Il y a 10 jours, François Baroin avait publié un premier document détaillant les 150 mesures d'économies qu'il entendait appliquer au budget de l'Etat. Mardi après midi, le ministre du budget, a remis un document d'orientation budgétaire aux députés de sa majorité, avant le vote du cadrage budgétaire. Vingt-trois pages pour détailler «le budget pluri-annuel de l'Etat 2011-2013». Baroin disait vouloir raboter les niches fiscales, épargner au mieux les minima sociaux, mais réduire les subventions finançant des structures tierces oeuvrant pour le compte de l'Etat. Vraiment ?
A quoi bon ?
On objectera qu'en 2012 se dérouleront des élections présidentielle puis législatives qui, si la majorité change, devraient invalider la dernière année de cet exercice. On objectera également que les précédentes orientations budgétaires, depuis 2006, ont été systématiquement invalidées... par les faits. Le paquet fiscal de l'été 2007 a grevé le budget de dépenses fiscales imprévues par le gouvernement précédent au point que Nicolas Sarkozy et François Fillon s'étaient alors empressés, dès juin 2007, d'aller prévenir la Commission européenne qu'ils ne tiendraient pas les promesses de rigueur de leurs prédécesseurs; le ralentissement économique depuis le printemps 2008 a ruiné le cadrage des années suivantes. Bref, cet exercice est techniquement louable, mais pratiquement inutile tant nos dirigeants gouvernent... à vue.
En préambule, le gouvernement rappelle qu'il ne peut toucher à deux postes : primo, les 45 à 55 milliards d'euros d'agios sur la dette publique à payer chaque année: les charges d’intérêt de la dette (42,45 milliards d'€ en 2010), «malgré les perspectives de réduction du déficit budgétaire», devraient augmenter en valeur de plus de 9% par an en moyenne. Secundo, les 36 à 40 milliards d'euros de pensions de retraites des fonctionnaires et «en dépit de l’impact bénéfique de la réforme des retraites».
A l'exception d'un «rabottage» de certaines niches, les (dés)équilibres constatés sur le système fiscal français ne sont pas évoqués par le ministre. Baroin cherche 45 milliards d'économies, et prie pour un retour à la croissance pour récupérer les 55 milliards manquants à l'amélioration de 100 milliards promise à la Commission européenne. Mais sur les impôts, rien, nada. Circulez, y a rien n'a voir. Qu'importe si l'on apprenait, la même semaine, qu'une Liliane Bettencourt ne payait que 20% d'impôt... L'information était symbolique, mais le symbole est fort.
Reste donc à faire des économies tous azimuts, ou presque.
Economies, quand tu nous tiens....
L'objectif retenu est donc le gel en valeur des dépenses de l'Etat. En d'autres termes, le gouvernement avait déjà figé les 357 milliards d'euros de dépenses publiques «en volume» pour satisfaire Bruxelles. Le voici qu'il veut le geler également en valeur, et gratter ainsi 0,2% en 2011. Pour y arriver, certaines économies seront «transversales», c'est-à-dire qu'elles concerneront potentiellement toutes les dépenses publiques, opérateurs de l'Etat compris : non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, baisse de 5% en 2011 puis de 10% par an des dépenses de fonctionnement, réduction annuelle de 10% des subventions et allocations (essentiellement sociales).
Les suppressions de postes de fonctionnaires, vrai dada du Monarque, l'un des deux marqueurs idéologiques de la Sarkofrance (avec le bouclier fiscal) qui a survécu à la débâcle des années 2007-2009, sont largement commentées: Elles sont prévues à -31.400 Equivalent Temps Plein (ETP) en 2011, -32.800 ETP en 2012 et -33.000 ETP en 2013. L'Education nationale en supportera plus de la moitié (16 000 en 2011, sur un effectif de 963 000 personnes). La Défense sera le second contributeur (8 250 sur 309 000 personnels); l'intérieur (police et gendarmerie) perdra encore 1600 postes l'an prochain. Le gouvernement précise: «De manière plus détaillée, à l’exception du ministère de la justice et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, tous les ministères verront leurs effectifs réduits sur les années 2011 à 2013. » Au total, 3 milliards d'euros d'économies sont attendues sur trois ans.
Bizarrement, le document précise que la moitié de ces économies sera «retournée» aux fonctionnaires (page 11), alors qu'il mentionne par ailleurs que les salaires seront gelés dès 2011... En fait, ce «retournement» sera réalisé par les revalorisations automatiques de certains fonctionnaires liées à leur ancienneté. La belle arnaque ! En 2007, Sarkozy avait promis aux fonctionnaires qu'il leur reversait la moitié des économies générées par la suppression d'un poste sur deux retraités. Il n'avait précisé que ce cadeau était déjà acquis, puisqu'il s'agissait de l'indexation automatique sur l'ancienneté !
Au total, le solde de ces opérations de réductions des effectifs de l'Etat réduira ses dépenses de 82,7 milliards en 2011 à 81,9 milliards en 2013, soit ... 800 millions seulement.
Ensuite, le gouvernement entend s'attaquer aux prestations de guichet, c'est-à-dire celles qui sont dues automatiquement dès que le bénéficiaire remplit les conditions fixées. Il prévoit des modifications législatives afin d'en réduire le coût, de 37,5 milliards d'euros en 2010, malgré la hausse du nombre de certains bénéficiaires. Le document de Baroin les répertorient :
- 21,5 milliards de minima sociaux et allocations (dont 6 milliards d'allocation handicapés, 5 milliards d'aides personnelles au logement, 3 milliards de prestations aux anciens combattants, etc).
- 3,7 milliards d'euros d'exonérations de charges sociales (dont 1 milliard pour l'alternance, un autre pour les contrats en Outre-mer, 1 milliard pour l'emploi tels les services à la personne, etc)
- 2,1 milliards de bourses étudiantes et scolaires,
- 6,5 milliards d'euros de subventions d'ajustement à des régimes spéciaux (dont 5,7 milliards pour les retraites)
- et 3,8 milliards de guichet divers (épargne logement, aides agricoles, aide juridictionnelle, etc).
Dans son document, François Baroin précise l'ampleur des réductions d'allocations qu'il entend mener contre ces allocations sociales et autres: 1,7 Md€ en 2011 et 2,3 Md€ en 2012 et 2013, soit 6,3 milliards d'euros sur la période.
Les autres dépenses d'intervention sont discrétionnaires, et totalisent 21,9 milliards d'euros par an. Les secteurs les mieux dotés sont le travail et l'emploi (3,7 milliards), l'écologie (3,1 milliards), l'aide publique au développement (2,8 milliards), la recherche et l'enseignement supérieur (2,2 milliards), et la ville et le logement (2,1 milliards), soit près des deux tiers des dépenses d'intervention annuelles. Dans son plan, le gouvernement les prévoit à 21,3 Md€ en 2011, 20,4 Md€ en 2012 et 19,4 Md€ en 2013.
Réduction d'effectifs, d'allocations ou de subventions, tout, ou presque, est ensuite précisé secteur par secteur. Sur les 281 à 296 milliards d'euros par an entre 2010 et 2013, les principales missions «épargnées» sont la Justice (5,9 milliards d'euros par an, stable), la Défense (stable), l'Education (stable), la Recherche (+2%), la Sécurité (stable). La vraie mission sacrifiée sera l'emploi (-2 milliards d'euros en trois ans, soit 20% de réduction) : le gouvernement envisage de supprimer certaines exonérations de charges, comme celles relatives à l’avantage en nature constitué par les repas des salariés de l'hôtellerie et restauration, ou celle, de 15 points, des particuliers employeurs et le régime spécifique des structures agréées dans le domaine des services à la personne. Il veut également réduire de 50 à 60 000 par an le nombre d'emplois aidés (400 000 en 2010, puis 340 000 en 2011).
Il attend, enfin et surtout, des «gains de productivité importants» parmi les structures de l'emploi (Pôle emploi, missions locales, opérateurs privés de placement...), et pas seulement l'arrêt des dispositifs de relance: en particulier, «la participation de l’État dans les missions locales et les maisons de l’emploi sera réduite.»
La suite du document révèle d'autres surprises, rarement mentionnées dans les comptes-rendus médiatiques des interventions du ministre Baroin. Ainsi, saviez-vous qu'il prévoit de réduire d'environ 100 millions d'euros par an d'ici 2013 le budget du ministère de l'agriculture ? N'espérez pas non plus la création de places d'hébergement d'urgence pour les SDF : «le nombre de places en centres d’hébergement d’urgence (CHU) et en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sera stabilisé au niveau atteint fin 2009.» (page 20); Le budget de l'environnement sera réduit de 600 millions d'euros dès 2011. Les dotations aux collectivités locales seront gelées à leur niveau de 2009, et qu'importe si les missions transférées coûtent plus cher. Côté sécurité, «808 emplois seront supprimés en 2011 au sein de la Police et de la Gendarmerie nationales.» Baroin prévoit aussi de supprimer le cumul actuellement possible de l'aide personnalisée au logement (APL) et de la demi-part fiscale pour enfant à charge.
Bref, l'examen de la loi de Finances pour 2011 à l'automne risque d'être passionnant.
Aucune information n'a été rendue publique concernant la fiscalité de l'épargne ou des hauts revenus. On s'y attendait.
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