"Traditionnellement difficiles sous la Ve République, les relations entre les médias et le pouvoir sont devenues particulièrement compliquées sous la présidence Sarkozy. Le chef de l'Etat ne fait pas mystère de son peu de considération pour cette catégorie d'acteurs de la vie publique et, au-delà de l'audiovisuel public, dont il nomme les patrons, ne rechigne pas à tenter des interventions dans le fonctionnement des médias privés.
Déjà lorsqu'il était ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy convoquait le patron d'une maison d'édition, les éditions First, Place Beauvau, pour le menacer de "foudres judiciaires" s'il publiait un livre d'interviews de son épouse, à l'époque Cécilia Sarkozy. A l'Elysée, il a annoncé lui-même, dans son bureau, au directeur de la rédaction des Echos médusé la nomination de son futur patron, lors du rachat du quotidien économique par Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH, fin 2007.
Dans un dossier plus récent, celui de la recapitalisation du Monde, il a exprimé au directeur du journal, invité dans son bureau, son opposition à l'un des candidats, et déclaré qu'il lui serait difficile de justifier une aide de l'Etat à la modernisation de l'imprimerie si le choix du Monde n'allait pas vers un industriel de la presse.
Pour l'intellectuel libéral Jean-Claude Casanova, ancien conseiller de Raymond Barre, "la situation des médias français et leur degré de dépendance à l'égard du pouvoir font problème", qu'il s'agisse des médias publics ou privés, "détenus par des groupes dépendant de la commande publique".
Peut-être n'est-il pas inutile de le rappeler : le groupe aéronautique et fabricant d'armement Dassault est propriétaire du Figaro, le groupe Lagardère (qui détient 17 % des actions du groupe Le Monde), présent dans l'aéronautique militaire et l'armement, contrôle notamment Le Journal du dimanche, Paris-Match, la radio Europe 1 et les éditions Hachette, le groupe de travaux publics Bouygues possède TF1. Le groupe Bolloré, qui, outre ses activités dans le secteur portuaire, comprend des journaux gratuits, Havas, la SFP (Société française de production) et la télévision Direct8, est dirigé par Vincent Bolloré, un proche du président de la République, comme Martin Bouygues et Bernard Arnault. Et l'Agence France-Presse, en dépit des efforts méritoires de ses journalistes pour maintenir leur indépendance éditoriale, reste à la merci d'un mode de fonctionnement qui autorise toutes sortes d'interventions directes.
C'est dans ce contexte tendu qu'intervient l'affaire Woerth-Bettencourt.…"
Article de Sylvie Kauffmann, directrice de la rédaction du "Monde"
paru dans le Monde du 12 juillet
Au moins on est certain d'avoir affaire avec quelqu'un qui maîtrise le sujet ! et qui ne parle pas de bois.
Bravo Madame.
Illustration Merci à Iconovox