Dur, dur d’être fonctionnaire !

Publié le 13 juillet 2010 par Lecriducontribuable

(Article paru initialement dans l’édition papier du Cri du Contribuable d’avril 2010, page 28)

Embauchée, après huit années d’études supérieures, dans une mairie de province, Zoé Shepard a vite déchanté.

Plongée dans un univers où incompétence rime avec flagornerie, ses journées sont rythmées par des réunions où aucune décision n’est jamais prise, des rapports qu’elle doit rédiger en dix jours (quand deux heures suffisent), des pots de bienvenue, de départ, d’anniversaire…

Vous l’aurez compris, Zoé est absolument dé-bor-dée ! L’auteur – sous pseudonyme – raconte avec un humour mordant, ses tribulations de fonctionnaire de catégorie A, désespérée dans un univers bien pire que tout ce que vous pouviez imaginer. Extraits.

« Aujourd’hui, en me connectant au réseau du service, je sais précisément où j’ai touché terre : un univers absurde où les gens qui en font le moins se déclarent dé-bor-dés et où les 35 heures ne se font pas en une semaine, mais en un mois ».

« Les réunions sont l’occupation favorite des fonctionnaires territoriaux, juste avant les comités de pilotage et les groupes de travail. Si la réunion se passe vraiment bien, s’ils réussissent à la faire traîner suffisamment longtemps, alors ils pourront s’octroyer le plaisir d’en fixer une deuxième le lendemain afin de “finaliser” ce qui aurait dû être décidé lors de la première. […] Il m’a fallu plusieurs mois avant de réaliser que les réunions sont, aux yeux des agents, des prétextes pour se faire mousser auprès de leurs supérieurs hiérarchiques et une occasion en or de ne rien faire pendant ce laps de temps ».

« S’attaquer à l’absentéisme de la collectivité en installant des pointeuses… Autant décider de vider l’Atlantique avec une cuillère à café. Comme toutes les grandes règles, l’obligation de pointer a évidemment ses exceptions. Tous les agents de la mairie sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres. Par conséquent, les directeurs ne pointent pas. »

« Les deux seuls fonctionnaires que je retrouve devant la machine à café du service sont manifestement en train de compulser les journaux à l’affût de l’épidémie à la mode dont ils pourraient être les prochaines victimes.

- La grippe, c’est à partir de quand ? Deux gastros en deux semaines, c’est plausible ? demande anxieusement l’un des deux tout en versant une dose de sucre dans son cappuccino.

- Va voir mon toubib, tu lui dis que tu es déprimé, il t’arrête… quinze jours, facile…

- Quinze jours, mais c’est pas assez ! L’année dernière, j’ai fondu en larmes dans le bureau du mien, ça a été radical, il m’a refilé trois boîtes d’anxiolytiques et un mois d’arrêt. Quel dommage qu’il soit à la retraite… »

« Le cabinet d’une collectivité locale est malheureusement trop souvent à l’intelligence et à l’efficacité ce que les prisons afghanes sont aux droits de l’homme, et le nôtre ne fait pas exception. Il est même l’exemple type du cabinet de province où se bousculent les anciens élus incasables, “les maîtresses de” et les “fils de”. On peut diviser ces trous noirs cérébraux en trois catégories : L’aréopage des “chercheurs” dont la plupart n’ont jamais validé leur thèse. Le clan des “juristes” dont la légende et le CV officiel racontent qu’ils ont effectivement passé cinq ans dans une fac de droit. La secte des “privatistes”. D’eux on sait seulement qu’ils viennent “du privé”, mais jamais ils ne préciseront s’ils ont travaillé dans une banque ou une entreprise de nettoyage de sanitaires ».

« Comment ai-je pu oublier ? Aujourd’hui n’est pas seulement le jour de la réunion de service, mais également le jour de la réunion des directeurs généraux de la collectivité. Étonnamment, alors que l’endroit (la cantine) s’y prête logiquement nettement moins que les bureaux, nous n’entendons parler ce jour-là que de marchés publics et autres conventions de partenariat, entre deux mastications. Quels bourreaux de travail, ces fonctionnaires ! Même pendant leurs pauses, ils discutent boulot ! Ce serait une grossière erreur. Ces pseudo-zélés travailleurs sont en réalité en représentation. Car le jour de la réunion des directeurs généraux, lorsqu‘il n’a pas réussi à se faire régaler dans les plus grands restaurants des environs aux frais de la collectivité, le directeur général des services de la mairie, Grand Chef Sioux, débarque à la cantine. Il faut alors être prêt à dégainer, le “it-sujet” qui, en un passage furtif de plateau, lui fera comprendre l’incroyable atout que vous constituez pour la collectivité, mais surtout pour le Reste du Monde. »

Zoé Shepard, Absolument dé-bor-dée ! ou Le paradoxe du fonctionnaire , Albin Michel, 300 p., 19 €