Nous avons déjà soulevé cette question à quelques reprises auparavant, mais le think tank Allemand Centrum Für Europäische Politik a maintenant produit une étude très intéressante à ce sujet. Il y démolit la légalité de la ligne de crédit de 60 milliards d'Euros, approuvée en mai (et faisant partie du plan de renflouement de 500 milliards). Cette ligne de crédit, comme nous le disions ici, implique que la Commission Européenne emprunte sur les marchés en utilisant le budget de l'Union Européenne comme garantie. La base légale pour ces fonds est l'article 122 des traités de l'UE, dont l'intention est d'apporter de l'assistance aux Etats de l'UE en cas de désastre naturel ou de panne énergétique soudaine (« circonstances exceptionnelles échappant au contrôle de l'Etat », comme il est formulé dans le texte).
Cette étude a été reprise dans toute la presse allemande – et elle apporte certainement des munitions aux défis légaux contre le sauvetage, qui suivent en ce moment leur chemin au sein de la Court Constitutionnelle Allemande. Cette étude affirme que le public a été trompé sur plusieurs points, et avance l'argument que le programme d'aide ne sera pas limité à 3 ans, comme le prétend la Commission, mais sera « installé indéfiniment ».
« On a assuré au public que l'UE ne peut pas emprunter au-delà d'un maximum de 60 milliards. Dans le texte légal, il ne figure aucune régulation de la sorte », dit l'auteur de l'étude Marcell Jeck.
Le CEP argumente aussi que l'UE a détourné l'article 122 comme base légale pour les fonds de sauvetage et que le Parlement Européen n'a pas été consulté, ce qui revient à enfreindre la loi de l'UE. Le rapport suggère aussi que le plan de sauvetage ne satisfait pas aux exigences de la décision précédente de la Cour Constitutionnelle Allemande, du fait qu'il ne donne pas un rôle suffisamment fort au Parlement Allemand dans l'approbation de cette aide.
Le gouvernement Allemand a répondu le 5 juillet à cette étude, son Porte Parole Christoph Steegmans refusant de commenter sur le défi légal lui-même, disant seulement que l'Allemagne entre dans des « territoires constitutionnels inexplorés ». Il a ajouté, « le Gouvernement Fédéral a toujours pris grand soin de minimiser les risques constitutionnels possibles qui pourraient se présenter avec l'émergence du plan d'aide Européen ».
Tout le monde attend désormais le verdict de la Cour Constitutionnelle au sujet de la légalité du plan d'aide. Le 6 juillet à 11h30, une conférence de presse a été tenue par les quatre universitaires qui ont déposé plainte devant la Cour.
Dans une publicité dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, ils argumentent que « le plan d'aide de Bruxelles ne sauve pas l'union monétaire (…) Il est interdit pour la Commission ou pour un Etat membre de prendre la responsabilité des obligations financières d'un autre Etat membre (…) nous sommes sûrs que notre plus haute cour déclarera anticonstitutionnel ce coup porté à la démocratie parlementaire et à l'efficacité économique ».
En ce qui nous concerne, pour ce que ça vaut, nous voyons trois raisons pour lesquelles le plan d'aide devrait être jugé illégal, s'il était examiné objectivement par une cour :
1) Comme le CEP le signale, l'utilisation de l'article 122 de cette façon requiert un effort d'interprétation légale héroïque, particulièrement comme le Conseil de l'Europe a déjà dit que l'article 122 doit être compatible avec la « clause de non sauvetage » des traités de l'UE. Le fait que l'article 122 implique un vote à la majorité qualifiée, plutôt qu'à l'unanimité, rend ceci encore plus outrageux.
Le Ministre Français des Affaires Européennes Pierre Lellouche a résumé à quel point ce problème relève du contentieux le mois dernier, quand quand il a appelé ce sauvetage un changement « sans précédent » des traités de l'UE. « C'est un changement énorme » a-t-il dit. « Ca explique une partie de la réticence. C'est expressément interdit par la fameuse clause de non sauvetage. De facto, nous avons changé le traité ».
2) Comme le signale le CEP, le plan de sauvetage a mis sur la touche le Bundestag et le Bundesrat, et ce en dépit du fait que la Cour Constitutionnelle Allemande avait posé comme condition, dans son jugement sur le Traité l'année dernière , un plus grand rôle pour ces deux institutions, avant d'approuver le Traité de Lisbonne.
3) De plus –une chose que le CEP n'a pas soulevée- les traités de l'UE spécifient clairement que toute décision impliquant le budget de l'UE doit être prise à l'unanimité, ce qui signifie que chaque Etat a un droit de véto sur tout accord. Le Fond de Stabilisation implique clairement le budget de l'UE, du fait que les prêts sont garantis par le budget et que tout défaut sera couvert par lui – et malgré cela il a été décidé par vote majoritaire. Passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée est un transfert de pouvoir qui requiert l'approbation des parlements nationaux. Selon les mots de la Cour Allemande :
« … On ne peut renoncer au droit de véto au Conseil sans la participation des organes législatifs compétents, même en ce qui concerne des domaines qui ont déjà été factuellement définis dans les traités. Les représentants du gouvernement Allemand au Conseil ou au Conseil de l'Europe, peuvent seulement approuver un amendement de loi primaire par l'application de l'une des clauses passerelles spéciales au nom de la République Fédérale d'Allemagne si le Bundestag et -si les provisions de la législation l'exigent- le Bundesrat, ont approuvé cette décision, dans un délai restant à déterminer ».
La Cour s'est approchée de plus en plus de juger les traités de l'UE incompatibles avec la loi fondamentale Allemande, dans les cas de Maastricht, Amsterdam et Lisbonne, mais s'est toujours arrêtée au dernier moment avant d'appuyer sur la gachette. Optera-t-elle pour l'option nucléaire cette fois-ci ?
Eh bien, ça serait un évènement cataclysmique si elle décidait de juger que le sauvetage est illégal – notre sentiment est qu'elle va se retenir juste au dernier moment cette fois ci encore.
Au bout du compte, cette Cour n'est pas immunisée contre la politique, et les enjeux politiques du sauvetage sont menés par la logique du « trop gros pour pouvoir échouer ». Mais, quel que soit le regard qu'on porte sur cette question, il y a quelque chose qui cloche.
Un article de Open Europe Blog.