Loto-Québec, en lançant un casino en ligne, est source de nombreuses interrogations. Loto-Québec, en tant que société étatique, influence les citoyens du Québec par ses prises de décision. En se lançant dans le jeu en ligne, elle encourage des joueurs à venir y dépenser de l'argent. Or, est-il approprié de juger moral le fait que Loto-Québec, société d'État se devant d'être à l'image des valeurs du Québec, s'engage dans une entreprise qui compromet certains critères moraux?
Afin d'étudier ce problème sous une perspective utilitariste, il convient de se pencher sur les conséquences qui découlent de la décision de Loto-Québec de mettre sur pied un casino en ligne. Yves Boisvert souligne dans son article que Loto-Québec compte obtenir des profits considérables à travers le jeu en ligne. Certes, la mise en place d'un tel produit risque d'attirer de nouveaux joueurs compulsifs, augmentant ainsi le nombre d'accros au jeu, chose que la société québécoise tente d'éviter. Or, une étude menée par Robert Ladouceur montre que le nombre de joueurs pathologiques est demeuré constant, même après l'implantation des appareils de loterie vidéo. Si cette tendance devait se maintenir après la création de casinos en ligne, le geste de Loto-Québec ne devrait pas être jugé immoral. Pour Mill et Bentham, deux utilitaristes, la moralité de l'action se mesure d'après ses conséquences. Si celles-ci amènent plus de plaisir que de souffrance, alors l'action est jugée morale. Dans le cas de Loto-Québec, les casinos en ligne pourraient apporter de hauts rendements, créer de nouveaux emplois, et ainsi favoriser le plus grand bonheur du plus grand nombre. En effet, en dépit des nouveaux joueurs qui risquent de faire leur entrée dans l'univers du jeu, les rendements seraient tels que l'éventuelle montée des joueurs pathologiques pourra, dans une perspective utilitariste, être considérée négligeable. Cependant, est-il pour autant politiquement correct que Loto-Québec, une société d'État, se permette de compromettre certaines valeurs morales? Dans la société québécoise, la loterie est une activité à laquelle se livrent certaines personnes, de façon délibérée et autonome. Or, si Loto-Québec en venait à rendre la loterie accessible en ligne, n'userait-elle pas d'une forme de publicité anti-sociale, incitant les gens à venir se ruiner? Il est à considérer ici que la politique est avant tout une question de pouvoir, et qu'il existe une certaine distance entre la politique et la morale. Machiavel dira des gouvernements qu'ils sont des instances politiques ayant le pouvoir de paraître bon et moral, et de dissimuler la vérité lorsque cela leur permet de se maintenir au pouvoir. Loto-Québec, en se lançant dans le jeu en ligne, n'agit peut-être pas selon la morale la plus juste, mais au moins s'assure de bons rendements, et ainsi sa longévité.
Cependant, il serait un peu trop précipité de clore ici le débat. Si l'instauration de casinos en ligne assure la stabilité du pouvoir de Loto-Québec, tout en permettant de contribuer au bien-être économique de la société, elle ne garantit pas le bonheur de la société à long terme. S'assurer du bonheur à long terme suppose que l'on s'interroge non seulement sur les conséquences à court terme d'une action, mais aussi sur l'intention de l'agent. Car même si l'agent agit moralement de par les conséquences de ses actes, il aura plus de chances d'agir maladroitement ultérieurement si ses intentions sont immorales.Chez Kant, la morale est une question de devoir, non de bonheur. Pour agir par devoir moral, l'individu doit, par sa raison, déterminer ce qui est moral. L'impératif catégorique kantien stipule que tout être doté de raison doit agir d'après la maxime voulant que son action puisse être érigée au rang de loi universelle. Dans le cas de Loto-Québec, si l'on perçoit cette société comme une forme d'autorité, on peut être porté à croire que plusieurs individus prendront ses décisions pour des modèles. Est-il moralement acceptable que des individus prennent par la suite l'initiative de former de nouveaux site de pari en ligne? Kant serait défavorable à cette idée, car elle pourrait mener à une forme de destruction de l'humanité, soit la dépendance au jeu. Par ailleurs, Loto-Québec, en se servant de l'intérêt que partagent un certain nombre de gens pour le jeu, traite l'humanité comme moyen, plutôt que fin. En effet, l'entreprise profiterait de la dépendance au jeu de certains pour s'attirer de plus gros profits. Ici, Kant dirait que Loto-Québec manque de respect envers ses citoyens.
Dans une perspective kantienne donc, l'intention de Loto-Québec de créer des casinos en ligne n'est pas tout à fait morale.Toutefois, entre l'objection kantienne et l'approbation utilitariste, on peut trouver un compromis. Comme nous l'avons vu plus haut, la décision de Loto-Québec peut être jugée morale dans la mesure où elle accroît le bien-être économique de la société. Kant rejeterait cette proposition en soulignant que Loto-Québec utilise les citoyens comme moyen. L'élément permettant de délibérer sur cette opposition est celui de la responsabilité sociale. Loto-Québec, bien que se servant de sa population comme moyen pour accroître ses revenus, encourage également la population à jouer de manière responsable sur des sites légaux. Il ne faut pas oublier que les casinos en ligne existaient déjà avant l'entrée de Loto-Québec. Les gens allaient y dépenser leur argent, mais de façon illégale et au péril de leurs économies, le contrôle sécuritaire des cartes de crédit n'étant pas garanti. Loto-Québec, en créant ses propres casinos en ligne, risque certes d'attirer de nouveaux joueurs, mais elle encourage en même temps la population à jouer de façon sécuritaire. En cette voie, les gestes de Loto-Québec peuvent être jugés moraux car si toutes les sociétés s'efforçaient de garantir un jeu sécuritaire, le nombre de fraudes diminuerait. D'autre part, comme toute société étatique est à l'image des intérêts de la population, Loto-Québec ne fait que répondre aux besoins de la population en mettant en place des casinos en ligne. Est-ce donc moral qu'une société désire de tels services? Cela reste à discuter. Mais tant que la société reconnaît une légitimité aux gouvernements, les actions prises par ceux-ci sont politiquement correctes, si elles répondent aux intérêts de la collectivité.