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Obscurité (39)

Publié le 13 juillet 2010 par Feuilly

Évidemment, quand il arriva à la maison, c’était l’effervescence. Il était quasi six heures et demie et sa mère était dans tous ses états. Même Pauline ne savait pas où était passé son frère, alors, forcément, l’inquiétude était à son comble. L’accueil ne fut pas des plus sympathiques, il faut bien l’avouer. Au lieu du bonjour matinal et du bisou, il eut droit à une série de questions qui fusaient dans tous les sens. Où étai-il parti ? Pourquoi n’avait-il pas prévenu ? Est-ce qu’il se rendait compte à quel point il était ingrat en se comportant de la sorte envers sa mère, alors qu’elle faisait tout pour lui ? Avait-il compris, seulement, que si tout le monde se trouvait maintenant dans un bourbier sans nom, c’est parce qu’elle avait voulu le protéger et le faire sortir des griffes d’un beau-père agressif ? Est-ce qu’elle n’aurait pas préféré, elle aussi, être tranquillement installée auprès de son mari plutôt que de devoir vivre comme une bohémienne et traverser le pays au hasard, sans jamais savoir où aller ? Et tout cela pourquoi ? Pour protéger son fils, ce qui était son devoir, certes. Mais que faisait-il ce fils, en remerciement ? Il fuguait, tout simplement. Oui, car c’était bien une fugue que de se lever au milieu de la nuit pour courir les bois. Était-ce vraiment le moment de jouer ? Alors que les gendarmes les attendaient à dix heures précises ? Et pourquoi voulaient-ils les voir ? Justement pour s’assurer qu’elle prenait bien soin d’eux et qu’elle ne les avait pas enlevés comme leur père l’affirmait déjà. Et qu’est-ce qu’ils allaient dire, les gendarmes, quand elle avouerait qu’elle venait de perdre un de ses enfants ? Qu’elle ne savait même pas où il était ? Qu’elle croyait qu’il dormait dans sa chambre mais qu’il n’y était plus quand elle avait voulu aller le réveiller ? Hein, qu’est-ce qu’ils diraient les gendarmes ? Ils diraient qu’elle était une mauvaise mère, complètement irresponsable, voilà ce qu’ils diraient. Alors on lui enlèverait ses enfants pour les confier au père, qui continuerait à les frapper car il n’y avait aucune raison pour que cela cesse. C’est cela qu’il voulait ? Il fallait croire que oui, à voir comme il se comportait…

L’enfant, d’abord ne dit rien et courba la tête. Mais comme les remontrances n’en finissaient plus de fuser, à la fin, il finit par répliquer. Il fit remarquer que cela faisait des mois, voire des années qu’il se faisait maltraiter et qu’elle, sa mère, n’avait pas bougé tant que cela. Mais quand pour une fois l’autre excité s’en était pris à sa fille, elle avait réagi immédiatement. Alors, oui, il était en tort, non pas d’avoir voulu revoir les bois où il avait fait tant de belles promenades, ce qui était finalement légitime, mais en tort d’être arrivé en retard. Mais est-ce qu’on allait lui reprocher ces cinq malheureuses petites minutes alors qu’il avait fallu des mois et des mois de mauvais traitement pour qu’on estimât qu’il était temps de le protéger ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation dégénérait. Pauline, qui ne comprenait pas grand-chose à cet échange verbal particulièrement animé, devinait cependant qu’il était indirectement question d’elle. Intuitivement, elle sentait une affaire de jalousie larvée là-dessous et cela la désolait de voir son grand frère réagir de la sorte. La mère, elle, était carrément scandalisée par les reproches qu’elle venait d’entendre et elle en restait suffoquée. L’enfant, lui, se rendait compte qu’il y avait été un peu fort, mais ses répliques n’avaient été qu’un moyen de défense contre l’attaque en règle dont il avait été l’objet. Voilà donc tout le trio complètement divisé juste au moment du départ, alors que la situation délicate qu’ils vivaient, avec cette convocation à la gendarmerie, aurait demandé qu’ils fissent bloc.

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Tout le monde se taisait et le silence était impressionnant. Seule une grive chantait dans les lointains de la forêt, saluant le jour naissant. « Mais, enfin, qu’est-ce que tu avais besoin d’aller te promener dans le bois à cette heure ? » demanda Pauline, pour rompre le silence, devenu trop pesant. Elle croisa le regard de son frère et soudain elle comprit tout. Evidemment ! Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle aurait expliqué tout cela gentiment à sa mère et celle-ci ne se serait pas emportée car elle aurait été d’accord pour dire qu’il n’y avait rien de plus dur que de quitter quelqu’un qu’on aimait.

« Je crois », balbutia-t-elle, « qu’il devait dire au revoir à quelqu’un. » La mère regarda son fils, complètement interloquée. « Oui, l’autre jour il avait rencontré une musicienne qui lui a appris à jouer du violoncelle. A moi aussi, elle m’a appris un peu. Elle est gentille, tu sais. Alors je crois qu’il a voulu lui dire au revoir. Sans doute qu’il l’aimait bien. Ca, on ne peut pas le lui reprocher.» « C’est cela ? » s’enquit la mère ? L’enfant baissa la tête, un peu honteux que son secret fût découvert. Oui, c’était cela. Ils avaient beaucoup parlé ces derniers jours. Elle était très bien, très gentille. Alors il ne pouvait pas partir comme cela sans donner d’explications.

Mais pourquoi ne l’avait-il pas dit, alors ? Cela aurait été plus simple. Ils seraient tous allés lui dire au revoir avec la voiture. Ils auraient perdu moins de temps. Mais Pauline, vigilante, fit remarquer, avec ses mots à elle, qu’on ne pouvait pas donner l’impression qu’on s’en allait, qu’il fallait au contraire garder cela secret, à cause des gendarmes. Indirectement, elle donnait donc raison à son frère d’être allé faire des adieux discrets. A court d’arguments, la mère considéra que l’incident était clos. « Allez, dépêchez-vous tous, alors, dans cinq minutes on est partis. »

Ce fut le branle-bas de combat. On inspecta les chambres, on rassembla les dernières affaires, on ferma la vanne d’eau, puis après s’être assurés qu’on avait bien emporté les torches, on ferma la porte d’entrée à double tour. Et la clef, qu’allait-on faire de la clef ? « On la conserve comme souvenir » décréta Pauline. La clef atterrit donc bien en vue près du tableau de bord, puis on démarra. Les enfants se retournèrent et en contemplant la maison qui devenait de plus en plus petite, ils eurent le coeur un peu serré. Chacun savait qu’ils avaient connu là du vrai bonheur mais que cette période d’insouciance venait de prendre fin. La voiture atteignit la route asphaltée, qu’elle aborda dans un grincement de pneus. La mère, manifestement, était pressée de quitter la région. On descendit la route en lacets jusqu’à La Courtine et on allait s’engager dans la direction d’Ussel et de Tulle quand Pauline poussa un cri : « On a oublié Azraël, on a oublié Azraël ! ». Nouveau grincement de pneus et immobilisation forcée de la voiture. Comment était-ce possible ? Le chat était là ce matin, mais avec la disparition de l’enfant et toutes les discussions qui avaient suivi, on n’avait plus pensé à l’animal. Il faut dire qu’il ne s’était pas vraiment manifesté non plus. « Mais c’est pas vrai ! » se lamenta la mère. « Mais qu’est-ce que vous avez dans la tête, tous les deux ? Quand il n’y en a pas un qui se sauve dans les bois, c’est l’autre qui oublie son chat... » Elle semblait désespérée. « Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda l’enfant. « Comment qu’est-ce qu’on fait ? » s’indigna Pauline. « On remonte le chercher, oui. On t’a bien attendu, toi ! » La mère soupira, fit demi-tour et reprit la direction de la maison. On s’empara de la clef, on rouvrit la porte et on se mit à chercher dans toutes les pièces. Pas de chat, évidemment ! On organisa une battue dans les environs, mais sans grand succès. Que fallait-il faire ? Le temps passait et il allait être bientôt huit heures. « Le voilà, le voilà » dirent en même temps les deux enfants. Et en effet, Azraël sortait du bois, bien à son aise, sans se soucier le moins du monde des désagréments qu’il occasionnait. On lui sauta dessus, on referma la maison, on remit la clef à sa place près du tableau de bord et on repartit, sur les chapeaux de roue cette fois.

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Mais la journée, décidément, commençait mal. Après deux virages, voilà qu’ils tombent nez à nez avec le fourgon de la gendarmerie qui montait dans l’autre sens. On ralentit et arrivé à leur hauteur le capitaine baissa son carreau et les salua : « Vous n’oubliez pas notre rendez-vous, hein ? » « Non, non, Mais c’est à dix heures et comme on doit quand même descendre, j’en profite pour faire quelques petites courses. » répondit la mère avec un aplomb dont elle ne se serait pas crue capable. « Ca va, pas de problème. Ce n’est pas moi qui serai là mais mon collègue. Je lui ai tout expliqué. » « D’accord, merci. » « Et vous, bonnes courses. Ne dépensez pas tout votre argent quand même, hein ! » dit-il en s’esclaffant. Elle sourit, puis chacun reprit sa route.

Ouf ! Ils avaient eu chaud. Arrivés en bas au carrefour, ils prirent pour de bon la direction d’Ussel et de Tulle. Qu’est-ce que la journée allait encore leur réserver comme surprise ?

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