Alors que le Gouvernement pensait pouvoir bénéficier d’un peu de répit pour mener à bien la réforme sur le régime des retraites, le vent semble avoir tourné en ce début d’été. Après la débâcle politique de l’équipe de France de football et les démissions de deux secrétaires d’Etat, la polémique Woerth-Bettancourt semble fragiliser chaque jour un peu plus le Président et son Ministre. Malédiction du Premier ministrable ? Crise de la démocratie ? Dérive d’un système politique qui peine à résoudre les problèmes liés à la crise économique ? Pour répondre à ces interrogations, Délits d’Opinion à sollicité Frédéric Dabi, le Directeur du Département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’Ifop.
Délits d’Opinion : La polémique Woerth-Bettancourt et les démissions des Secrétaires d’Etat de Christian Blanc et d’Alain Joyandet semblent affaiblir le pouvoir en place alors que le Président Sarkozy atteint des records d’impopularité. Quelle est votre analyse de cette séquence politique ?
Frédéric Dabi : Avant d’aborder la séquence actuelle il est important de noter que l’impopularité du Président Sarkozy est bien antérieure à cette succession d’affaires. Si l’on excepte le premier septennat de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy est le premier président dans le baromètre Ifop / Journal du Dimanche à se situer aussi tôt après son élection sous la barre des 50% d’opinions positives, c’était en janvier 2008, il y a 18 mois.
Pour autant, si la séquence actuelle n’arrange rien à ce contexte déjà délicat, elle n’est pas originale en ce sens qu’elle rappelle à l’opinion publique celle de l’automne 2009 et les controverses autour de Brice Hortefeux, Frédéric Mitterrand, Henri Proglio, et les affaires Clearstream, EPAD, Ainsi, une nouvelle fois l’opinion perçoit de manière défavorable l’enchaînement d’affaires sans véritablement se focaliser sur l’une d’entre elles. C’est donc l’effet de système ou de masse qui suscite ces réactions de la part de l’opinion.
Avec la succession de ces affaires, c’est un message négatif qui est envoyé aux citoyens, car dans un contexte de réforme où l’équité et la solidarité de tous sont demandés, les Français perçoivent ces dérives comme inéquitables. La « République irréprochable» avancée par le candidat Sarkozy est entamée au gré de ce genre de polémiques.
Frédéric Dabi : Il est probable que la démission précipitée de deux Secrétaires d’Etat et la pression constante qui pèse sur les épaules d’Eric Woerth pourraient conduire à un rapprochement du remaniement comme une majorité de Français interrogés par l’Ifop pour la Lettre de l’Opinion le souhaite. Pour autant, le grand public semble relativement peu intéressé par ce jeu de chaises musicales comme nous l’avons identifié récemment dans notre enquête mensuelle pour Paris-Match sur les » conversations des Français» .
A l’inverse, le climat actuel risque d’avoir un impact sur la réforme des retraites. Si la question de l’incarnation de la réforme des retraites (ici par Eric Woerth) n’est pas le cœur du problème, le fond du projet de loi peut être marqué par cette polémique. En effet, l’équité, le fait que les efforts demandés aux Français dans le cadre de cette réforme soient justement répartis, se trouvent au cœur de son acceptation par l’opinion. Lorsqu’une grande partie des Français a l’impression que le « Haut » ne donne pas l’exemple, c’est tout l’édifice gouvernemental, et en premier lieu cette réforme emblématique du quinquennat, qui sont atteints.
Enfin, les conséquences politiques de cette nouvelle séquence délicate pour le gouvernement et le Président sont encore difficiles à identifier quant à l’agenda 2012, ne serait-ce que parce que l’offre électorale n’est pas encore totalement arrêtée. Toutefois, on peut souligner que le climat actuel devrait rendre plus difficile le maintien dans le giron de l’UMP de l’électorat populaire pris au FN en 2007.
Délits d’Opinion : Les partis concurrents et en particulier les poids lourds de gauche profitent-ils de cette mauvaise passe de la droite ?
Frédéric Dabi : Avant de parler de sondages on pourrait parler de réalité électorale. Le second tour de l’élection législative partielle qui doit se dérouler le dimanche 11 juillet à Rambouillet, terre acquise de longue date à la droite, pourrait être décodé, en cas de basculement à gauche, comme un message envoyé au gouvernement.
A ce jour, la crédibilité de l’opposition et de ses leaders ne s’est pas particulièrement renforcée depuis cette succession d’affaires touchant la droite de gouvernement. Il serait surprenant que l’on puisse observer des mouvements brusques de d’opinion à cet égard. Beaucoup de Français n’opèrent en effet pas de distinguo s’agissant des polémiques qui se déroulent dans l’arène politique. Elles touchent à leurs yeux de manière collatérale l’ensemble des partis de gouvernement. Dans ce cadre, les marges de manœuvre du Parti Socialiste s’avèrent limitées.
A l’inverse, le Front National peut être en mesure de tirer réellement profit de ce contexte. On sait en effet qu’un des ressorts majeur de ce mouvement réside dans la non-différenciation des partis de gouvernement dénoncés comme « UMPS » ou tenants de la « Ripoublique ».
Délits d’Opinion : 64% Des Français jugent les responsables politiques « corrompus» . Comment expliquer cette défiance de plus en plus grande à l’encontre de nos dirigeants ?
Frédéric Dabi : Il convient tout d’abord de relativiser ce chiffre qui, s’il exprime un vrai message, est recueilli à chaud, en pleine crise. Toutefois, le fait que près de deux Français sur trois confient ce jugement nous renseigne sur le climat actuel et leur perception de ces affaires. Plus qu’une défiance à l’égard des hommes, on mesure une perte de confiance dans le politique et son impuissance à régler les problèmes liés au contexte économique.
Ce que l’on nomme le désenchantement de la politique est ici clairement mis en lumière. Les Français sont de moins en moins nombreux à croire en la capacité du politique à changer leurs vies et c’est cet élément qui est en train de marquer avec force le contexte actuel.
Délits d’Opinion : A moins de deux ans de la prochaine échéance présidentielle/législative on regarde la mobilisation de 2007 comme une exception. La crise de notre modèle politique est-elle plus profonde ?
Frédéric Dabi : La crise est profonde et le cycle abstentionniste est en réalité plus fort que jamais. 2007 avait été une » parenthèse enchantée» alors que depuis ce scrutin, chaque échéance est marquée par un nouveau regain d’abstention, que cela soit aux municipales, aux régionales, aux européennes, aux cantonales et même aux élections prudhommales.
L’autre élément réside dans une forme de déception à l’encontre des acteurs qui devaient incarner la modernité et le renouvellement politique français. Le trio de tête du premier tour de l’élection présidentielle de 2007 (Sarkozy, Royal, Bayrou) avait totalisé 75% des suffrages dans un contexte de très forte mobilisation. Aujourd’hui, ces trois leaders – chacun dans son rôle et sa position institutionnelle – ne sont pas parvenus à concrétiser les attentes et les espoirs portés en eux.