En ce jour de fête nationale, on ne pourra que constater une nouvelle fois la consternante désaffection des Français pour leur drapeau : ni les fenêtres des maisons, ni les voitures, ni les jardins, ni les bistrots et autres lieux de distraction ne s'orneront, même aujourd'hui, des trois couleurs de la Nation. Il y a là une différence notable avec les autres pays européens : partout, jeunes comme vieux s'approprient les couleurs nationales, à titre individuel ou collectif, en diverses occasions.Pourtant, certains français l'aiment bien encore, leur drapeau, avec ses trois couleurs symbolisant l'unité nationale, celle de la monarchie et du peuple de Paris, mais qui, au-delà, rappelle la symbolique indo-européenne des trois fonctions, comme l'a justement noté Jean Haudry (Les Indo-européens, PUF, Paris, 1981). Ce drapeau, il est aussi en usage courant, quoique moins qu'ailleurs, lors des grands événements sportifs : il incarne alors un événement positif, consommé plus que vécu cependant. Il s'agit alors de communier dans une manifestation internationale, voire mondiale, à égalité avec d'autres nations ; on voit combien l'idéologie dominante y trouve son compte.En négatif, le tricolore symbolise aussi la collectivité de culture française, pour certains immigrés, notamment d'origine maghrébine, même quand ils sont de nationalité française. Ainsi a-t-on vu récemment le tricolore soustrait de la façade de la mairie de Toulouse et remplacé par le drapeau de l'Algérie, à l'occasion d'un événement sportif impliquant ce pays d'Afrique du Nord. Cette interprétation externe pourrait contribuer à redonner du sens à notre drapeau, qui serait alors non plus celui d'un Etat ou d'une collectivité de citoyens, mais un marqueur de type ethno-culturel.En fait, on comprend bien que l'usage du drapeau national passe largement, en France bien plus qu'ailleurs, comme un acte de revendication nationaliste, voire xénophobe. Dans un contexte général de désafection, le brandir revient à une réaction, c'est-à-dire à un refus de la vision négative que suscite souvent la France comme Etat et comme Nation, depuis la seconde guerre mondiale et les guerres de décolonisation. Cela ne se fait plus, sauf en certaines circonstances autorisées (événements sportifs). Mais la culpabilisation sur l'histoire nationale et l'universalisme français ne sont pas seulement en cause : auprès des classes populaires, le drapeau bleu blanc rouge apparaît aussi comme le symbole de la République, de l’Etat, des institutions, et prend alors une connonation négative. Les Français seraient-ils monarchistes ? Regretteraient-ils l'Ancien Régime ? Sûrement pas, mais nous avons là une autre manifestation du rejet de plus en plus systématique de ce qui vient d’en haut, de l’officiel, de l’institutionnel ; la désafection pour le tricolore est une expression du divorce profond entre les Français et leurs élites politiques, une preuve aussi que l’Etat français n’apparaît plus comme protecteur, ni pourvoyeur d’identité ou donneur de sens, mais comme une contrainte, voire une menace pour les libertés. On notera pour finir que les drapeaux régionaux semblent plus en vogue : il n'est pas rare de les trouver sur les véhicules, les maisons, sous la forme de bijoux, etc. C'est parce que ces drapeaux symbolisent des cultures, des histoires collectives, et non des institutions rigides ; ils véhiculent l'idée de proximité et d'expérience partagée, au contraire de l'éloignement du centralisme parisien et du caractère de plus en plus abstrait de la Nation. Il ne s'agit pas nécessairement d'exprimer son appartenance aux "patries charnelles", comme aiment à le dire les partisans de la cause identitaire. D'ailleurs beaucoup des grandes régions historiques françaises sont des constructions tout aussi artificielles que la Nation française dans son ensemble : elles sont le produit des conquêtes féodales, des héritages et des alliances, tout autant que la réunion "naturelle" des communautés enracinées ; on y parle (ou parlait) parfois plusieurs langues ou dialectes, comme en Normandie (Nord/Sud de la ligne Jorel), en Bretagne (pays gallo / Bretagne bretonante), en Lorraine (Nord germanique / Sud francophone), en Bourgogne (Nivernais ligérien / Nord-Est burgonde), etc. Seulement, nos régions apparaissent comme les cadres d'une culture héritée plus consensuelle, d'une collectivité plus innocente, plus paisible, d'un réseau de relations plus proche de l'individu ; elles rappellent tout ensemble les traditions populaires et les anciens exploits des nobles... Elles se dégagent des idéologies et de la contrainte qui sont associées, plus ou moins consciemment, au drapeau tricolore.Amaury P.
En ce jour de fête nationale, on ne pourra que constater une nouvelle fois la consternante désaffection des Français pour leur drapeau : ni les fenêtres des maisons, ni les voitures, ni les jardins, ni les bistrots et autres lieux de distraction ne s'orneront, même aujourd'hui, des trois couleurs de la Nation. Il y a là une différence notable avec les autres pays européens : partout, jeunes comme vieux s'approprient les couleurs nationales, à titre individuel ou collectif, en diverses occasions.Pourtant, certains français l'aiment bien encore, leur drapeau, avec ses trois couleurs symbolisant l'unité nationale, celle de la monarchie et du peuple de Paris, mais qui, au-delà, rappelle la symbolique indo-européenne des trois fonctions, comme l'a justement noté Jean Haudry (Les Indo-européens, PUF, Paris, 1981). Ce drapeau, il est aussi en usage courant, quoique moins qu'ailleurs, lors des grands événements sportifs : il incarne alors un événement positif, consommé plus que vécu cependant. Il s'agit alors de communier dans une manifestation internationale, voire mondiale, à égalité avec d'autres nations ; on voit combien l'idéologie dominante y trouve son compte.En négatif, le tricolore symbolise aussi la collectivité de culture française, pour certains immigrés, notamment d'origine maghrébine, même quand ils sont de nationalité française. Ainsi a-t-on vu récemment le tricolore soustrait de la façade de la mairie de Toulouse et remplacé par le drapeau de l'Algérie, à l'occasion d'un événement sportif impliquant ce pays d'Afrique du Nord. Cette interprétation externe pourrait contribuer à redonner du sens à notre drapeau, qui serait alors non plus celui d'un Etat ou d'une collectivité de citoyens, mais un marqueur de type ethno-culturel.En fait, on comprend bien que l'usage du drapeau national passe largement, en France bien plus qu'ailleurs, comme un acte de revendication nationaliste, voire xénophobe. Dans un contexte général de désafection, le brandir revient à une réaction, c'est-à-dire à un refus de la vision négative que suscite souvent la France comme Etat et comme Nation, depuis la seconde guerre mondiale et les guerres de décolonisation. Cela ne se fait plus, sauf en certaines circonstances autorisées (événements sportifs). Mais la culpabilisation sur l'histoire nationale et l'universalisme français ne sont pas seulement en cause : auprès des classes populaires, le drapeau bleu blanc rouge apparaît aussi comme le symbole de la République, de l’Etat, des institutions, et prend alors une connonation négative. Les Français seraient-ils monarchistes ? Regretteraient-ils l'Ancien Régime ? Sûrement pas, mais nous avons là une autre manifestation du rejet de plus en plus systématique de ce qui vient d’en haut, de l’officiel, de l’institutionnel ; la désafection pour le tricolore est une expression du divorce profond entre les Français et leurs élites politiques, une preuve aussi que l’Etat français n’apparaît plus comme protecteur, ni pourvoyeur d’identité ou donneur de sens, mais comme une contrainte, voire une menace pour les libertés. On notera pour finir que les drapeaux régionaux semblent plus en vogue : il n'est pas rare de les trouver sur les véhicules, les maisons, sous la forme de bijoux, etc. C'est parce que ces drapeaux symbolisent des cultures, des histoires collectives, et non des institutions rigides ; ils véhiculent l'idée de proximité et d'expérience partagée, au contraire de l'éloignement du centralisme parisien et du caractère de plus en plus abstrait de la Nation. Il ne s'agit pas nécessairement d'exprimer son appartenance aux "patries charnelles", comme aiment à le dire les partisans de la cause identitaire. D'ailleurs beaucoup des grandes régions historiques françaises sont des constructions tout aussi artificielles que la Nation française dans son ensemble : elles sont le produit des conquêtes féodales, des héritages et des alliances, tout autant que la réunion "naturelle" des communautés enracinées ; on y parle (ou parlait) parfois plusieurs langues ou dialectes, comme en Normandie (Nord/Sud de la ligne Jorel), en Bretagne (pays gallo / Bretagne bretonante), en Lorraine (Nord germanique / Sud francophone), en Bourgogne (Nivernais ligérien / Nord-Est burgonde), etc. Seulement, nos régions apparaissent comme les cadres d'une culture héritée plus consensuelle, d'une collectivité plus innocente, plus paisible, d'un réseau de relations plus proche de l'individu ; elles rappellent tout ensemble les traditions populaires et les anciens exploits des nobles... Elles se dégagent des idéologies et de la contrainte qui sont associées, plus ou moins consciemment, au drapeau tricolore.Amaury P.