Ce 14 juillet 2010, les troupes militaires de quatorze pays africains défileront sur les Champs-Elysées sous les yeux des chefs d’Etat. Cinquante ans après les indépendances, on peut certes se réjouir de ce symbole d’égalité entre la France et ses anciennes colonies. Ce défilé pourrait sonner comme une heureuse fin de parenthèse au terme de laquelle la France reconnaîtrait la souveraineté pleine et entière des peuples d »Afrique autrefois pillés et utilisés comme la chair à canons de guerres qui n’étaient pas les leurs.
La célébration a pourtant un goût très amer : pour l’Afrique et les Africains, pour la France et pour les cultures francophones.
L’Afrique reste, malgré un taux de croissance supérieure à celui de l’Union européenne, le continent blessé par les maux les plus mortels : guerres, maladies, malnutrition sont encore le quotidien de beaucoup d’êtres humains.
La corruption et la captation des richesses par des clans au pouvoir, changeants au gré des putschs, demeurent des pratiques majoritaires. L’exploitation de ses ressources et de ses terres arables (de moins en moins…) par les grandes puissances ainsi que par des grandes compagnies sans scrupules accentuent les rapports de domination. Les Etats de droit sont encore rares et les mouvements démocratiques le plus souvent décapités.
Une autre politique de coopération
Pour beaucoup de militants de la société civile et des forces progressistes, agir c’est comme remplir le tonneau des Danaïdes. Si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, notion universelle venue d’Afrique, a encore un sens, il faut souhaiter que les peuples africains eux-mêmes se mettent en mouvement pour une souveraineté réelle et une démocratie effective.
Mais il faut les encourager par une autre politique de coopérations et d’aide au développement.
La France plus que tout autre pays en a le devoir et les moyens : pas seulement par souci de réparations, ni pour défendre ses propres intérêts avec des pays frontaliers qui poseront à l’avenir de plus en plus de questions liées aux flux migratoires.
Un manque de volonté politique
L’équation entre le développement et la paix est connue, tout comme celle entre pauvreté et violences de tous ordres. Ce qu’il manque ce ne sont ni les savoirs, ni les connaissances technologiques, scientifiques et médicales et encore moins les ingénieries de projets structurants dans les territoires mais la volonté politique.
L’Union européenne, et certains Etats en son sein comme la Suède, ont déjà rappelé des objectifs ambitieux et liés entre eux en matière de développement, de démocratie et de coopérations. La France reste pourtant à la traîne : avec seulement 0,47% de son PIB consacré à l’aide au développement (dont une part croissante sous forme de prêts… eux mêmes destinés à rembourser des dettes ! ), elle est loin de l’engagement portant officiel de la porter à 0,7%.
Aux yeux de beaucoup de citoyens africains, la France est plus perçue pour être entremetteuse dans les ventes d’armes ou soutien à peine honteuse de dictateurs ou d’aspirants dictateurs que pour sa contribution au progrès.
Un problème de moyens
Souvent seules, les ONG, associations et collectivités locales s’engagent dans des projets d’intérêt général : accès aux soins, localisation des productions agricoles, échanges culturels tandis que le gouvernement s’ampute volontairement de toute capacité à agir, en délégant la quasi-totalité de ses prérogatives à l’Agence française du développement et en opérant un tour de vis budgétaire qui sera peut-être fatal à son action extérieure.
A la veille de la conférence de révision des objectifs du millénaire pour le développement qui se tiendra le 20 septembre à New -York, on peut craindre une fois de plus la rhétorique Sarkozienne : grand discours de Guaino (sauf pour ce qui est de « l’homme africain »…) et cynisme du pouvoir.
Aux enjeux de développement s’ajoute un tout autre défi : refonder l’alliance des cultures francophones. A l’ère d’une mondialisation très anglo-saxonne qui génère une standardisation des cultures, la francophonie peut représenter tout à la fois un avocat pour la défense d’un monde multiculturel et une promesse de fraternité entre les peuples qui ont la langue française pour bien commun.
Célébrons le 14 juillet autrement
Dépasser le stigmate colonial est possible en changeant totalement d’optique : privilégier les échanges (universitaires, culturels) et les projets structurants (éducation nationale, pérennité des productions locales, infrastructures métropolitaines, etc.) favorisera un nouveau rayonnement autours de toutes les cultures francophones, dont toutes ne sont pas issues de la colonisation.
Rêvons, pourquoi pas, d’une autre façon de célébrer le 14 juillet, loin des défilés militaires, où seront à l’honneur les forces de la culture et de l’esprit. C’est ce que plaide aujourd’hui M. Abou DIouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, dans une approche autrement plus généreuse que l’hypocrisie honteuse du pouvoir français. Ce sera sans doute là le meilleur hommage rendu à l’Histoire : à Patrice Lumumba, Mehdi Ben Barka, Leopold Sedar Senghor et les autres… A l’avenir surtout.
A lire sur Rue89 et sur Eco89