Il était satisfait de sa tactique, content de sa concertation. En quelques mois, à force d'annonces officieuses et de démentis officiels, de faux suspenses et de vraies manipulations médiatiques, Nicolas Sarkozy était parvenu à faire présenter sa réforme des retraites sans trop de secousses le 16 juin.
C'était sans compter un majordome et une comptable, des enregistrements de conversations et des enveloppes. En quelques semaines, l'affaire Woerth-Bettencourt, devenu véritable Sarkogate et malaise d'Etat, aggravée par une cascade de révélations sur les petits abus de privilèges de sous-ministres marginaux, est venue bouleverser son agenda. Et cette semaine, la 166ème depuis son élection à la présidence, fut l'une des plus secouées de son mandat.
Jusque là, tout allait bien
Jusque là, Eric Woerth avait brillamment mené la réforme des retraites. Tout au long des quelques mois de «concertation», certaines pistes de réformes étaient allègrement fuitées dans la presse. Mais à chacune de ses interventions officielles, Eric Woerth démentait. Les arbitrages du Monarque ne seraient rendus que le 15 juin au soir, la veille de la présentation publique. La scénarisation du processus avait été peaufinée dans les bureaux de l'Elysée. On avait même prévu deux ou trois épouvantails sur lesquels on pouvait très vite revenir : la prise en compte de la pénibilité fut le premier. la réforme proposée était ignoble sur le sujet. Il fallait prouver un handicap indemnisé d'au moins 20% (un bras en moins ? Un dos cassé ? Des poumons amiantés ?) pour prétendre échapper au recul du départ à la retraite. Et tant pis si la maladie professionnelle vous frappait après vos 60 ans. Bref, il était facile, pour le Monarque, de jouer ensuite les grands seigneurs sur le thème «c'est vrai que la pénibilité de la carrière est un sujet légitime». Autre épouvantail, la réduction des pensions des retraitées de la fonction publique avec 3 enfants. Le ministre et son assistant George Tron annoncèrent bien vite que la mesure était reportée au 1er janvier...
Le 16 juin au matin, Eric Woerth n'avait pas lu Mediapart. Le site d'information publiait quelques extraits d'enregistrements pirates de conversations entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune. L'affaire démarrait. Trois semaines plus tard, la voici qui dérive enfin vers son vrai sujet : Nicolas Sarkozy. N'en déplaise à Eric Woerth, des révélations majeures de ces trois dernières semaines ont été confirmées: la fraude fiscale de Liliane Bettencourt, la validité des enregistrements, les 30 millions d'euros de remboursement de bouclier fiscal; le conflit d'intérêt entre ses fonctions de trésorier de l'UMP et de ministre et l'activité de son épouse auprès de Liliane Bettencourt. Eric Woerth lui-même, et dès le début de l'affaire, a annoncé la démission de sa femme.
Monarchie fébrile
Samedi dernier, le Monarque a été pris de court par la démission surprise d'Alain Joyandet, annoncée par ce dernier sur son blog dimanche soir. Il fallait récupérer l'affaire, et, passés quelques moments d'hésitations le soir même (difficiles à gérer pour Dominique Paillé, porte-parole de l'UMP qui n'avait pas tous les éléments de langage en bouche aussi rapidement), le message était rodé : c'est Sarkozy qui a exigé ce départ, tout comme celui de Christian Blanc. Les réactions furent conformes à cette récupération in extremis : maladroites. D'un côté, les ténors de l'UMP louaient l'honneur de Joyandet, l'homme intègre et blessé par les calomnies, de l'autre on célébrait la réaction présidentielle qui sanctionnait des abus jugés évidents. Alors, Joyandet, coupable ou pas coupable ? De toutes façons, cette affaire ne changea rien au Sarkogate.
Mardi matin, l'Elysée a tremblé. Mediapart publiait un témoignage (et non un ragot) de l'ancienne comptable de Mme Bettencourt, Claire T.. Immédiatement, cette dernière voit son nom jeter en pâture, après que certains zélotes de l'UMP eussent parler de dénonciations anonymes. Claire T. n'est plus anonyme. Elle a surtout tenu les comptes personnels, carnets de caisse en main, de Mme Bettencourt entre 1995 et décembre 2008. Et Mediapart fait son travail.
Dès mardi matin, l'Elysée calait le discours de riposte : faire plaindre Eric Woerth (il parlera le soir même à TF1), expliquer que le gouvernement n'est pas déstabilisé puisqu'il travaille, et ... attaquer la presse et surtout Mediapart. Les suppôts du président se déchainent sur toutes les ondes: «fasciste», «populiste», «ragots», «cabale», les chiens, et leurs mots, sont lâchés. La calomnie a trouvé son camp, celui du président. La petite comptable, harcelée, paniquée et effrayée, s'enfuit près d'Avignon. La police la cherche, le fait savoir à la presse, et la retrouve pour l'interroger sur place jusqu'à minuit.
La démarche est si massive qu'elle démontre l'état de trouble et de panique dans lequel se trouve la Présidence de la République. Les pires outrances ont été dites contre Mediapart. Pour un peu, on nous aurait fait le procès de l'ultra-gauche version bande de Tarnac comme en novembre 2008 (tiens, d'ailleurs, où en est cette enquête ?). Frédéric Lefebvre, l'ancien lobbyiste de Pic Conseil et actuel porte-parole de l'UMP joue au «Zola du Fouquet's» en écrivant un « J'accuse » dans France Soir, le journal récemment racheté par le fils d'un proche de Vladimir Poutine. Xavier Bertrand, Nathalie Kosciusko-Morizet, Nadine Morano, Christian Estrosi, tous défilent.
La monarchie devient fébrile. Mediapart a décidé de porter plainte pour diffamation. Et Eric Woerth, malgré les «calomnies» multiples dont il ferait l'objet, choisit de porter plainte contre X pour dénonciation calomnieuse. Un motif difficilement compréhensible, car il lui faut prouver que la comptable a agi spontanément (ce qui est faux, puisqu'elle a été convoquée par la police et même placée en garde à vue les 18 et 19 juin dernier). Mais porter plainte pour diffamation eut été plus dangereux: l'enquête aurait du s'attarder sur la véracité des accusations..
Pourquoi Nicolas Sarkozy a eu si peur ? En son temps accusé d'avoir reçu une mallette avec 5 millions de francs par l'homme d'affaires Jean-Claude Méry quelques mois avant sa mort, Jacques Chirac, alors président, s'était précipité à la télévision pour juger cette affaire «abracadabrantesque». La formule, inventée dit-on par Dominique de Villepin, fit mouche et calma les journalistes. Nicolas Sarkozy n'a pas ce talent, ni ce courage. Il ne veut pas parler. Il fait dire qu'il souhaite maîtriser son calendrier. Il cherche surtout à maîtriser sa trouille et contenir sa rage. En visite dans un hôpital de banlieue mardi matin, il a joué le dédain et la distance. Tétanisé, hors sol, déconnecté, il cherchait comment reprendre prise sur une actualité qui lui échappe. Le 13 juillet prochain, il pensait tranquillement valider sa réforme des retraites, la veille d'un 14 juillet sans garden party ni interview de journalistes. A-t-on d'ailleurs entendu une quelconque contre-proposition gouvernementale aux critiques formulées par les syndicats et les partis d'opposition depuis les manifestations réussies du 24 juin dernier ? Non, aucune.
Sarkozy a donc eu peur. L'ancienne comptable de Liliane Bettencourt a témoigné que le gestionnaire de fortune lui avait demandé 150 000 euros en liquide pour financer sa campagne électorale, mais qu'elle n'avait pu retirer que 50 000 euros quelques semaines avant le 1er tour de scrutin. Mercredi, la police met la main sur les fameux carnets, et le soir même, l'ex-comptable, se rétracte partiellement : elle s'est trompée sur les dates et Mediapart aurait «romancé» son propos; elle n'aurait jamais voulu incriminé le Parti Républicain, ni Edouard Balladur; elle s'est trompée sur une date de retrait, à trois ans d'écart, et n'a jamais voulu dire que Sarkozy venait chercher sa petite enveloppe chez Mme Bettencourt quand il était maire de Neuilly. La belle affaire ! La contre-attaque sarkozyenne commencerait-elle à porter ses fruits ? L'Elysée crie victoire, «la vérité» serait «rétablie» explique Claude Guéant.
Jeudi, Mediapart publie l'intégralité du PV d'interrogatoire de Claire T.. On découvre qu'elle confirme son accusation de financement politique illégal. Elle mouille même d'autres politiques. Jeudi, elle est confrontée, trois heures durant, à Patrice de Maistre qui, lui, dément, et même à la commerciale de la BNP qui gérait les comptes de Bettencourt. Parole contre parole, encore et toujours. C'est son quatrième interrogatoire par la police, toujours sans instruction indépendante. « On essaye de la faire craquer » commente son avocat.
Enquêtes ? Quelles enquêtes ?
L'Elysée, qui pilote la riposte, multiplie aussi les contre-feux. A l'opposition qui réclame une instruction judiciaire indépendante et une commission d'enquête parlementaire sur l'ensemble de l'affaire, il répond que le procureur ami du Président a commandé une enquête préliminaire sur la fraude fiscale de Mme Bettencourt. Vacances obligent, il n'y a qu'un décret présidentiel qui peut autoriser avant septembre la création d'une telle commission. Quand à l'instruction réclamé sur les conflits d'intérêts d'Eric Woerth et de Nicolas Sarkozy, le gouvernement s'abrite derrière un rapport soit-disant demandé à l'Inspection Générale des Finances, qui devait être remis vendredi à François Baroin et deux enquêtes préliminaires lancées par le procureur Philippe Courroye. La précipitation de ce dernier à investiguer, alors qu'il était critiqué pour son inaction voici encore 15 jours, ne lasse pas de surprendre...
Le rapport de l'IGF, lui, est contesté avant même d'être publié: primo, il ne s'agit pas d'un rapport de l'IGF, mais d'un rapport personnel demandé au directeur du service. Ce dernier, aussi indépendant soit-il, n'est absolument pas protégé par un quelconque statut particulier. Secundo, il doit travailler et assumer seul ses conclusions. Le pauvre Jean Bassères, directeur de l'IGF, n'a qu'une dizaine de jours, seul et sans équipe, pour vérifier qu'il n'y aucune trace écrite que son patron de l'époque (Eric Woerth) ait bloqué ou freiné d'éventuelles enquêtes fiscales à l'encontre de Liliane Bettencourt de mai 2007 à juin 2009. Une telle mission exigerait des mois d'instructions et d'interrogatoires. On imagine bien Eric Woerth assez lucide pour éviter de laisser une quelconque trace écrite. Sur une affaire pareille - l'absence de contrôle fiscal 15 ans durant de la première fortune de France malgré des soupçons étayés de fraude - il n'existe que trois vérités possibles : les agents du fisc se sont auto-censurés, ou ont été bien légers, ou quelqu'un est intervenu. Enfin, Baroin a annoncé qu'il ne rendrait pas public le dit rapport. Finalement, sa livraison, prévue vendredi, a été décalée à lundi.Vendredi, Sarkozy s'est déclaré «confiant» sur son résultat. On le croit.
Vendredi au petit matin, le camp Sarkozy tentait bien de convaincre que les rétractations partielles de l'ex-comptable signifiaient discrédit de Mediapart et preuve de l'innocence du couple Sarkozy/Woerth. Un effort bien vain. La machine s'emballe. Le domicile de Patrice de Maistre est perquisitionné. Pire, l'ancienne secrétaire d'André Bettencourt confirme les affirmations de Claire T. sur l’argent versé à des politiques. Et l'hebdomadaire Marianne, qui s'est procuré certains carnets de caisse de la comptable de 2007, révèle, dans son édition du 10 juillet, que les retraits en liquide ont été fréquents et très élevés dans les 4 mois précédent le scrutin présidentiel, pour atteindre 388.000 euros de retraits en liquide, des sommes qualifiées d'argent de poche par l'avocat de Liliane Bettencourt. Tracfin, la cellule de Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins, a-t-elle été prévenue de ces retraits ? Sinon, pourquoi ? Vendredi soir, Sarkozy cède: il s'exprimera lundi à la télévision. Le jour de la remise du rapport du directeur de l'IGF...
Une autre affaire, plus discrète, agite également l'Elysée. L'un des membres fondateurs de l'UMP, Guy Wildenstein s'oppose à sa belle-mère Sylvia, veuve du marchand d'art Daniel Wildenstein. Cette dernière tente de déterminer l'ampleur de la fortune de son mari, décédé en 2001. Le 16 juin dernier, la justice reconnaissait l'existence d'une «évasion du patrimoine dans des sociétés étrangères et des trusts, conformément à la tradition familiale» ! Depuis 2009, Eric Woerth et Nicolas Sarkozy avaient parfaitement connaissance de cette évasion fiscale finalement reconnue. Mais Guy Wildenstein est un donateur du Premier Cercle, un membre fondateur de l'UMP, un conseiller à l'Assemblée des Français de l'Etranger (AFE).
Intouchable.
Vendredi, la semaine se clôt sur l'ouverture d'une troisième information judiciaire, pour blanchiment de fraude fiscale. La police a authentifié les enregistrements pirates. Que d'enquêtes pour des ragots et des calomnies ! Tout peut commencer.
L'affaire est bien d'Etat. De morale, elle est devenue politique. D'Eric Woerth, elle mouille désormais Nicolas Sarkozy. D'une polémique judiciaire, elle est aussi devenue un débat sur la liberté de la presse.
Cette polémique a occulté le travail gouvernemental. La loi sur la Burqa, adoptée, fut à peine mentionnée. Passées les échauffourées prévisibles avec l'opposition, mardi après midi à l'Assemblée nationale, le gouvernement a fait voter un «cadrage» budgétaire par ses députés UMP. François Baroin proposait 14 milliards d'euros d'économies dès l'an prochain. Jean-Louis Borloo détaille 2 milliards qu'il entend trouver sur les niches fiscales relative à l'environnement et le logement. Les ministres, ou plutôt leurs successeurs d'octobre prochain, sont prévenus. Eric Besson, un temps envoyé tacler son ancien parti, tenta de distraire l'attention avec une interview dans le Figaro. Il présentait les principaux axes de sa future nouvelle loi sur l'immigration, la quatrième depuis 2002. Il veut aussi évaluer le coût de l'immigration clandestine. Il est toujours content. 14 670 clandestins ont été reconduits aux frontières au premier semestre.
Rien ne change en Sarkofrance.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Crédit illustration Mauvaise Tête
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Magazine France
166ème semaine de Sarkofrance : les 7 jours qui ébranlèrent Sarkozy
Publié le 10 juillet 2010 par JuanDossiers Paperblog
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