Traduction en français du mot ou du concept « care » dans un contexte politique

Publié le 10 mai 2010 par Tradonline

Une illustration sympathique des questions que peut se poser un traducteur…

Un interview que vous pouvez lire dans dans Sud Ouest que nous a envoyé un traducteur. Professeur de philosophie à l'université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3, Fabienne Brugère répond aux questions des journalistes.

Martine Aubry introduit le « care » dans le projet socialiste. Un mot venant des États-Unis et difficile à traduire en français. Fabienne Brugère répond.

En voici le contenu :

Fabienne Brugère : redonner « sens à une société décente ». S. L

Le mot n'est pas passé inaperçu. Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste, a récemment introduit la notion de « care » dans la réflexion qu'elle veut mener pour une société du bien-être. Elle veut en faire un axe fort du projet socialiste pour 2012. Mais le « care » reste encore un concept peu connu des Français et difficilement traduisible.

Professeur de philosophie à l'université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3, Fabienne Brugère a publié en 2008, au Seuil, « Le Sexe de la sollicitude ». Un livre dans lequel elle conduisait une réflexion autour du « care » et de la répartition des rôles entre les hommes et les femmes.

« Sud Ouest ». Le mot « care » renvoie à un mouvement philosophique. Comment le définir ?

Fabienne Brugère. Ordinairement, le mot « care » désigne un « prendre soin ». « Take care of you », disent les Anglo-Américains : « Prenez soin de vous ». Mais, il est utilisé actuellement en référence à son introduction dans le domaine de la psychologie morale par la féministe américaine Carol Gilligan en 1982.

Pour faire simple, face à la voix masculine majoritaire de la justice abstraite, elle voulait faire entendre une autre voix, minoritaire, largement ancrée dans l'expérience morale des femmes. Cette autre voix fait appel à l'urgence du « prendre soin ».

Le « care » est donc à la fois soin, attention, dévouement, sollicitude ou disponibilité envers autrui. C'est un courant qui repose sur la vulnérabilité des vies réelles, contre les injonctions à la performance et à l'autonomie du libéralisme.

Quelle est l'importance de ces théories en France ?

C'est la dimension politique qui provoque le plus grand intérêt. Ce courant renvoie les inégalités à un partage entre un monde valorisé de sujets performants et un monde marginalisé de donneurs et de receveurs de soins.

Le « care » existe déjà comme une véritable force sociale. On le retrouve dans les cliniques sociales, certaines associations et institutions. Des institutions de soins au sens large qu'il est important de ne pas précariser. Il implique de penser ensemble autonomisation des individus et puissance publique.

Mais ce souci des autres ne doit pas être confondu avec l'assistanat. C'est un accompagnement qui doit permettre de ramener les individus vers des formes d'autonomisa- tion.

Comment traduire le mot en français de façon simple et claire pour un projet politique ?

La traduction la plus fidèle est « prendre soin ». Politiquement, il s'agit surtout de développer une alternative crédible aux dérives du néolibéralisme et à son présupposé individualiste : le chacun pour soi. C'est la possibilité d'un projet politique pour un changement de la vie des gens ordinaires et c'est une manière de ramener vers le politique des activités qui existent déjà. Je crois que l'une des meilleures façons de traduire ce projet, c'est de dire qu'il s'agit de mettre en place un modèle social contre une société du mépris.

Contre une société du mépris, redonnons sens à une société décente, ce qui permet de justifier tout un programme politique : une révolution fiscale pour plus d'égalité réelle entre les citoyens, une sécurité sociale professionnelle, des institutions de soins élargies et pérennisées.

Et oui, un métier pas facile facile que de traduire des documents de communication ou marketing…Imaginez les résultats de la traduction automatique dans un tel contexte…