Le lecteur ira la chercher dans un premier temps, auprès des éditeurs (un ouvrage estampillé Gallimard jouira d’une légitimité et d’un prestige incomparables), et dans un second temps : auprès des critiques, des éditorialistes, des commères en tous genres, magazines, radios, télés, bien évidemment. Et si par malchance l’auteur et son texte n’ont pas été validés par une bonne partie de tout ce beau petit monde, le lecteur aura très vite le sentiment de perdre son temps en s’adonnant à une lecture pour rien ou pour si peu ; une lecture et un livre pour personne sinon les proches de l’auteur.
- Il peut changer ce regard des lecteurs sur les auteurs auto-édités, non ?
- Oui. Sans aucun doute. Mais... ça va prendre du temps.
- Que penses-tu de l’expérience de Marc-Edouard Nabe et son anti-édition dont on nous a rebattu les oreilles pendant des semaines ?
- Rien à dire de particulier. Ce que Nabe appelle l’anti-édition est une formule pompeuse et creuse que tous les imbéciles autour de lui – et on me dit qu’ils sont nombreux -, ont reprise. Si Nabe fait de l’anti-édition, il s’agit tout bêtement d’édition anti-éditeurs et anti-libraires : anti-FNAC disons. No big deal ! La véritable anti-édition signerait l’arrêt de mort du livre et de l’écrit au bénéfice d’une littérature orale ; une littérature de l’ouïe, une littérature du bouche à oreille qui se déclamerait sous (ou derrière) le « masque ». La seule originalité de la démarche de NABE c’est son passage de l’édition à compte d’éditeur à l’édition à compte d’auteur, même si les éditeurs l'ont un peu aidé puisqu'il n'en trouvait plus. Nabe fait simplement de l’auto-édition mais… avec un siècle de retard : l’auto-édition de Nabe date d’une époque où les auteurs devaient payer leurs exemplaires avant de les écouler auprès de leurs lecteurs. Nabe n’a manifestement jamais entendu parler de l’impression papier à la commande qui se pratique sur le Net depuis quelques années maintenant ; système d’impression dans lequel l’auteur n’a rien à débourser, excepté le lecteur lorsqu’il commande un ouvrage.
- Tu as recours à ThebookEdition…
- TheBookEdition est un imprimeur qui gère toute la chaîne de l’édition : de l’impression à la facturation et l’envoi du manuscrit commandé par le lecteur. En ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage - mise en page et mise en forme -, l'auteur contrôle tout à la virgule près. On peut aussi à tout moment effectuer des corrections, des modifications... le livre que reçoit le lecteur étant la dernière version chargée par l'auteur sur l'interface de l'imprimeur.
- Tu veux dire qu'aujourd'hui, il peut circuler des versions différentes de chacun de tes titres ?
- Je parlerais de corrections ou de modifications mineures en ce qui me concerne, même si des changements majeurs sont possibles. C'est bien de savoir que l'on peut toujours intervenir sur ses textes. Rien n'est figé, jamais, avec Internet et ce système d'impression papier à la demande ! Ensuite, je n’ai qu’à toucher la part qui me revient sur le prix de vente. Avec ce système de publication, l'auteur est vraiment rémunéré ; et le prix de son livre n'en est pas plus élevé pour autant : entre 18 et 22 Euros pour un ouvrage de 200 à 350 pages ; au-delà de 350 pages, il est vrai que c'est un autre problème : un problème de prix si l'auteur souhaite maintenir les mêmes marges.
- Rien à voir avec les 8% d'un éditeur donc !
- Et plus encore quand il s'agit d’un éditeur qui n’a pas les moyens de faire connaître les ouvrages qu’il publie. Franchement, je ne vois pas comment des auteurs peuvent encore aujourd’hui accepter les conditions qui leur sont faites ; et notamment la cession à vie et au-delà, des droits sur leur propre travail, sur leur sueur et leur sang ?! Et en échange de quoi, franchement ? Disons les choses : des pans entiers de l’édition ont longtemps eu pour occupation principale la chasse aux subventions ; notamment les petits-éditeurs-sangsues de la province, gérants-salariés de leur propre maison, installés dans des communes aux codes postaux du type 64258 ou 34878 ou bien encore 12145 (ne cherche pas : ces codes sont fictifs), bien au vert dans des hameaux, des villages et autres lieux-dits, un salaire confortable en fin de mois, le tout sur le dos des auteurs qu’ils éditent et qui ne verront jamais leurs livres dans les bacs des points de vente qui comptent. Nul besoin de le déplorer, personne n’aurait pu soupçonner qu’ils y étaient… puisque ces éditeurs n’ont pas les moyens de faire connaître les ouvrages qu’ils éditent. Sans oublier le fait suivant : compte d’éditeur ou d’auteur, n’est-ce pas toujours l’auteur qui paie la fabrication et la diffusion de son livre ?! Pourquoi crois-tu qu’un éditeur donne 8% à son auteur ? 8% du fruit de son travail ? Où donc sont passés les 92% restant ?
- On parle depuis quelques années maintenant d'une crise du livre…
- Est-ce vraiment le livre qui se porte mal ou bien les éditeurs ? Et plus particulièrement ceux qui n’ont pas les moyens de faire connaître les livres et/ou les auteurs qu’ils éditent ? A l’avenir, je crois que les éditeurs qui ne seront pas capables de “rapporter” des lecteurs à leurs auteurs auront du souci à se faire. Avec Internet et l'impression numérique à la commande, l'auteur pourra voler de ses propres ailes.
- Tu veux dire qu'Internet lui fournira des lecteurs ?
- Oui. Même si cela demandera de la part de l'auteur, un travail quotidien pour développer sa notoriété et sa crédibilité : sites, plateformes communautaires, forums...
- Tu penses que d’ici peu, le seul intermédiaire “toléré” par les auteurs entre un livre et son lecteur sera l’imprimeur, et seulement l’imprimeur ?
- C'est fort possible à moyen terme pour les auteurs dont les livres sont appelés à occuper un petit segment du marché ; et plus ce segment est limité, plus l'auteur a besoin d'un pourcentage de rémunération élevé : seule l'auto-édition est capable de le lui garantir.
- Sujet à suivre donc…
- Même si la course s’annonce bien plus courte qu’elle n’en a l’air ! D’ici dix ans, ce sera plié.
- Sinon, tu comptes sortir combien de titres ?
- 12 titres sont prêts. 8 sont sortis. Il m’en reste donc 4. D’ici un an, tous mes titres pourront être commandés sur ThebookEdition.
- Alors, ce bilan ?
- Positif ; encourageant donc. On ne lâche rien. On continue : de l'audience, encore de l'audience, toujours plus d'audience ! Et je salue ceux qui me lisent, et doublement ceux qui me soutiennent : et je les salue tous fraternellement et même... confraternellement."
__________________________
Pour prolonger... cliquez A la découverte de Serge ULESKI
cliquez Ouvrages de l'auteur
__________________________
Pour prolonger... cliquez A la découverte de Serge ULESKI
cliquez Ouvrages de l'auteur