Certains livres proposent des prolongements sur Internet. Il est par contre assez rare que les auteurs partagent la phase de création avec leurs lecteurs. Qu’est-ce qui vous en a donné l’idée ?
On pourrait croire que c'est le blogueur que je suis qui y a pensé en premier. Eh bien non, c'est Pierre qui dès 2007 a suggéré que l'on démarre un blog sur notre aventure environ 6 mois avant la sortie du livre. J'étais bien sûr chargé de sa création et de sa mise en ligne ;-)
Et c'est exactement ce qu'il s'est passé. Courant mars 2010, je me suis penché sur le « look » du blog, m'inspirant de la couverture du livre réalisée par Pierre. Le projet a été de suite accepté par celui-ci, mais aussi Sud-Ouest, qui a accepté de jouer le jeu.
Le 24 mars, le premier billet de Pierre paraissait, marquant le début de notre making-of...
Il y a déjà beaucoup de livres qui abordent le Médoc et ses Crus Classés. Qu’est-ce qui, en-dehors du partage de la phase de rédaction, différencie le vôtre ?
La grosse différence, c'est que c'est un graphiste qui est à l'initiative du projet, avant tout visuel et didactique. Les infographies permettent de voir des bâtiments en coupe et en 3D, avec même parfois les employés qui trient les raisins et les mettent en cuve ! Nous publions aussi les cartes pédologiques des différents domaines, toujours tenues secrètes jusqu'à maintenant. Elles sont aussi en 3D : les reliefs permettent de beaucoup mieux comprendre pourquoi l'on passe par exemple d'un peyrosol à un colluviosol (il y a un lexique en fin d'ouvrage, je vous rassure...).
En complément de ces cartes, nous avons fait des dégustations parcellaires pour permettre au lecteur de voir l'impact d'un terroir sur un cépage donné.
L'ouvrage donne aussi la parole aux responsables techniques (maître de chai, chef de culture, régisseur) qui sont rarement mis en lumières dans les autres livres consacrés au Médoc, et permet aux lecteurs de voir les personnes qui sont derrière ces vins mythiques.
Nous proposons aussi trois entretiens avec Anthony Barton, Jean-Michel Cazes et Christian Seely. Ils apportent une vision intéressante du Médoc d'hier et d'aujourd'hui, mais aussi une respiration dans un ouvrage dense en informations.
Nous avons également demandé à deux géologues, reconnus dans la région pour leurs travaux, d'expliquer en 4 pages l'histoire géologique du Médoc, illustrée par une carte et des schémas.
Et encore plein d'autres choses (le climat, la véritable histoire des 3 Léoville...).
Le "village Palmer", le château comme vous ne l'aviez peut-être jamais vu.
Photo du blog Une aventure médocaine.
Vous avez visité beaucoup de châteaux. Quel accueil vous ont réservé leurs propriétaires ?
Il y a eu trois cas de figure : soit c'est la première personne que nous avons rencontrée (Jean-Michel Cazes, Anthony Barton, Caroline Frey, Bruno-Eugène Borie, Didier Cuvelier, Jean-Hubert Delon), soit nous l'avons rencontré lorsque nous avons « rendu notre copie » au domaine (Alfred Tesseron), soit nous n'avons rencontré que le directeur du domaine (Giscours, Margaux, Beychevelle, Gruaud-Larose, Palmer, Pichon-Longueville, Pichon-Lalande, Lafite, Cos d'Estournel, Montrose...).
Il y a eu même un quatrième cas : Latour, où nous n'avons rencontré que les responsables techniques.
Beaucoup de nos interlocuteurs s'attendaient dans un premier temps à être sollicités financièrement. Il faut croire que cela se passe souvent ainsi. Lorsqu'ils apprenaient que leur participation ne leur coûterait rien, on sentait qu'ils étaient soulagés, et du coup, plus ouverts à une collaboration. Ils nous mettaient alors en relation avec les différents responsables techniques pour des rendez-vous ultérieurs. C'est aussi à ce moment-là que nous leur demandions s'il y avait la possibilité de faire une dégustation parcellaire. Dans la majorité des cas, ils ont accepté.
Rajoutons qu'au départ, nous pouvions sentir qu'ils se demandaient qui étaient ces deux zigues assis dans leur bureau. Et puis, les entretiens avec les responsables techniques se passant bien, leurs retours étant positifs, nous avons commencé à sentir un respect de la part des propriétaires ou des directeurs. Aussi, lors du dernier entretien que nous avions avec eux, où nous leur montrions le chapitre concernant leur domaine, nous n'avions en général que des compliments sur notre travail, et une invitation à revenir quand nous le souhaitions.
Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans cette aventure médocaine ?
Pontet-Canet, bien sûr, qui suit une voie tellement différente des autres, avec la réussite que l'on connaît. Le plus impressionnant n'étant pas ce qui se passe dans les vignes et dans le chai, mais ce duo que forment Jean-Michel Comme et Alfred Tesseron. La confiance qu'ils s'accordent mutuellement permet de soulever les montagnes. Nous n'avons rencontré Alfred Tesseron qu'une fois notre chapitre terminé, mais notre entrevue, suivie d'un repas au château, fut mémorable.
Un autre grand moment fut la dégustation parcellaire au Château Margaux avec Paul Pontallier. Nous l'avons raconté sur notre blog, avec des extraits audio. C'était notre deuxième rencontre avec le directeur du domaine. La première avait été un peu froide, réservée. Et là, la magie de la dégustation a opéré : un dialogue s'est instauré. Paul Pontallier est devenu lyrique en parlant de ses vins. Et a apparemment apprécié ce que nous pouvions en dire : nous ne sommes retournés que 3 mois plus tard pour parler viticulture et terroirs. Et en nous serrant la main, chaleureusement, il nous dit « j'ai beaucoup aimé la dégustation que nous avons fait ensemble la dernière fois ». Faut dire ce qui est : ça ne laisse pas indifférent.
Et puis bien sûr, le dernier grand moment fut un e-mail, ouvert à 22h35 après une journée bien chargée. Quelques mots de Hugh Johnson, accompagné d'un fichier joint : « Cher ami, voici quelques mots pour préfacer votre œuvre admirable ». Déjà, ces quelques mots sont « hénaurme » pour le petit amateur que je suis. Mais lorsque j'ai ouvert le fichier joint, j'ai failli tomber de ma chaise: cette préface était dithyrambique !
Sans parler du fait que cette préface devrait nous aider pour la commercialisation de ce livre, en France et
encore plus à l'étranger, la reconnaissance de Hugh Johnson est un cadeau inestimable. Elle nous donne le sentiment d'avoir réussi ce que nous avions prévu de faire : un livre à la fois simple
dans la démarche et complet dans explications, qui offre une visite virtuelle du Médoc.
Le chai de Léoville Poyferré. Dans l'intimité des Crus Classés...
Photo du blog Une aventure médocaine.
Vous avez été au cœur de la campagne des primeurs 2009, un millésime que vous avez vu grandir « de l’intérieur ». Quel est votre avis sur ce millésime et sur cette campagne ?
Nous avons pu être au cœur de ce millésime dès les vendanges, où nous voyions alors l'enthousiasme des responsables techniques. Ils n'avaient jamais vu ça ! Certains en pleuraient presque... Puis nous avons fait des dégustations parcellaires en novembre et décembre. Et c'était tout simplement magnifique : riche et équilibré, avec toutes les nuances que peuvent apporter chaque terroir.
Nous avons ensuite dégustés les vins assemblés entre avril et juin, avec des vins à un niveau rare (Margaux, Las Cases, Pontet-Canet, Lafite...). Je mesure toute la chance d'avoir bu ces vins à ces différents stades, car je n'ai absolument pas les moyens de m'en offrir. Sauf si le livre marche du tonnerre de dieu ! Et encore, même si j'avais les moyens, je ne pense pas que j'investirais dans ces crus, car les prix me semblent totalement disproportionnés.
Il faut souligner tout de même de l'hétérogénéité du millésime. Il fallait avoir des sols qui retiennent l'eau et la restituent progressivement pour éviter des blocages de maturité. A l'inverse, certains ont vendangé trop tard des raisins sur-mûris. Prudence, donc.
Vous abordez la climatologie dans votre livre. Pensez-vous que l’évolution climatique des prochaines années aura des répercussions importantes sur la viticulture ? Comment les châteaux bordelais s’y préparent-ils ?
L'impact déjà visible est qu'il y a de plus en plus de bons millésimes, où le Cabernet Sauvignon et le Petit Verdot sont parfaitement mûrs (ce qui était loin d'être le cas auparavant). Nous sommes plus dans une phase où les propriétés apprécient les avantages de cette évolution climatique plutôt que ses inconvénients. Mais je sais que l'Enita (Ecole nationale d'ingénieurs des travaux agricoles de Bordeaux) et d'autres instituts de recherche sur Bordeaux travaillent sur la question...
Si j’ai bien lu vos derniers posts, le livre est achevé et l’impression devrait être lancée très prochainement. Est-ce la fin ou le début de l’aventure ?
Nous en parlions l'autre jour au téléphone, et étions d'accord de dire que c'était la fin d'une aventure … et le début d'une autre, totalement différente. Après avoir parcouru le Médoc en long, en large et en travers, discuté des centaines d'heures, pris des milliers de photos, il va falloir expliquer aux média que ça intéresse notre démarche, en quoi notre livre est différent... J'espère avoir le temps de participer à des « signatures » car j'aimerais bien échanger avec des amateurs de vin.
Représentation 3D des "terrasses" qui forment les fameuses croupes du Médoc.
Image du livre, présentée sur le blog Une aventure médocaine.
L’aventure médocaine continuera-t-elle sur votre blog ?
Nous y raconterons certainement nos rencontres d'un autre type, ferons une « revue de presse », mais sera sûrement moins régulier et fourni qu'actuellement. En tout état de cause, nous ne le fermerons pas, car l'adresse du blog est dans le livre.
Etes-vous tentés pour faire un travail équivalent dans une autre région ?
Je sais que notre éditeur commence à songer à Saint-Emilion. Il y a effectivement de la « matière » sur cette appellation : jolis chais, terroirs variés, une histoire vieille de deux millénaires. Il y a de quoi faire ;-)
Merci Eric. Vivement la rentrée, plus exactement le 25 août, date de sortie du livre « Crus Classés du Médoc », que j’ai vraiment hâte de lire.