Nord et Sud

Jacques Verdier est une voix qui compte dans le rugby Français. Il est le rédacteur de chef du journal du rugby, Midi Olympique, et ses éditoriaux du lundi résonnent souvent comme des oracles : on y adhère ou pas, mais on en tient compte. Qui plus est, Jacques Verdier est un peu la "conscience" du milieu. Un milieu auquel il appartient mais envers lequel il garde une forme de recul salutaire. Bref, ce qu'on appelle "une voix autorisée".

Pourtant, force est de constater que son dernier édito "interpelle", comme on dit. Ou, plus précisément, une phrase, glissée en fin du pénultième paragraphe : "Mais peut-être faut-il préciser les choses en rappelant que si l'on regarde beaucoup le Tournoi au nord de la Loire, les lecteurs du Midol, considérés comme "coeur de cible", en terme de marketing, semblent, eux, avoir fait leur choix [en faveur du Top14]."

En gros, le raisonnement se fonde sur la comparaison entre le nombre d'exemplaires vendus après la finale Clermont / Perpignan (150000) et les ventes après France/Angleterre (100000) et sur le fait que Midol se vend essentiellement dans le sud de la France pour dire que le XV de France attire plus au Nord qu'au sud, ce denier préférant les joutes domestiques.

L'argument est un peu court car il omet de dire que la victoire de Clermont, historique, a sans doute conduit de nombreux amateurs à acheter le Midol en guise de "collector", alors que le Grand Chelem de l'équipe de France a eu un retentissement moindre.

Mais c'est surtout le fait d'opposer nord et sud qui agace. Il est toujours un peu pénible de voir alimentée de cette façon un forme de condescendance des spécialistes du sud de la France à l'égard de ceux qui n'ont pas eu la chance de naître ou de simplement d'habiter dans les régions qui vivent le plus évidemment le rugby. Prétendre qu'au Nord de la Loire (voire de la Garonne) on ne saurait se passionner pour le championnat de France de rugby autant qu'au sud tient d'une forme d'évidence qui, comme souvent, doit être nuancée, pour ne pas dire battue en brêche.

En premier lieu, la passion pour ce sport et plus particulièrement le Top14 n'est pas forcément consubstantielle à la lecture du Midol. On peut être rebuté par le côté hyper-spécialisé de ce journal. Un amateur de ma connaissance me disait n'être pas forcément passionné par les pages consacrées à la musculation ou à la vie des comités. Qui plus est, la diffusion du Midi Olympique n'est pas nécessairement assurée de la même manière à Lille qu'à Toulouse. Et qu'on le veuille ou non, on ne va pas courrir après un journal s'il n'apparaît pas sur les étals des marchands.

On pourrait également insister sur le fait que le comité d'Ile-de-France compte près de 35000 licenciés (contre 33200 pour le comité Midi-Pyrénées, par exemple) ou qu'il y a plus de licenciés dans le comité du Centre que dans celui du Béarn. Et ces licenciés, leur famille et au-delà ceux qui s'intéressent au rugby au Nord de la Loire savent profiter des facilités télévisuelles pour regarder les matches du Top14, apprécient d'aller à Jean Bouin ou à Colombes, et regrettent sans doute qu'il n'y ait pas un club du Top14 à Nantes ou à Lille. Enfin, ce n'est pas parce qu'on joue en Honneur dans l'Ain ou en Fédérale 3 en Bretagne qu'on n'est pas supporter de Toulouse ou de Toulon.

D'ailleurs, le succès des audiences télévisuelles du championnat ne serait pas aussi évident si les téléspectateurs du nord de la Loire ne participaient pas activement au phénomène.

Sauf à considérer Midi Olympique comme l'alpha et l'omega de la vérité rugbystique, et Jacques Verdier son prophète officiel, nous pensons pour notre part que l'argument soulevé par le rédacteur en chef de cette publication n'est qu'à peine convainquant.

On sait bien que le plaidoyer pro-domo et l'autopromotion de sa publication est un penchant naturel chez les rédacteurs en chef de journaux. Mais venant de Monsieur Verdier, on est un peu déçu...