L’arrivée de la 4ème étape du Tour 2010, remportée par Mark Cavendish à Reims, a été le théâtre d’une émotion forte et sincère marquée par le sceau de la pression et de la délivrance d’un
coureur en proie au doute et aux critiques. Soudain, au micro de Gérard Holtz en direct sur France 2, nous découvrons un bonhomme submergé par l’émotion, un instant incapable de parler, la
gorge serrée. Quelques minutes auparavant, il venait de passer la ligne d’arrivée les bras levés, le premier de presque 190 coureurs. A travers ses larmes et ses sanglots, Cavendish expurgeait la
focalisation de toute son énergie, d’une pression qu’il a dit supporter de toute part, l’acceptation de risques du métier et de la souffrance qu’un coureur doit s’infliger pour être prêt le jour
j. Décryptage sur passionveloblog.com des raisons de ce moment de vérité :
La notion de pression et de résultat pèse sur les épaules d’un sprinter. Dans la pratique du sport de haut niveau et en particulier du cyclisme, plusieurs paramètres constituent les conditions du
stress et le sens des responsabilités :
- Dévouement de ses équipiers
- Exigence de résultat de la part du sponsor
- Espérance et attentes de la part des supporters et de l’opinion publique
- Critique de la part des journalistes et experts (anciens coureurs)
Un coureur comme Mark Cavendish est identifié par ses pairs et par les journalistes comme un sprinter. Plus musclé, plus puissant, il est fait pour produire des accélérations courtes en fin
d’étape dans une configuration d’arrivée massive sur un tracé non sélectif. Par opposition, dès que le tracé est plus accidenté (cotes et cols), un sprinter se retrouve souvent retardé. Si donc
un sprinter réputé et reconnu prend le départ d’une course de plaine et qu’elle a de fortes probabilité de s’achever au sprint, ce coureur fera parti des favoris sur lequel on portera volontiers
notre attention. Et d’autant plus si ce coureur (en l’occurrence Mark Cavendish) se fait remarquer par son caractère et son comportement en course, ou pour célébrer ses victoires (le geste du
téléphone, le geste des deux « doigts d’honneur » dont Cavendish racontera que c’était pour faire référence aux archers de la bataille d’Azincourt). Cavendish ne gagnait plus depuis quelques
courses alors qu’en 2009 il avait été impérial sur quasiment tous les sprints auxquels il avait pris part. Il s’était donc mis une pression folle tout en étant en proie au doute : pourquoi ne
réussissait-il plus ? Erik Zabel est passé par là pour le reprendre en mains et le coacher. Résultat concluant : 2 victoires d’affilée sur les étapes 5 et 6 du Tour 2010 !
Cette explosion d’émotions aurait pu arriver à un autre coureur vous savez. Il ne s’agit pas seulement d’une trajectoire personnelle mais aussi de la particularité de l’épreuve du sprint ! Allons
donc plus loin dans la réflexion, tentons de comprendre pourquoi cette épreuve du sprint est si particulière : un mélange de funambulisme, de prise de risque quasi inconsidérée et de stratégie
d’équipe.
Funambulisme
Funambulisme car les sprinters parcourent les derniers kilomètres à une allure folle peu importe le tracé (virages, barrières, public, ronds points, …). Ils doivent se faire la plus belle part du gâteau, passer la ligne le premier. Donc ils doivent provoquer les conditions de leur réussite en prenant des places préférentielles pour, lorsqu’il faudra lever le cul de la selle et écraser les pédales, avoir le plus de chances de son coté. Pour ce faire, les sprinters et leurs coéquipiers (des poissons pilotes) doivent « frotter » (entendez par là : s’appuyer des épaules contre un coureur à coté qui voudrait prendre votre place ou au contraire tenter de prendre la place qu’il occupe dans la roue d’un autre concurrent parce que ce concurrent serait potentiellement le coureur à suivre). Quand ça frotte dans le peloton, on n’est parfois pas loin de la chute (la preuve au Tour de Suisse 2010 avec la chute tout à l’avant du peloton de Mark Cavendish)
Prise de risque « inconsidérée »
Prise de risque « inconsidérée » car les sprinters qui gagnent sont ceux qui sont prêts à tout pour le faire. Les sprints se font entre 55 et 75km/h selon la nature du tracé. Essayez donc de
maitriser votre scooter à cette vitesse-là tout en devant gérer les mouvements de masse du peloton autour de vous ! Des risques car à cette vitesse-là, une chute et c’est une blessure assurée !
Repensez donc à la chute spectaculaire de Laurent Jalabert en 1994 à Armantières (Nelissen percute un gendarme qui fait une photo pour un spectateur et Jalabert fait un soleil et retombe sur la
tête) http://www.youtube.com/watch?v=VBevunyjdic
Les sprinters dressés sur les pédales baissent les yeux sur leur roue avant, secouent leur monture de droite à gauche et de gauche à droite, soulèvent parfois la roue arrière tellement ils tirent
sur les pédales. Ils suivent le mouvement aléatoire du flot qui au grès du vent, au grè de l’allure, au gré de celui qui mènent la danse, … va de droite à gauche de la chaussée. Flot parce que
l’organisation d’un peloton de coureurs sur la route respecte en quelques sortes les principes de la mécanique des fluides. Les sprinters devant accélèrent et distendent l’élastique … ceux qui
n’ont rien à gagner, les leaders et prétendant à la victoire finale du Tour par exemple, restent dans la 2ème partie du peloton et ne prennent pas ces risques-là.
Stratégie d’équipe
Stratégie d’équipe car pour gagner un sprint, un sprinter a besoin des autres. En général c’est de ses équipiers dont on parle. Sauf quand un sprinter qui n’a plus d’équipier dans le final d’une
étape et qu’il profite du travail d’une autre équipe en se calant dans les roues. Dans le schéma traditionnel d’une étape de plaine sur le Tour de France, une échappée se forme dans la première
heure de l’étape (avec plus ou moins de difficulté), le peloton lui laisse une marge de nature à pouvoir la contrôler et l’annihiler lorsqu’il l’aura décidé. Car en effet, sur les étapes de
plaine, c’est le peloton qui décide : il décide qui a le droit de s’échapper et qui n’en a pas le droit, il décide combien de temps d’avance peuvent prendre les coureurs à l’avant, et à quelle
distance de l’arrivée il doit « embrayer » pour revenir sur les attaquants. Sur les premières étapes de plaine du Tour 2010, le peloton revient généralement à 3 ou 4 km de l’arrivée pour ensuite
mettre les coureurs en file indienne, histoire que personne ne puisse partir en contre, et mettre les sprinters dans les conditions de leur exercice favori.
Préparer puis mener un sprint est une affaire d’organisation : Une équipe qui vise les sprints du Tour de France va organiser sa sélection de coureurs autour de son sprinter. Principalement des
rouleurs et des sprinters de 2ème rang. Les premiers (les rouleurs) auront pour rôle de rouler au tempo pendant l’étape et à bloc sur la fin de l’étape pour ramener le peloton sur les échappés.
Les seconds (les sprinters de 2ème rang) auront pour rôle d’être des étages moteurs pour la mise en orbite du satellite. Chacun s’écartera au fur et à mesure qu’il aura réalisé son boulot. C’est
ainsi que Mark Cavendish a 2 coureurs à son service dans le final d’une étape pour lui lancer le sprint. (En encore, l’équipe HTC est moins aérienne, moins omniprésente que d’autres équipes les
années passées). Mark Renshaw est la dernière rampe lancement pour Cavendish, il produit son effort de 500m à 300m et s’écarte. Cavendish n’a plus alors qu’à lever le cul et serrer les dents. En
apnée … il passe la ligne et si la victoire lui sourit, la première respiration est celle de son sourire !