La diffusion des séries en France a fait l'objet de nombreuses incompréhensions. Légitimes quand on remarque que la nature du medium est légèrement parasitée sinon pervertie par le fait de programmer des épisodes par bloc. On rappellera que les français ne consomment pas les séries comme les américains ou les anglais, et que cette pratique s'inscrit dans une démarche " culturelle ". Seulement, c'est peut-être aussi le travail des diffuseurs que de jouer les inspirateurs et éduquer les spectateurs. Cette diffusion boulimique touche aussi les productions françaises et cela se transforme souvent par un exercice sacrificiel (une saison de six épisodes diffusée en deux soirs). Cette particularité nationale devra faire l'objet d'une prochaine réflexion sur Lucarne.
Ce long préambule à connotation négative (justifiée) trouvera ici, un contrepoids plus nuancé sinon positif. TF1 a entamé la diffusion de la seconde saison de Profilage. Deux épisodes inédits plus un épisode de la première saison. Cette livraison supplémentaire pourrait faire office de remplissage stérile pour atteindre l'horaire des secondes parties de soirée, mais elle possède un second rôle involontaire et salvateur. Elle permet de mettre les deux saisons en parallèle et critiquer la série de façon comparative. Et à ce petit jeu, cette seconde saison ressort grande gagnante.
Profilage s'inscrit dans la lignée de ce que l'on pourrait appeler " l'ère moderne des séries policières " et son " hyperspécialisation " (première décennie des années 2000), tout en convoquant une figure découverte dans les années 90, le profiler. Chloé Saint-Laurent ( Odile Vuillemin) entretient peu de rapport avec ses homologues américains Samantha Waters ( Profiler) ou Frank Black (Millennium), il faudra plutôt chercher son excentricité entre la brochette de Criminal Minds et les tocs de Monk. Le concept de la série est d'injecter un personnage non affilié au travail policier et d'orienter les enquêtes vers la psychologie. Idée guère originale, qui reposera sur la faculté des personnages/acteurs à emporter l'adhésion du public. On place alors un antagonisme de principe, le commandant Matthieu Pérac ( Guillaume Cramoisan, vu dans la première saison d' Engrenage), réfractaire à cette étrangère au service et ses pratiques excentriques/scientifiques. Le reste du casting repose sur des figures bien connus, la flic un peu garçon manqué, le patron paternaliste, le geek de service et le légiste.
Ce schématisme dans le résumé conclut une logique de création. Somme d'ingrédients bien pensés qui tentent de reproduire une recette importée d'outre atlantique. On observe depuis le boom des séries américaines diffusées en prime time, une volonté des producteurs/diffuseurs français de copier un savoir-faire. Les résultats ont, pour la plupart été catastrophiques, pourtant, on continue de creuser, d'essayer, afin de sortir un produit satisfaisant. Dans cette optique, Profilage est une réussite. Car il s'agit bien de créer un produit de consommation courant. Pas une série d'auteur exigeante, mais une œuvre volontairement commerciale, capable de plaire au plus grand nombre. Comprendre qu'il ne faut pas chercher dans la série une héritière de The Wire ou autres shows policiers prestigieux américains comme anglais, mais plutôt de piocher dans des créations plus " universelles " comme Criminal Minds. Il n'y a rien de péjoratif dans cette volonté. Au contraire, on peut voir cette orientation comme une bonne nouvelle, surtout si elle s'accompagne de moyens suffisants, à la hauteur de l'ambition.
Le problème récurrent de la fiction française est autant d'ordre créatif que financier. Il n'existe pas de véritable industrie de la série française. Ce qui fait la réussite des shows anglais et américains, c'est cette profusion de séries au rythme régulier de diffusion (une saison par an). Et du nombre de shows engagés, se dégage un panel au large spectre de satisfaction (de la série exigeante comme du produit grand public). La France est encore trop timide. Aussi bien dans le nombre, dans le public cible, mais également dans la qualité. Avec Profilage, on entre dans une dimension intéressante. Une série grand public, forcément formatée, et de qualité. Une qualité à la hauteur de l'exigence simplifiée du programme. Les personnages fonctionnent, les enquêtes sont bien écrites et intéressantes, et la réalisation " fait professionnelle ". Bien sûr on reste dans une démarche très classique de la série policière. Mais l'ensemble tient la route.
Seulement cette appréciation générale positive ne s'applique qu'à la seconde saison. Et c'est justement à ce niveau, que la programmation de TF1 devient intéressante : voir l'évolution d'un programme qui aura corrigé ses défauts les plus flagrants. La série gomme quelques éléments initiaux, comme la relation basée sur une forme de mépris entre Saint-Laurent et Pérac. On sort ainsi du registre chat et chien pour entrer dans un autre tout aussi connu : l'attirance qui tait son nom. Cette romance à demi-mot, qui a fait les grandes heures de X-Files et qui aujourd'hui, trouve grâce dans Castle. On remarque qu'une fois encore, les scénaristes vont rester dans un traitement très (trop) classique. Mais dans le cas de cette seconde saison, l'effet est plus sympathique et permet à la série de trouver un ton plus appréciable. Autre écueil corrigé : Les monologues de Chloé, sensée entrer dans la peau de la victime (ou du suspect) pour exprimer des émotions liées à l'affaire. Ce genre de séquence ne fonctionne jamais et plonge davantage le personnage dans l'excentricité de bazar (ou de cirque) et la série dans le ridicule. La seconde saison ajuste également quelques tics de réalisation très dispensables, pour une mise en scène sans esbroufes, illustratives, se contentant de mettre en image le scénario. Profilage n'impose pas d'identité visuelle particulière (comme l'essai désastreux de sa première saison à coup de brusques accélérations), mais soigne néanmoins son apparence avec une photo travaillée et des décors fonctionnels convaincants.
On ne voudrait pas chanter trop de louanges à la série ou sa seconde saison, car Profilage reste un programme limité. Dans son ambition (plaire au plus grand nombre), dans sa construction (classicisme de rigueur), au point de voir une série policière lambda comme on voit à la pelle... aux Etats-Unis. Et c'est à ce niveau que l'on relèvera la principale qualité et son défaut majeur : Félicitation aux auteurs pour avoir su copier les séries américaines sans paraitre ridicules (on pense à Cellule Identité dans un genre similaire, mais qui souffraient de personnages trop stéréotypés), mais la fiction française n'est toujours pas parvenue à trouver son propre ton. Constat mi-figue, mi-raisin, mais qui a le mérite d'exister. On peut donner l'impression de souffler le chaud et le froid, de dire une chose et son contraire, de paraître indécis quant à la réception d'un tel produit. On pourrait simplement ajouter, en conclusion de ces quelques lignes, que Profilage, malgré des défauts inhérents à sa conception/réalisation, reste une assez bonne surprise, et une nouvelle positive dans la fiction française. Si l'on commence à réussir nos programmes de masse, il tarde que l'on parvienne à créer une œuvre capable de rivaliser avec les ténors étrangers (on n'y est presque parvenu avec Reporters, Canal +).