Le désir dans les générations. Canet, le 28 06 2010
M. B. : Nous sommes le lundi 28 juin 2010, c'est donc la dernière séance de l'année. Je vous signale la sortie de l'avant-dernier livre de Pierre Delion, qui vaut vraiment le coup… c'est épatant, comme toujours, La consultation avec l'enfant, c'est vraiment une description du travail extraordinaire qu'il fait, les liens avec l'environnement, c'est à la fois assez didactique sur les symptômes, les syndromes, tout est expliqué, avec même les classifications française, internationale, et même le DSM IV, et il montre comment on peut accueillir un enfant dans la détresse, avec les parents, très bien…
Thérèse Martiris : Il reprend les choses qu'il y avait dans le livre L'enfant autiste, le bébé et la sémiotique ?
M. B. : C'est une autre logique, c'est la consultation. Bon, aujourd'hui comme c'est la dernière, j'aime bien que ce soit plutôt des questions sur l'année, sur ce qu'on a fait, dit, pas dit, toutes les questions rentrées que vous n'avez jamais osé produire parce que vous étiez fatigués… mais peut-être qu'aujourd'hui vous allez être en pleine forme pour poser des questions… Alors vous m'avez posé une question par mail…
Public : Oui, mais ce n'était pas vraiment une question…
M. B. : Non…
Public : … Wittgenstein…
M. B. : Wittgenstein ?
Public : Je le voyais dans les séminaires de Jean Oury, et parle beaucoup de lui dans un Collège à Paris. Parce que j'avais entendu dire que sa sémiotique était binaire…
M. B. : C'est-à-dire que c'est compliqué, Wittgenstein, qui a eu tout un parcours assez complexe, enfin en dehors du fait qu'il était en classe avec Hitler, il y a eu d'abord tout cet apport à la logique, c'étaient ses premiers ouvrages, et il semble qu'à partir de son livre La certitude il avait rencontré Peirce, enfin il l'a lu, ce qui fait que ça modifie un petit peu ce qu'il racontait. Mais comme je ne comprends rien à Wittgenstein, il y a plein de gens que je ne comprends pas, il en fait partie, hélas ! Mais ça ne me mobilise pas plus que ça. C'est un type intéressant, mais je ne comprends pas ce qu'il raconte. Comme Guattari ! Guattari, je l'avais rencontré à La Borde. Il m'avait invité à venir à son séminaire à Paris, j'étais allé y faire un blabla, c'était très sympathique, un type charmant, et il m'a dit « mais tu ne m'as jamais lu ! », et je lui ai dit « non, je ne te comprends pas ! ». Du coup il m'a offert une pile de livres, qui sont toujours là, que je n'arrive toujours pas à lire… Je ne me force pas, et comme je ne suis pas un fan de l'érudition, comme vous avez pu le remarquer, je ne prends que les gens qui m'intéressent. Gérard Deledalle avait beaucoup étudié Wittgenstein, il a écrit d'ailleurs sur lui, sur les rapports Wittgenstein/Peirce. Je suis désolé…
Public : Non mais c'est parce qu'il y a un problème…
M. B. : Peut-être pourriez-vous en dire quelques mots de ce problème ?
Public : … je l'ai commencé trois fois jusqu'à la dixième page et puis…
M. B. : Ah ? Aussi ?
Public : Un jour j'ai lu la fin, qui est pas mal aussi, mais le milieu…
M. B. : D'accord, c'était pour combler ! Eh bien, vous êtes mal tombé, il faut trouver quelqu'un d'autre, c'est désespérant ! Quand ça le fait pas, ça le fait pas… (rires) Je vais parloter comme ça, et si vous avez quelque chose qui vous vient, vous m'interrompez, n'hésitez pas. La dernière fois j'avais essayé d'aborder quelque chose qui est sans doute la chose la plus difficile dans le parcours qu'on a fait cette année, la question du temps. On avait vu au début de la séance Florence fixée sur les petits ronds, mais ça va, il paraît que depuis tu as renoncé à voir tous les ronds. Oui ? C'était à partir de l'article de Lacan sur le temps logique, et ce que j'essayais de vous dire, c'est que finalement la question du temps est très voisine de la question du possible et de la possibilisation. Laurence, qui écoute les séminaires, m'a envoyé un mail dans lequel elle me disait : est-ce que finalement le rôle du psychanalyste ne serait pas d'introduire le temps ? C'est une question intéressante parce que, après tout, pourquoi pas ? C'est une question qui mérite une réflexion, mais je ne sais pas si on va pouvoir aller jusqu'au bout de celle-ci.
Je suis en train de lire doucement ce livre superbe de Claude Rabant, que je vous recommande, Métamorphoses de la mélancolie, c'est vraiment très bien, et j'ai lu quelque chose de remarquable et de terrible : j'ai été plagié par Walter Benjamin ! J'avais ‘inventé' le « désir du scribe », j'en ai souvent parlé ici, à savoir les interprétants qui auront été donnés à son inscription. C'est majestueux ! mais je dois dire que personne n'a jamais réagi à cette chose-là. Je le pense toujours, mais bon, je n'ai pas eu de succès ! Et qu'est-ce que je vois chez Rabant, page 167 au cas où vous le lirez : « De fait, si l'inscription se transfère d'elle-même, pour ainsi dire, ou désire sa propre traduction, selon le mot de Walter Benjamin… » Je ne sais si vous voyez ! Ça avait déjà été inventé par ce type. Je trouve fabuleux qu'un bonhomme, que je n'arrive pas à lire, qui est si loin, mais qui est venu mourir à côté de chez nous, — il est mort à Port-Bou le 26 septembre 1940, — qui a beaucoup travaillé sur la traduction, un des grands penseurs de l'époque d'avant-guerre, vienne me plagier ainsi !
(…)