La révision de la directive MIF sera-t-elle à la hauteur?

Publié le 13 juillet 2010 par Sia Conseil

La crise financière que nous venons de traverser a mis sur le devant de la scène le fonctionnement de la finance au niveau mondial. La mise en place de la directive MIF, en novembre 2007, avait pour objectif de poser les bases d’un marché européen unifié devant assurer une meilleure transparence de l’information et une meilleure

protection des investisseurs finaux. Force est de constater que cette première version a laissé des zones d’ombres qu’il convient de combler. Pour ce faire, le régulateur a entrepris de réviser le texte dans le courant de l’année 2010 avec l’appui de l’ensemble de la profession.

AMELIORER LA TRANSPARENCE PRE ET POST NEGOCIATION

La mise en place de la directive MIF visait à supprimer le monopole des entreprises de marchés sur l’exécution des ordres afin d’en améliorer le coût et la transparence. L’essence même du texte était de s’assurer de la bonne prise en compte des intérêts des clients finaux en termes de rapidité, de sécurité et de transparence et de prix. Le succès des MTF[1] (gérés à la fois par les MR[2] et les PSI[3]), initié par la mise en place de la MIF, se concrétise aujourd’hui avec une part de marché de 40% sur les valeurs du LSE et de 30% sur le CAC40. Cette montée en puissance des MTF s’est accompagnée d’un essor grandissant des dark pool (plates-formes opaques de négociation adossées un MR ou à un MTF) qui proposent à leurs membres une totale confidentialité dans l’exécution de leurs ordres de grande quantité (blocs de titres). En effet, aucune transparence pré-négociation n’est fournie et la rencontre de l’offre et de la demande se fait de manière anonyme sans aucune publication de prix ni de quantité. Les dark pools fonctionnent selon une dérogation prévue par le texte qui vise à limiter l’impact sur le marché de la transaction de blocs d’actions. Cette dernière avait vocation à ramener certains flux OTC vers un marché règlementé. Aussi, sans remettre en question ces lieux d’échanges qui ont leur légitimité, il convient de redéfinir le niveau des dérogations. Le régulateur ne doit pas permettre le développement d’une trop grande opacité captant de plus en plus de flux au détriment de la fixation d’un prix transparent intégrant l’ensemble des ordres d’achat et de vente d’une valeur donnée.

Contrairement à la précédente, la transparence post-négociation est obligatoire pour l’ensemble des acteurs régulés (MR, MTF, dark pool).Elle consiste à fournir aux émetteurs, régulateurs et clients une vision claire et fiable de l’ensemble des opérations réalisées sur un titre donné. Cette information, a posteriori, sur laquelle repose le principe de la « best execution » a vu sa qualité se dégrader avec l’arrivée de ces nouvelles places de négociation. Leur multiplication a généré une fragmentation croissante de la liquidité sur les valeurs les plus traitées avec pour corollaire une démultiplication des flux de données. L’existence de ces plates-formes aux standards différents a fragilisé la fiabilité des reporting (données en doublon, non homogènes, délai de mise à disposition variable) avec une explosion de leur coût de production. En effet les nouveaux entrants, qui ont fait du prix de transaction leur arme majeure, n’ont pas tous mis les mêmes moyens dans la production de leur reporting. Cette difficulté croissante d’obtenir des données de marchés fiables remet sur le devant de la scène la solution adoptée outre atlantique, à savoir une coopérative ou « consolidated tape ». A la différence de l’Europe, les Etats-Unis ont opté pour une mutualisation des moyens pour ce qui concerne l’activité post-négociation. La place financière a créé des entreprises à but non lucratif pour agréger le flux d’informations, réaliser la compensation et le règlement-livraison des titres. La facilité de fonctionnement de ce modèle permet d’avoir un excellent rapport qualité-prix pour la chaine titre en aval de la négociation. Cette piste, qui permettrait d’améliorer sensiblement l’agrégation des données de marché au niveau européen, doit être creusée mais de nombreuses questions restent à trancher pour en définir le contour (quel acteur ? quel périmètre ? quel système d’information ? …).

RENFORCER L’EQUITE DE CONCURRENCE

La directive MIF avait institué trois catégories d’acteurs : marché règlementé, MTF et internalisateur systématique. La dernière catégorie n’a pas connu le succès et une réforme de ce statut doit être envisagée. Au contraire, les PSI se sont focalisés sur la création de MTF et dark pool pour capter la liquidité traitée par les opérateurs historiques. Cette plus grande concurrence devait favoriser une baisse des prix pour le client final mais ses résultats se font attendre. Par ailleurs, un biais de concurrence a été instauré par les grandes banques d’investissement ayant le statut de PSI. Ces dernières ont mis en place des « crossing networks » visant à assurer la réconciliation des ordres de leurs clients. Contrairement à l’internalisation systématique, la rencontre des ordres se fait en face-à-face et non pas face au compte propre de l’intermédiaire. Ces plates-formes échappent donc aux obligations de la directive MIF avec l’émergence d’une distorsion de concurrence entre les grands investisseurs, ayant accès à ce service, et les autres. Devant la faible visibilité de ces opérations, il est difficile de quantifier la part de marché des ordres appariés de cette manière mais il est certain que leur développement est en croissance. La réforme de la directive MIF devra s’attacher à harmoniser le statut des prestataires (MR et PSI) afin d’établir des règles strictes et homogènes pour le fonctionnement des MTF et autres dark pool.

ELARGIR LA TRANSPARENCE A L’ENSEMBLE DES PRODUITS FINANCIERS

La directive MIF s’est attachée, dans sa première version, à traiter de l’ensemble des marchés actions. La transparence des transactions sur le marché obligataire, géré de gré-à-gré à 90% (principalement pour la dette des entreprises) n’est donc pas imposée. Or, les enseignements de la crise financière, synthétisés dans les conclusions du G20, prônent pour une meilleure traçabilité des opérations et ce quelque soit le produit. La mise en place d’un marché financier unifié au niveau européen passe donc inévitablement par la gestion de l’ensemble des produits financiers dans le cadre de la révision de la MIF. Les OPCVM sont, pour leur part, traités par la directive UCITS IV qui est en cours de transposition en droit national. Enfin, les produits « alternatifs » (immobiliers, hedge funds et private equity) sont en cours de régulation au sein de la directive AIFM qui est actuellement débattue au niveau européen.

HARMONISER LE POST-MARCHE EUROPEEN

Depuis toujours, le post marché européen est fragmenté du fait de barrières nationales fortes telles que la fiscalité, pour ne citer que cette dernière. Dans la droite lignée de la directive MIF, un code de bonne conduite a été rédigé par l’ensemble des acteurs du post marché européen afin d’éviter une intervention du régulateur. Avouons-le, le résultat est très décevant et l’interopérabilité reste difficilement exploitable ! En effet, au lieu d’harmoniser la filière, la directive MIF a fait émerger de nouveaux compensateurs, filiales de MTF, avec pour conséquence une complexification croissance des chaines de dénouement. La baisse affichée sur le prix de négociation omet d’intégrer celui du post marché qui a plutôt tendance à augmenter du fait de cette fragmentation de la filière. Il parait indispensable que cette réflexion d’harmonisation des pratiques doit être prise en charge par le régulateur européen de manière volontariste avec l’ensemble des acteurs. Aujourd’hui, les initiatives en cours ne sont pas toutes coordonnées (T2S, ESES) et l’analyse d’une filière mutualisée à l’échelle européenne doit également être débattue. En effet, le marché américain fonctionne sur un modèle « at cost » qui a fait ses preuves avec une entreprise unique pour la gestion du post-marché (DTCC). A savoir si ce sujet doit faire partie de la révision de la directive MIF ou non cela est un autre débat …

UNE REVISION VOUEE A LA REUSSITE

Avec le recul, la mise en place de la directive MIF est une avancée majeure dans l’harmonisation et la mise en place d’un marché financier au niveau européen. L’ouverture de la consultation, par la commission européenne, pour sa révision est une étape importante afin de corriger ses défauts de jeunesse. Le succès de cette révision sera jugé à l’aune de la capacité des acteurs à trouver un consensus pour une transparence renforcée, une concurrence plus homogène et une couverture des instruments plus large afin de rendre le marché européen plus efficient et leader en matière de régulation. Nul doute que le nouveau commissaire européen au marché intérieur et services aura à cœur de mener à bien cette révision afin de porter haut la vision de l’Europe en matière de régulation financière.

Sia Conseil




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