A Angers, le Quai est un “espace des arts vivants” doté de salles de spectacles et d’un immense hall (le forum), qui accueille des expositions, des spectacles, des évènements, etc. En ce moment, les artistes invités y parlent des ennuis climatiques de la planète. C’est de saison.
Ils font des œuvres à ce propos, ils sont inspirés, d’ailleurs on leur a demandé d’être inspirés. Ils ont un point de vue sur cette question, comme ils en ont un sur la politique, sur les guerres, sur la vie sociale, sur le terrorisme, sur l’économie, sur tout, quoi. Il suffit de demander. Il suffit de commander. Ces artistes contemporains sont maintenant sociologues, cela ne leur suffisait pas d’être philosophes. Ce sont eux aujourd’hui qui interrogent le public sur les grandes questions mondiales, voire universelles. Ce sont eux qui après enquête, se chargent d’ouvrir les yeux du peuple sur sa consommation de sacs plastiques, d’appareils électroménagers… S’ils n’étaient pas là, tous ces artistes sociologues, mais que deviendrions-nous ? Quelle conscience aurions-nous ? Qui nous aiderait à penser ? Qui nous culpabiliserait ? On n’hésite d’ailleurs pas à nous offrir une belle plaquette, avec un descriptif très détaillé des “dispositifs” (on pense peut-être à notre cerveau décrépit qui a bien besoin de soutien), accompagné de beaux textes biographiques et explicatifs sur les démarches individuelles et collectives. Le titre de cet article est d’ailleurs directement inspiré de ce dépliant. Tout cela est une magnifique illustration, presque une caricature, des tics de la création artistique dite émergente. Suivant une méthodologie très convenue, on y trouve tout le champ lexical de l’art contemporain, accompagné des codes inévitables de mise en page, de présentation, bourré de références absconses. Tous ces gens qui, à lire ou écouter leurs discours, veulent paraître si intelligents, tellement au dessus de notre médiocre condition intellectuelle et culturelle, ont-ils conscience que se prendre au sérieux de la sorte est plutôt risible et ridicule ?
Un exemple d’œuvre : un fer à repasser est suspendu à un filin, et tourne au dessus de la tête des visiteurs. De temps en temps il lâche un peu de vapeur. Voilà l’œuvre dans sa totalité physique. Je laisse mon lecteur face à la description, et s’il veut savoir ce que cela veut dire, qu’il prenne la peine d’aller au Quai. Et s’il est trop loin, il peut toujours trouver un site internet en entrant “Eclaircies” (le titre de l’exposition) dans son moteur de recherche. On y apprend que certaines institutions soutiennent (pardonnez-moi, je comprends subventionnent) les artistes qui mettraient le thème du changement climatique au cœur de leur “projet artistique” : on incite donc bien les artistes à travailler dans le sens du vent…
Cette ironie couvre pourtant une question que je me pose souvent lors de ces manifestations : est-ce le rôle de l’artiste de faire réfléchir sur l’actualité immédiate, est-ce à lui de dire une fois de plus la réalité du monde qu’on nous déballe déjà dans tous les médias à toute heure du jour et de la nuit ? Etranges artistes ceux qui sont aujourd’hui en train de montrer pompeusement, coûteusement et spectaculairement des évidences sociologiques sur une humanité qui ne progresse pas. Il y aurait à réaliser là une passionnante étude du comportement des artistes contemporains vis à vis de la culture de l’immédiateté, de l’actualité, de l’aussitôt, du court terme, mais quel artiste s’en chargerait ? Jolie mise en abyme, qui mériterait bien une subvention, pour le moins européenne…
L’artiste ne devrait-il pas, au contraire, sans pour autant se voiler la face, faire preuve d’un certain recul, d’un décalage, d’un écart vis à vis du monde “réel”, afin que son œuvre soit atemporelle ? Nos artistes socio-écolos-subventionnés seront bien vite dépassés par la marche du monde, dont Obaldia a dit qu’il aimerait en descendre, pour peu qu’on l’arrête un moment.
C’est finalement ce que je reproche à cet art contemporain formaté qu’on veut me faire avaler de gré ou de force : il colle trop au monde tel qu’il avance, il est opportuniste, il lui est soumis. Il se nourrit de ce qu’il dénonce, en consommant le temps présent. Et c’est là, je l’avoue et je l’assume pleinement, dans ce détachement, dans cette distance, (mais non pas désintérêt) vis à vis de cette réalité que j’ancre mes critères personnels essentiels de définition de l’œuvre d’art. C’est là, dans cette intemporalité, que je pose ma limite et ma condition artistiques.
L’art est peut-être un arrêt du monde.
Photo: Flickr, Dalbera