L’exposition dont tout le monde (et Le Monde) parle à Arles est celle de Clément Chéroux consacrée au tir photographique, passe-temps de fête foraine du début du XXème siècle, où l’analogie du tir au fusil et de la photographie est mise en évidence. L’attraction en est d’abord le stand de tir à l’entrée, où tout bon tireur atteignant le centre de la cible se verra remettre son portrait (pour voir le mien, aller du côté des ‘réseaux sociaux’), mais, au-delà de l’amusement, comme on pouvait s’y attendre, c’est une exposition qui interroge la pratique même de la photographie. La présence de Jean-Paul Sartre accompagnant Simone de Beauvoir au tir en 1929 (il a 24 ans, elle 21, et tous deux ont des yeux bien étranges) permet de gloser sur l’existentialisme de la photographie, l’accomplissement photographique étant ici intrinsèquement lié à l’autodestruction symbolique, au fait non pas tant de faire feu sur soi-même que de se trouver tiré alors qu’on tire. L’artiste israélien Omer Fast avait, dans un registre plus tragique, utilisé cette ambiguïté du mot ‘Shoot’, entre cinéma et extermination.
On arrive enfin à une pièce d’où viennent les bruits de fusillade qui nous ont accompagnés pendant toute la visite. Cernés par quatre écrans, nous sommes la cible de tireurs en tout genre, au pistolet ou à l’arme automatique, soldats, gangsters ou cow-boys, tireurs couchés, debout ou en position, froids assassins ou tueurs compulsifs. Ce sampling de scènes frontales de tir, fait par Christian Marclay en 2007 (Crossfire)
terrifie d’abord, et plusieurs spectateurs sortent aussitôt. Si on tient pendant les dix minutes, criblé de balles, le souffle coupé, assourdi (manque l’odeur de la poudre), on atteint en fait une sorte de nirvana post-mortem, de sérénité jouissive, de climax (Quel est le titre de ce film où, dans la scène finale, les trois gangsters gringos, s’échappant d’une banque au Mexique après leur hold-up, sont accueillis par les salves de centaines de soldats qui tirent à volonté ?). Marclay a réalisé là un montage remarquable qui parfois s’accélère et parfois se calme, respirant, scandé, rythmé, hallucinant, fascinant, nous tenant à sa merci.C’est une exposition à la fois distrayante et profonde. J’aurais toutefois aimé qu’elle soit étendue du côté de la prise de photo automatique, quand le photographe n’intervient pas directement sur la prise de vue, ce qui ouvre des pistes de réflexion tout à fait congruentes. J’ai par exemple pensé à la photo de mariage de Jeff Guess, prise par un radar routier; mais ce n’est pas un tir, même si la police est aussi impliquée. On pourrait aussi élargir le propos sur les liens entre photographier et tirer, avec le fusil de Marey ou les cinémitrailleuses des bombardiers allemands.
Photos de l’auteur, excepté Geoffray et Marclay.