La mascarade du bac

Publié le 14 juillet 2010 par Laurelen
Super ! Pour la première fois, le taux de réussite au bac à la Réunion ( 86%) dépasse la moyenne nationale. La série S atteint même 91% ! (les 9% qui ne l'ont pas eu doivent être particulièrement mauvais). Le préfet saute de joie et félicite les lauréats ayant déjà eu les félicitations du jury.
Le recteur ne cache pas son bonheur. La presse y va de sa petite larme de fierté... On ne va pas jouer le vieux refrain réac du "c'était mieux avant", mais qu'on nous permette d'émettre un bémol sur la portée de cet hymne à la joie. Le bac, d'accord, mais après ? Le premier diplôme universitaire, qui ouvre de fait les portes de l'enseignement supérieur, est apparemment sur-côté. C'est du moins ce que constatent des profs d'université, qui enseignent depuis plusieurs années à l'île de la Réunion, et qui voient le niveau global des étudiants baisser symétriquement à l'augmentation (constante depuis 20 ans) du taux de réussite au bac. "C'est désespérant. Passons sur les fautes d'orthographe, mais ils ne comprennent même pas les énoncés. En licence, c'est quand même grave", lâche un prof de sciences. "Leurs connaissances scientifiques sont bonnes, mais ils ont vraiment un problème avec le français. Et quand on ne comprend pas ce qu'on lit, ça ne sert à rien de savoir appliquer des notions techniques", ajoute-t-il.
Même constat pour cette maître de conférences en lettres : "en licence ou en master, les étudiants passent alors que les copies sont truffées de fautes. Si on appliquait un barème de 2 points enlevés par faute, peu de copies dépasserait les 1 sur 20". L'embêtant, c'est qu'en fac de lettres, une majorité d'étudiants se destine aux concours de l'Education nationale. Les futurs profs de Français qui ne maîtrisent ni l'orthographe, ni la grammaire, c'est effectivement gênant.
Le Pirate a pu consulter des copies d'étudiants en licence et en master, et, en effet, c'est assez désespérant. Mais sauf à recaler 80% des étudiants, "il n'y a pas grand chose à faire", lâche notre prof de lettres.
Il semblerait qu'en droit et en science éco, la situation soit moins désespérée. "Le droit, c'est beaucoup de boulot, beaucoup de "par coeur", surtout en première année, et les étudiants les moins motivés abandonnent dès la première année. En licence, il reste les éléments les plus accrocheurs", constate un enseignant.
Le niveau baisse, c'est une antienne qu'on entend depuis quelques décennies. Mais pour les profs de l'université de la Réunion, c'est aujourd'hui une réalité tangible. La faute a un bac formaté pour être attribué au plus grand nombre. Le rectorat nie avec véhémence toute complaisance dans l'attribution des notes. Mais un président de jury, interrogé il y a déjà quelques années par Le Pirate, met les pieds dans le plat : "bien sûr qu'on a des instructions. Comme la police, on a des quotas à atteindre. les fameuses "commissions d'harmonistation", c'est à ça qu'elles servent". Bon, ça ne nous empêchera pas de féliciter les heureux lauréats du bac 2010. Pour une fois qu'on fait mieux que la métropole, autant en être fièr. Parce qu'il ne faut pas se leurrer : les mêmes causes produisant les mêmes effets, de l'autre côté de la mer, les étudiants sont aussi fâchés avec les mots.

Laurelen