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Max | Les mots

Publié le 14 juillet 2010 par Aragon

rimbaud_voyelles_manuscrit.jpgElle veut que je parle. Ce sont des mots qu'elle attend, des mots qui ne viendront jamais. Je ne sais pas parler, à vrai dire je ne sais pas faire grand chose. Je n'aime pas travailler, je n'aime pas serrer des mains, je n'aime pas les foules denses, je n'aime pas danser, je n'aime même pas marcher, c'est épuisant.

Je sais me coucher sous un arbre et attendre ces heures que je ne connais pas.  Je sais boire de ces vins italiens porteurs de toutes les Gironde, des exquises Toscane. Je sais nager.  Je sais grimper à un arbre.  J'adore mon VTT. Je sais écrire mais il est difficile d'avoir une ardoise dans sa poche, une petite éponge humide dans une boîte en plastique, des craies en permanence à la main pour communiquer avec son prochain.

Les mots m'échappent, je lis ceux des autres, les écrivains et  les poètes, je sais lire mes propres écritures, mes écritures sans ratures. Je sais dire, je sais réciter, je sais mentir, je sais bafouiller, je sais oublier, je sais renoncer à moi, je ne peux prononcer aucun mot.

Quand le mot vient à ma bouche, ma dent l'écrase, ma salive le recouvre, je le déglutis alors, je l'avale tout cru, en un clin d'oeil. Pourquoi ? Je devine tous les mots des autres avant même qu'ils ne soient sortis de leurs bouches. Mon mot à moi reste à l'état de lettres errantes, désarticulées, pantelantes, abattues avant même d'avoir été rassemblées en phrases, avant d'avoir vécues. Je sais tout de la carpe et de son mimétisme, je sais ouvrir la bouche, la dessiner en rond, en cul de poule même, mais elle reste vierge de l'écho, elle reste orpheline à jamais de ces intonations qu'elle ne saura pas.

Ce sont des mots qu'elle attend, il faudra bien qu'elle attende longtemps, peut-être voudra-t-elle se coucher avec moi dans ces champs de l'été porteurs de toutes ces odeurs reconnues : pommes mûres, foin séché,  se coucher avec moi pour attendre ces mots qui de toute façon ne se presseront pas, resteront bien cachés, voudra-t-elle attendre ? Les mots ne sortent jamais polis d'une bouche, je m'entends, polis comme pierre précieuse, ils sont à presque tous les coups charbons noirs dans leurs gangues. Qu'ils restent donc dans leurs boyaux profonds. Les mots ne sont pas justes chez moi, la ligne courbe est leur plus droit chemin pour aller d'un point à un autre.

Un coeur sur chaque rive. C'est la destinée du mot, c'est sa vocation. Il n'y a pas de pont  dans le langage, le mot doit s'assumer et il doit bien prendre son élan pour sauter sans dommage d'une rive à l'autre. Exercice périlleux, impossible chez moi, ça se terminerait invariablement à la flotte ! Ce sont des mots qu'elle attend, c'est des chansons que je voudrai lui chanter. Je sais chanter aussi et rire également.

Voilà ce que je pourrai faire, lui proposer des chansons et des éclats de rire. Mes mots ne lui seraient d'aucune utilité, ils sont vains, ils sont croches, ils sont bancals, ils sont bruts ainsi que je le disais plus haut. Mais elle veut mes mots. Pourquoi bon Dieu ! Pourquoi s'acharne-t-elle ainsi ? Mon regard la transperce, mon silence l'enivre, mais que pourrais-je faire ? Il faut m'aider mon coeur, il faut les secouer ces foutus mots qui s'accrochent au tréfonds, les faire s'agiter, les faire s'expulser de leur bleue pouponnière, les forcer  à monter, à sortir vers les autres, s'accrocher au larynx, rebondir sur la glotte, patiner sur la langue, prendre de l'assurance, s'aiguiser sur mes dents, s'essuyer à mes lèvres, écarter ma moustache pour jaillir au grand air, une bonne fois pour toute vivre leur destinée, boire leur liberté. Il faut que je parle, il faut que je parle, oui, il faut que je parle si je veux être libre...


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