Le vrai problème de l’affaire Woerth-Bettencourt n’est pas tant la publication de révélations par le site Mediapart, mais bien l’incapacité dans laquelle est le régime de laisser se mettre en place une structure indépendante pour enquêter sur l’affaire.
L’unique axe de défense de la majorité – que l’on imagine orchestré en haut lieu par le cardinal noir Claude Guéant – a été jusqu’à présent de fustiger le site Mediapart et d’essayer de discréditer la presse qui s’est fait l’écho des diverses révélations dans l’affaire Woerth-Bettencourt.
Le site Mediapart a ainsi essuyé l’ensemble des critiques de la majorité ces derniers jours. Un thème qui revient en boucle (un élément de langage de plus défini par l’Elysée ?) est le « fascisme » que les méthodes de ce site rappelleraient. Ainsi, Xavier Bertrand d’évoquer des « méthodes fascistes » au sujet des écoutes publiées par Mediapart, suivi de près par la très nuancée Nadine Morano. Estrosi – ministre pourtant plombé par son aller-retour en jet privé pour assister au pot de Sarko et par ses deux appartements, dont l’un utilisé par sa fille – a profité de l’occasion pour se racheter une virginité, comparant la presse à l’origine des révélations à « celle des années 30 ».
On soulignera au passage l’ironie qu’il y a de la part d’une droite touchée d’amnésie à vouloir agiter le fantôme du fascisme et de la collaboration pour une affaire touchant une famille qui fut aussi intimement liée à la Cagoule que le fut la famille Bettencourt (le père – Eugène Schueller – tout comme le mari de Liliane Bettencourt ont été membres dans les années 30 et sous l’Occupation de la Cagoule, société secrète d’extrême-droite).
La vérité est que cet axe de défense ne tient pas un seul instant, et qu’il s’agit là d’un feu de paille censé faire oublier le vrai problème de cette affaire : l’incapacité du système démocratique français de garantir l’existence d’une enquête indépendante et impartiale sur les vraies questions que soulève cette affaire : le conflit d’intérêt possible dans lequel Eric Woerth se serait placé, les conditions d’embauche de sa femme, l’absence de contrôle fiscal de Mme Bettencourt pendant de nombreuses années, enfin le financement occulte de campagnes politiques.
Plusieurs enquêtes sont en cours, certes, mais aucune ne présente les qualités requises d’indépendance et d’impartialité pour permettre au pays de voir clair dans cette affaire aux multiples ramifications.
Qu’on en juge : l’enquête de l’IGF ? Déjà contestée de par son mode d’exécution : voir ici le résumé de l’article du Monde à ce sujet.
La justice ? Elle est représentée en la matière par le procureur Courroye, un magistrat dont la nomination en 2007 fut violemment contestée par le CSM, en lutte ouverte contre sa collègue le juge d’instruction Isabelle Prévost-Déprez, et de surcroît proche du Président de la République qui l’a décoré de l’Ordre National du Mérite et que ce dernier appelle « mon ami ». Autant de facteurs permettant de douter très sérieusement de l’indépendance de l’enquête que le procureur Courroye serait susceptible de mener. Et ce n’est pas par hasard si plusieurs leaders politiques dont Martine Aubry ont demandé le « dépaysement » de l’enquête (le fait de confier l’enquête à un autre tribunal).
La commission parlementaire ? Proposée par les socialistes (voir ici le texte de la proposition de résolution), elle a été acceptée sur le principe par Bernard Accoyer, mais l’Assemblée a refusé d’examiner la demande d’enquête le 6 juillet…repoussant d’autant la date de début de la commission d’enquête (pour mieux enterrer l’affaire ?).
On le voit, le problème n’est pas la presse – dont il faut garantir l’indépendance et qui constitue un contre-pouvoir indispensable dans une démocratie – mais bien l’incapacité du pouvoir à garantir une enquête indépendante et au-dessus de tout soupçon.
Or, n’en déplaise aux leaders de la majorité, seule une enquête indépendante et impartiale pourra faire se dissiper le climat de suspicion et de défiance dénoncé avec tant de fougue.