Depuis hier soir je suis sur leur piste, ils ne pourront pas s'échapper, ils fuient en vain, ils sont perdus d'avance. L'un deux était mort, ma patte a gratté son tombeau et l'a ressuscité des enfers, il fallait qu'il vive à nouveau pour éprouver la peur. Ils fuient désormais dans la nuit, dans une neige épaisse qui ralentit leur fuite, ils tenteront demain d'arriver à la rivière et de prendre une embarcation. Ils ne pourront pas le faire, mon souffle fera geler les eaux, ils devront fuir, fuir encore, fuir toujours.
Je les vois de l'endroit où je suis, ils traversent une grande vallée désolée, je ne les approcherai pas, je ne vais rien leur faire, je pourrai les dévorer d'un seul coup de dent, tous ensemble, les cinq à la fois. Je ne le ferai pas. Mon nom est regard.
Les balles, les armes du monde, les haines les plus tenaces, les malédictions les plus effroyables, les sortilèges les plus puissants, rien, rien de tout cela n'a pas la moindre emprise sur moi, le moindre pouvoir. Mon sang est l'essence du monde, mon énergie vient de celles des huit planètes les plus hautes de notre ciel. Ma puissance est illimitée. Mon coeur me commande depuis l'origine de poursuivre ces êtres maudits et répugnants, de les forcer à se découvrir, de les forcer à marcher, à fuir dans une nuit semi-obscure, désolée et froide sur de grands champs de neige glacés. De les forcer à rencontrer mon regard, à le croiser, à l'éprouver.
Alors, de lourdes et abondantes larmes noires ruisselleront de leurs yeux, inonderont leurs visages, recouvriront leurs corps. Leurs corps ne seront plus alors que larme noire. Ils verront mon regard avant de disparaître. Je soufflerai sur ces amas de larmes noires. Sur ces cinq corps qui ne seront plus et ils se transformeront lentement, à grande souffrance, en cinq statues de pierre noire.
Ma mission sera terminée jusqu'à ce qu'un autre coeur solitaire et pur me remette sur une nouvelle piste, sur un autre gibier de l'enfer. Sur un homme qui aurait mieux fait de cultiver son coeur que de cultiver le mal pour devoir un jour subir mon regard.