Une République en délabrement – #2 La corruption de la démocratie

Publié le 14 juillet 2010 par Vogelsong @Vogelsong
“Dès que l’on met un qualificatif derrière le mot République, il faut s’inquiéter. Soit on est fort sur les principes, soit on les aménage…” S. Tessier à propos de la « République irréprochable » de N. Sarkozy le 12 juillet 2010
La voix puissante de F. Fillon résonne dans l’hémicycle “Vous avez perdu, la démocratie a gagné”. C’est en ces termes que le premier ministre en 2010 conçoit le jeu démocratique entre les acteurs de la scène politique française. Une dichotomie franche entre les méchants et les gentils. Pourtant, pris au coeur de la tourmente de conflits d’intérêts et de présomption de financements illicites, c’est avec l’assurance des vainqueurs que les politiciens de l’UMP, promus au rang de dictaphones, déversent à l’envi des généralités sur la République. Comme le souligne S. Tessier de l’association « Anticor« , la corruption gangrène la démocratie, et plus que cela elle évoque par des pratiques politiques et culturelles la corruption même de la démocratie.Un jour avant la fête nationale, l’association Anticor a remis une lettre dans une enveloppe Kraft aux 577 députés de l’Assemblée nationale. Signifiant à la représentation du peuple qu’ils ne signifiaient plus rien. Ou plus grand-chose. Que devant le discrédit de la classe politique française, il fallait prendre ses responsabilités. Changer. Changer, car le rôle de la représentation nationale ne se borne pas à entériner les petits caprices du gouvernement à l’écoute de seuls intérêts particuliers, mais doit le contrôler dans ses excès. Et ce n’est plus le cas depuis longtemps.L’intérêt particulier élevé au rang d’idéologieC’est probablement ce qu’il restera du sarkozysme, une fois que la poussière des fracas sera retombée. La contemplation d’une société névrosée enfermée dans ses petites turpitudes, ses petites combines où l’autre n’est plus un concitoyen partageant le même espace national, mais un concurrent dangereux à l’impitoyable jeu de la réussite. Où tout se vend, tout s’achète. Car ce qui s’est instillé depuis la prise de pouvoir de la nouvelle génération d’élus UMP constitue une autre de manière d’appréhender le « bien commun ». Non pas par une vision collective du bien public, souvent très différente, voire antagoniste des intérêts privés, mais plutôt une société de la débrouille où les plus nantis s’égayeront à leur gré, laissant les outsiders à leur médiocrité. Ce qui restera de l’ère Sarkozy ce sera ça. Une société recroquevillée et paranoïaque.Le règne de l’intérêt privé par les loisDerrière le discours manichéen, il y a les faits. Le gouvernement de F. Fillon a dispensé les largesses de la République à des intérêts catégoriels, spécifiques qui entraînent de facto un pourrissement de l’idée de démocratie. En pratique depuis son accession, les amis de N. Sarkozy se sont largement goinfrés. Par le biais des normes législatives ou des décisions politiques. Que cela soit sur la libéralisation des jeux d’argent, où l’on apprend que la femme du ministre E. Woerth qui présente la loi d’ouverture des jeux en lignes est liée à la direction du PMU. Un petit exemple de ce que la république fait de plus irréprochable. Dans un autre domaine, la campagne de vaccination menée par R. Bachelot semble s’apparenter plus à du copinage d’officines qu’à une politique de santé publique rigoureuse. Les entrepôts garnis de vaccins l’attestent. Mais plus important, l’orientation générale donnée par le gouvernement sur sa politique économique et sociale. Outre la loi TEPA sensé booster l’économie, le gouvernement a prétendu moderniser le pays et faire face au défi de la mondialisation. Mais plus grave, il finance les délocalisations. Par l’intermédiaire d’aides de l’État jamais soumises à contreparties. Les entreprises détruisent des emplois puis délocalisent. Le centre d’appels « teleperformance »,  par exemple, prestataire de l’Etat français, dégage des bénéfices, dispose d’aides publiques, mais transfère ses emplois au Maroc.De quel intérêt général s’agit-il ? Un député (quel que soit son bord) peut-il l’expliquer à un honnête citoyen ?La France un havre fiscalLa France sous certains aspects peut s’apparenter à un paradis fiscal. Une panoplie de défiscalisation a largement été déployée. Elle l’a été notamment au profit d’une catégorie spécifique de la population. À ce petit jeu, les plus fortunés y trouvent leur compte. Le taux marginal d’imposition peut chuter jusqu’à 25%, c’est-à-dire le taux d’imposition d’un salarié moyen.D’autre part, la république a procédé à un désarmement unilatéral face à la fraude fiscale. Une fraude qui représente 50 milliards d’euros par an. Une peccadille que F. Baroin préfère ignorer. Concentrant son attention à la fraude aux prestations sociales et à la baisse des aides aux logements étudiants. S’il était besoin de montrer la détermination de la droite pour récupérer l’argent soustrait au fisc, c’est 15 000 postes d’agents qui auront été supprimés sur 10 ans. F. Baroin, le gouvernement Sarkozy n’inverseront pas la tendance.Alors que l’État n’a plus de ressources, le gouvernement consent depuis une décennie des  avantages de plus en plus grands aux catégories les aisées de la population. Les élus de la république rendent indirectement plus de comptes aux actionnaires qu’aux citoyens.De quelle démocratie s’agit-il ? De quelle souveraineté populaire parle-t-on ?La politique de la démotivationMais il semble que la majorité actuelle pense tirer profit du dégout général. Au petit jeu de l’abstention ou de l’émergence du Front national, c’est la droite qui l’emporte. À la fin. Toujours. Par ces pratiques culturelles, le petit monde politique français tend à dépolitiser le débat. Et ce n’est pas un hasard si les représentants de la droite se sont engouffrés dans la récitation des grands principes démocratiques. L’intérêt supérieur se substitue à l’intérêt général. Un intérêt supérieur derrière lequel tout est imaginable. Par exemple, faire rempart au trotskysme ou au fascisme.En ce sens, le délabrement de l’idée même de République tient en deux grands axes. Servir les intérêts particuliers et les puissances de l’argent, écartant d’un revers de main toute critique, car il ferait le « jeu des extrêmes ». Ce faisant il démotive le citoyen blasé de la chose publique, car tous pourris. D’une pierre deux coups, c’est l’accaparement du pouvoir pour une minorité et la conservation de celui-ci par défaut.C’est ensuite au quatrième pouvoir de rentrer en scène. Le lieu de l’information par  lequel peut s’établir un débat sain sur le sens que l’on veut donner à la République. Doit-on accepter d’un commun accord le glissement vers une société d’intérêts privés, où la corruption serait un élément moteur de la dynamique citoyenne ? Faut-il donner un coup d’arrêt aux dérives actuelles et rendre aux citoyens leur capacité de juger ? À la vue des prestations journalistiques, comme celle de D. Pujadas face au président, relevant plus de la manucure que de l’interview à proprement parlé, il est permis de se poser quelques questions sur le sens que prendra le débat. S. Tessier déclarait très sérieusement à la fin d’un entretien “On ne va pas se mentir, on n’est plus en démocratie”. Vogelsong – 14 juillet 2010 – Paris