La fiction vraie de Jean-Paul Michel
Dans
son dernier ouvrage,
Je ne voudrais rien qui mente, dans un livre, Jean-Paul Michel poursuit une entreprise commencée avec
la publication en 1996 de Le plus réel est ce hasard, et ce feu :
revenir, des années après, sur une œuvre mise en chantier dans les années 1970
et animée par le projet assez mallarméen d'un Livre, pour en donner à lire dans
toute sa cohérence la substance ou la vie. Un problème la parcourt de son début
jusqu'à la fin, qui est peut-être celui de l'écriture, en général, voire du
langage : élever la parole (qui serait sa seule justification) à l'intensité, à
la violence du réel lui-même ; et faire de la douleur une beauté qui soit
vraie.
Tel est le problème, exposé dès les toutes premières lignes : « Comment la
douleur ferait-elle image ? » (p.13) La tentative,
exaltante, de Jean-Paul Michel, consistera à tresser ensemble l'exposé, le déploiement de ce problème, avec une tentative immanente
de lui trouver réponse, dans une espèce de conte Igiturien (dont les héros
bizarres sont une Vieille, le Chœur, le Héros, le Père, L'Alighier) -
articulant ainsi sa poétique elle-même à un chant, élégiaque, qui tient tantôt chronique, célèbre ou
pleure le monde, dans sa douleur et sa beauté. Ce faisant, c'est au sein même
du squelette réflexif - et narratif - mallarméen qu'il réalise le programme de
confrontation à ce qui est, dans une espèce de symphonie à plusieurs
dimensions dans le prisme de laquelle la lumière de l'être se diffracte en une
polyphonie de voix de hauteurs différentes.
En résulte une poésie qui pense et qui chante en même temps (pense dans le
chant, chante en pensant) sur sa position, non seulement dans le monde, mais
aussi dans ce qu'il est convenu d'appeler les genres littéraires. Car le
problème initial (comment de la douleur faire image et du réel un livre ?) est
un problème éthique qui implique un jugement sur les œuvres, en
distinguant des simples mensonges celles qui y répondent ou s'efforcent d'y
répondre. L'on pourrait croire qu'à cette partition répond la distinction
habituelle entre le roman d'un côté et le poème de l'autre - car n'est-ce pas
la « fiction » qui est dénoncée dans le titre, Je ne voudrais rien qui mente, dans un livre ?
Un des grands intérêts du livre de JP Michel est au contraire de faire passer
cette distribution éthique hors des coupes conventionnelles en faisant du poème
non simplement un chant mais une fable, avec ses personnages et son chœur,
non dénuée d'ironie (sans quoi le chant serait peut-être impossible), trouée de
tous côtés, ouverte sur le réel - oui, une fiction, qui soit pourtant
l'exact contraire du mensonge, et dont le concept nous est encore à construire.
Par Pierre Vinclair