33 milliards pour une neuvième année de guerre dans un pays qui a fait l'objet d'une description apocalyptique de la part de nos leaders qui l'ont qualifié de principale menace existentielle pour les USA, alors qu'en réalité c'est un pays enclavé et peuplé principalement de pauvres illettrés appartenant à des clans qui depuis des siècles ne cessent de se battre entre eux, et qui pour la plupart ne savent pas où se trouve l'Amérique ni même peut-être, si la terre est ronde ou plate. Bref, à côté de l'Afghanistan, l'Iraq sans armes de destruction massives ressemble à une super-puissance.
33 milliards, c'est justement à peu de choses près, la somme qui serait nécessaire pour prolonger de six mois les indemnités de chômage des 5 millions environ de malheureux Américains qui ont survécu jusqu'à récemment grâce à une prolongation de leurs indemnités de chômage. A cause du refus des membres du Sénat et du Parlement de voter la prolongation du financement des indemnités, ces personnes vont être abandonnées à elles-mêmes, comme les millions d'autres Américains sans travail à qui les mesquines institutions américaines n'ont même pas accordé d'indemnité de chômage ou qui ont vu leurs droits à des indemnités spoliés par des employeurs insuffisamment contrôlés par les instances fédérales ou nationales en charge de l'application de la législation du travail.
L'Afghanistan compte 24 millions d'habitants qui ont un revenu annuel de 800 dollars par personne. Ce qui signifie que l'allocation de 33 milliards (qui n'est que le plus récent versement sur les centaines de milliards de dollars déjà investis et perdus dans la guerre la plus longue et peut-être la plus inutile que nous ayons faite) serait aussi suffisant pour donner à chaque femme, enfant et homme de ce pays un revenu de 1400 dollars par an.
On pourrait croire que, au lieu de dépenser 33 milliards de dollars pour tuer des Afghans et faire sauter leurs villes et leurs villages, les USA pourraient envisager de leur donner assez d'argent pour doubler leurs revenus. Cela les mettrait de meilleure humeur et nous pourrions alors les laisser trouver les solutions par eux-mêmes. Mais non. Voici ce que nous faisons plutôt de cet argent : Nous en donnons une partie aux soldats que nous envoyons là-bas. Nous en donnons une autre aux seigneurs de la guerre et aux gouvernements officiels qui le cachent dans des banques suisses. Nous en donnons aux seigneurs de la drogue et aux fermiers qui cultivent pour eux des pavots qui reviennent chez nous sous forme d'héroïne raffinée pour empoisonner et tuer nos propres citoyens. Nous en donnons même sous la table à ceux que nous combattons, les Talibans, pour qu'ils aient la gentillesse de ne pas attaquer nos convois et nos bases militaires. Et bien sur nous en donnons d'énormes quantités à ceux à qui la guerre profite : les firmes de munitions qui fabriquent les machines à tuer que nous utilisons pour tuer les Afghans et détruire leurs maisons et leurs villages.
Il y a une autre façon d'aborder cette absurde situation : Cela coûte à British Petroleum, la firme qui est en train de transformer à elle toute seule le golfe du Mexique en une poubelle pétrochimique pleine de tortues et de dauphins morts, environ un milliard de dollars par mois pour tenter sans grand résultat de nettoyer la mer. C'est loin d'être suffisant. La quantité de pétrole à la surface et sous la surface de la mer et dans les marais côtiers ne diminue pas, elle augmente. Alors que diriez-vous si au lieu de faire confiance à BP, le gouvernement intervenait et consacrait 33 milliards à réparer le désastre, sans oublier évidemment d'envoyer la facture à BP et ses actionnaires ?
Et on peut se poser une autre question : Pourquoi parler même de verser 33 milliards d'indemnités de chômage à des gens pour qu'ils puissent rester chez eux à boire de la bière en regardant la TV quand on pourrait utiliser cet argent pour les payer à faire un travail productif comme de nettoyer les plages de la côte du golfe, les pélicans englués et les tortues de mer, de remorquer les cadres de BP avec des cordes dans les nappes de pétrole ou de fournir des escortes armées de battes de base-ball aux journalistes pour les protéger des hommes de main de BP qui ne cessent de les empêcher par la menace de regarder et surtout de filmer les scènes de destruction sur le Mississippi et la côte de la Louisiane ?
L'argent sert à tout. S'il n'était pas gâché en Afghanistan, il pourrait être utilisé autrement et il existe clairement de nombreux secteurs où 33 milliards pourraient rendre un immense service.
Prenons juste l'éducation. Le gouvernement fédéral a cette année un budget de 84 milliards pour les écoles et les collèges. Et en ce moment dans tout le pays, de New York à Los Angeles, le système d'écoles publiques qui manque de fonds à cause de la diminution des revenus d'impôts locaux et fédéraux du fait de la récession grandissante, licencie des professeurs et ferme des écoles alors que le nombre des enfants à scolariser augmente sans cesse. Il est clair qu'une injection d'un tiers (11 milliards) ou de la moitié (17 milliards) seulement de ce qui est destiné à l'Afghanistan permettrait sans problème de compenser ces coupes dans les budgets des écoles locales.
Au lieu de cela, il semble que nous allons utiliser des 33 milliards à faire sauter plus d'Afghans et à acheter davantage de matériel militaire à des prix exorbitants comme les drones Predator et les bombes anti-personnelles pendant encore un an.
Ce n'est pas la faute de dieu si l'économie américaine entame une période de récession, comme un coureur de Marathon épuisé qui s'effondre puis se relève, court un peu comme un automate, puis tombe sur la route face contre terre et meurt d'une crise cardiaque. C'est le gouvernement qui ne parvient pas à "amorcer la pompe" en fournissant du travail aux chômeurs, des fonds aux gouvernement locaux en difficulté et des aides financières pour ceux qui ne peuvent simplement pas trouver de travail.
Et donc nous nous dirigeons vers une profonde récession ou une nouvelle Grande Dépression tout en faisant sauter l'Afghanistan avec l'argent qu'on arrive encore à trouver dans les recoins de la chambre forte vide du Trésor Américain.
Comme l'a dit si justement le parolier des Rolling Stone, Matt Taibi, en parlant de la propension pathétique de certains journalistes à applaudir les puissants : "Dieu que ce pays sent mauvais !"
Dave Lindorff
Dave Lindorff est un journaliste de Philadelphie. Son dernier livre "The case for impeachment" est disponible à St martin's press, 2006.
Pour consulter l'original :
counterpunch
Traduction D. Muselet
legrandsoir