Purcell, Sainte Cécile & Machine

Publié le 14 décembre 2007 par Philippe Di Folco
(sans alcool, au réveil)
Le 15 octobre 1634, René Descartes fit un enfant à Helena Jans (Verbeek T. et al. Institut Néerlandais, 1996) la bonne de son propriétaire. Francine naquit le 19 juillet 1635 mais l'enfant mourut le 7 septembre 1640, laissant Descartes très affecté au point qu'on raconte qu'il surnomma "Francine" une machine qu'il aurait imaginer : fable ?
A part Denis Diderot, je ne connais pas d'autre cas de philosophe qui montre autant  d'intérêt pour l'enfant surtout si c'est une fille : ça revient dans leurs écrits, avec constance (parlons-nous des filles de Wolfgang ? non.).
Hier au soir, en regardant les doigts d'I. ("i" majuscule) se promener sur la harpe, remontait en moi la légende de Sainte Cécile.
Depuis quelques mois, s'imposait pour un récit de feu et d'eau la métaphore de "l'ange  harpiste aux doigts lactescents" que l'on aperçoit sur une frise, côté gauche de Notre Dame, en partant du porche. Hasard objectif (une photo en se promenant avec toi chère I., déclencha le process) ?
En rentrant, le soir, après le concert d'I., j'ai réécouté Odes for St Cecilia's Day d'Henry Purcell (Taverner Consort, Choir & Players - Adrew Parrott, dir., Virgin, 1999). Dans celle de 1692, composée à partir d'un texte de Nicolas Brady, le huitième mouvement m'a toujours paru mystérieux et en même temps, si lumineux pour notre temps.
Il y aurait beaucoup à dire. Trop sans doute donc mal.
Cette profusion de connexions nuirait à l'étincelante Cécile.
Juste s'étonner encore que dans ce 8e mouvement qui dure ici 6'06, l'on commence par un prélude à l'orgue intitulé Volontary, en ré mineur. J'aime le ré mineur (D-moll), écoutons-le chez Mozart et Schubert, bien sûr, chez les "anges de passage"...
Plus étrange (car je me perd là en suppositions), à l'écoute, cette intro "volontaire", qui n'évoque rien de religieux, qui n'appelle pas le recueillement comme d'un air d'église, semble subsumer la Joie même. "Il faut déterminer que l'on est joyeux". C'est déjà du Bach mais sous un roi catho. Mélangeons-nous donc pour l'allégresse et fi de l'informe "global culture" vide de sens, affection négative comme l'est toute news, mortifère car immédiate.
Que cet air particulier qui se transforme a 3'45 en une voix de basse qui entonne un "Wonderous Machine", voilà qui ne cesse de me réjouir.
Wonder Woman, super jeune fille...
Entre mars et juin 1630, on présume que Descartes se trouve en Angleterre.
Les pensées mettent quelques temps à se féconder les unes les autres. Quand je lis la vie de Descartes, je lis en même temps des bribes de Spinoza commentées par Deleuze parce qu'un ami m'a écrit un essai sur les Anges et que je découvre par hasard un essai de Jean-Claude Dumoncel, Le Pendule du Docteur Deleuze (1999) où je lis :
"Tout ce qui est joyeux est créateur
Tout ce qui est désir est joyeux
Donc tout ce qui est désir est créateur."
L'intérêt des syllogismes, fussent-ils deleuziens, consiste en un appel à la glose.
Dumoncel j'en avais entendu parlé par Lecourt à cause de Wittgenstein et aussi de Diderot, des encyclopédistes, etc., etc. Parfois nos modes de pensées sont comme une composition musicale mais il y manque le coda, les mesures, les clefs. On y trouve les accords en différents modes mais rien d'autre.
Que ces gloses, nous les imaginions possible par delà les époques, intermédiants nos propres pensées à celles des fantômes ;
qu'un petit morceau de musique affleure à dire tout cela ;
que les petites doigts agiles durant quelques minutes donnent raison au désir, à l'éphémère, à l'amour en ré mineur.
(ici, virage)
ENFIN, tout ça pour dire que en quelques tavernes des Pays-Bas espagnols au XVIIe s. on aimait sans doute les guitares et donc le flamenco. M'est avis que les Anglais adopte sous Elisabeth ce genre d'instrument à corde et le style (on a ça chez John Dowland, loué par K. Dick), subsume la guitare pour s'approprier les forces de l'ennemi catholique n°1, l'Espagne.
Avec Purcell, on est dans la fusion des arts italiens, français (l'Ennemi catho n°2 devenu n°1 après l'Armada éventée) et ce quelque chose de profondément anglais.
Cet esprit anglais quand I. écoute du rock, et qu'elle s'en délecte, qu'elle est dans la Joie et pour la Joie, je ne saurai dire s'il est né quelque part dans le Grand Siècle à Londres, mais oui, la tentation est là. Et j'y cède plus volontiers encore quand je réécoute Volontary, un chant de machine qui met en marche toutes les machines musicales à venir, un chant de machine pour le cerveau-machine des Francines fluides, habiles et pulvérulentes, soft, douces et oui, lactescentes. This is the Way, step inside.
Cependant, Dumoncel me prévient dans son essai page 17 que : "Et comme le dit un proverbe borgésien, l'Inde est plus grande que le monde [sic]. L'émergence d'une philosophie de l'histoire a imposé à la philosophie un registre monographique où tous les noms propres du monde veulent sonner à tour de rôle pour faire entendre chacun le son de cloche qui est propre. C'est ce que Deleuze appelle "la mer des noms propres" (Anti-O., p. 371)"
et aussi p. 31 cette "wondorous" pensée-rapt : "J'appellerai focalisation ostensive la série formée par une Grande Machinerie et une Moyenne Machine montrées en raison d'une "petite machine" de l'horreur ou de l'extase qui demeure en retrait (et qui est aussi ce que Deleuze désigne comme le "trop grand"). Ce qui demeure en retrait, c'est l'outlandish. Ce n'est pas qu'on puisse le montrer aussi et en parler, mais il y a toutes les chances que ce soit en vain, à moins que la manière y soit mise. Et la procédure de la manière, c'est l'outlandish."