Max | Repos

Publié le 11 juillet 2010 par Aragon

Elle dort. Elle a replié ses genoux sur le côté. Elle est nue, il fait chaud. Elle entoure ses seins de ses bras déployés comme deux ailes protectrices. Ses cheveux font comme une tache de sang coagulé sous son crâne. Elle fait vibrer l'air autour d'elle, comme si un papillon invisible la protégeait. Sa présence endormie est lourde, centrale, toute l'énergie de la maison converge vers elle, elle aspire toutes les forces, les miennes aussi, même les chats sont envoûtés et je dois les chasser d'un geste las pour qu'ils s'éloignent.

Elle est en paix, visiblement. Elle attire en elle un sommeil profond, réparateur, exclusif. Je la regarde dormir et je l'envie. Cette concentration de vie en elle est stupéfiante, monstrueusement séduisante. Comme un trou noir unique en cette chambre, dont je suis banni.

D'un coup, une inquiétude sourde me vient, me visse le cœur et les tympans, me jette à genoux devant elle. Et si elle ne dormait pas ? Et si ce que je prends pour du repos était un silence plus absolu. Mes mains frôlent son front, frais. Je me penche sur son visage, je ne sens rien, ou presque. Pas de souffle, même aérien. La peur me prend, par derrière, hostile, saisissant ma nuque de ses doigts crantés, elle me fige dans un instant d'incertitude pure, de doute vertigineux. Je me sens confondu aux murs, confondu à ce lit, à ce corps statique, je suis cloué près d'elle qui ne cille pas, voué à l'éternité d'une attente sans but, cherchant en moi l'air qui ne vient plus, ouvrant les yeux en grand de peur d'y voir quelque chose, et pleurant, craintif et désespéré comme un gamin devant la tombe de son chien.

Je la secoue maintenant, elle ouvre à peine les yeux, mi-amusée, mi-agacée, et je sens en moi comme une vague me laminer par le bas, comme un dépôt d'armes inutiles au pied de cette déesse, une soumission d'esclave apeuré et suppliant.

Elle me prend dans ses bras, m'entraîne sur sa piste de danse, me fait valser sur un rythme de slow, me précipite dans son laboratoire secret, m'affuble de mots inédits, me colle à sa vie comme un timbre obsolète, m'affranchit pour un voyage sans destination aucune, et je finis par m'assoupir, épuisé par une peur d'enfant, moi qui ne craint ni Dieu ni Maître.

Photo Fabrice Shooting "Intimity" : http://www.zphoto.fr/mclain