Vous sachant fidèles, je ne doute pas que vous m'avez emboîté le pas, amis lecteurs, depuis le 22 juin maintenant, pour admirer les quelques objets de toilette exposés dans la vitrine 2 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre.
Nous poursuivrons aujourd'hui leur découverte en évoquant les deux cuillères thériomorphes arrimées sur le mur du fond, en dessous de l'arc que nous avions vu récemment : elles ont été groupées avec la petite boîte à onguents que je vous avais présentée la semaine dernière.
(Grand merci à Michel Sancho pour m'avoir fait
parvenir un cliché d'une portion de la vitrine 2 me permettant d'en agrandir ce détail présentant les cuillères à fard.)
Lors d'un précédent passage en salle 3, en mai 2008, j'avais eu l'opportunité d'attirer votre attention sur celles déposées dans la vitrine 2 qui, toutes, présentaient les courbes plus qu'agréables d'une nageuse, et d'insister sur le fait que si les égyptologues leur donnent des noms divers - cuillers à parfum, cuillers à fard, cuillers à onguent -, en les inscrivant donc par la même occasion dans la catégorie des ustensiles de toilette, il n'en demeure pas moins que certaines d'entre elles ont manifestement été utilisées au cours de cérémonies cultuelles, religieuses pour, par exemple, contenir des produits odoriférants destinés à être brûlés, tels l'encens et la myrrhe ...
Qu'elles n'aient jamais servi dans le quotidien, comme le pensent certains savants qui les classent alors parmi les objets empreints de symbolisme que tout défunt désirait emporter avec lui dans sa tombe afin que soit pleinement assurée sa régénération dans l'Au-delà ; qu'elles aient été employées à des usages domestiques ou sacrés ; qu'elles aient accompagné les gestes des prêtres des temples procédant chaque jour à la toilette de la statue d'un dieu ou ceux d'une belle et riche Egyptienne dans ses appartements privés, il n'en demeure pas moins vrai, - et j'espère que mon intervention de ce matin vous y rendra sensible -, que ces petits objets considérés par d'aucuns comme participant de ce qu'ils nomment volontiers les "arts mineurs", sont d'un raffinement et d'une élégance irréfragables.
Ainsi la première d'entre elles (N 1665) qu'exceptionnellement, je vous propose d'admirer recto (comme au centre de la photographie ci-dessus)
et verso.
Provenant de la collection des quelque 4000 pièces rassemblées par Henry Salt, (1780-1827), consul général britannique au Caire, et achetée par la France sur les instances de Jean-François Champollion tout fraîchement nommé par Charles X Conservateur de la section des monuments égyptiens de son musée royal, cette délicate petite pièce date, sinon de l'époque ptolémaïque, très probablement de la dynastie saïte dans la Basse Epoque qui la précède.
Elle entra au Louvre en 1826, en même temps que des monuments plus imposants comme les blogs enlevés, à Karnak, au Mur des Annales de Thoutmosis III, que nous avons vus en salle 12, et bien d'autres grandioses merveilles de ce musée qu'il serait évidemment maintenant hors de propos d'évoquer.
D'une longueur d'à peine 11, 5 cm et d'une largeur de 4, 5 cm, elle a été réalisée en faïence siliceuse et figure un bouquetin couché, les pattes entravées sous le ventre.
Nonobstant le respect que le monde scientifique doit à l'éminent égyptologue belge Jean Capart, force est de constater que la théorie qui fut sienne en 1943, à savoir que les cuillères représentant une bête ainsi ligotée remplaçaient symboliquement les animaux sacrifiés, égorgés ou mutilés, destinés à la table d'offrandes du mort, est à présent devenue obsolète aux yeux des savants.
Je pense qu'il faut simplement y voir la représentation d'un animal capturé : en effet, bouquetins, oryx, gazelles et autres herbivores des confins désertiques de l'Egypte constituèrent dès les temps les plus anciens une réserve de choix qu'il devint intéressant d'engraisser aux fins de bénéficier d'un apport alimentaire non négligeable quand, d'aventure, une chasse ne rapportait pas le butin escompté.
Premier pas vers une sorte de domestication avant la lettre ...
Notez ici le détail de la tête complètement retournée vers
l'arrière - attitude que l'on retrouve d'ailleurs plus souvent dans des figurations de canards : ce pourrait constituer ce que l'égyptologue suisse Philippe Germond appelle un "marqueur imagé
de la renaissance" d'un défunt. En effet, l'onguent prophylactique que la coupelle creusée dans le corps de l'animal aurait alors contenu permettait d'envisager une éternité post
mortem des plus précieuses pour le trépassé qui avait choisi cette pièce pour l'accompagner à jamais.
La seconde cuillère (E 3678), comme la précédente, date de la XVIIIème dynastie.
Mesurant 12, 9 cm de long et 5, 5 de large, elle figure un oryx couché, peut-être lui aussi entravé : en fait, ses pattes ont disparu dans la cassure et seul le haut de sa cuisse est resté intact. Il présente des cornes très légèrement courbées dans le prolongement du museau, touchant le dos de leur extrémité, poursuivant de la sorte et terminant, avec la queue, la courbe élégante de l'ensemble voulue par l'artiste.
Cette pièce fut réalisée en grauwacke, c'est-à-dire dans une pierre que souvent l'on confondit avec le schiste, voire même le basalte : elle fut fort prisée des Egyptiens, notamment pour sa couleur relativement foncée, et ses reflets dus à la présence de cristaux fins et brillants.
C'est essentiellement dans le désert oriental, entre la Vallée du Nil et la mer Rouge, au Wadi Hammamat très exactement, qu'ils allaient chercher cette roche à laquelle ils donnèrent le nom de "Pierre de Bekhen" : dès les époques pré-dynastiques déjà, ils la travaillèrent pour confectionner de petits objets, récipients et palettes à fards essentiellement, que l'on retrouve aujourd'hui en abondance dans les différentes collections des musées du monde entier.
Avec d'autres, dont la célèbre statue guérisseuse de Padimahès, (E 10777), également en grauwacke, exposée dans la vitrine 4 de la salle 18, elle entra au Louvre en 1898, donation effectuée suite au décès du collectionneur et comte polonais Michel Tyszkiewicz (1828-1897).
Tout naturellement, nous arrivons vous et moi, amis lecteurs, au terme de notre "exploration" de cette vitrine, engagée le 23 février dernier. De sorte qu'avant de vous donner congé pour quelques semaines et de personnellement me diriger vers d'autres cieux estivaux, je vous invite à me retrouver pour un ultime rendez-vous en cette salle mardi prochain, le 20 juillet, à la veille de la fête nationale belge ...
(Capart : 1943, 277 ; Germond : 2008, 223 ; Klemm : 1990, 26 ; Vandier : 1972, 30)