Une image de synthèse est une image obtenue en l'absence de support concret, mais qui est capable d'imiter les outils ayant servi à la produire. Le grain du papier, le gras du fusain ou les couleurs pastel de l'aquarelle, les couches plus épaisses de la gouache ou de la peinture à l'huile sont simulées à l'aide d'appareils qui n'ont aucun rapport avec la pratique réelle des arts plastiques. Mais l'image de synthèse ne se limite pas à la simulation : elle produit ses propres images avec des rendus extrêmement longs et difficiles à obtenir par des moyens classiques – quand on y parvient. Un dégradé impeccable, des reflets métalliques ou humides sont obtenus par infographie avec une précision supérieure à l'usage de l'aérographe des hyperréalistes.
Cette substitution ne se limite pas à l'image : la musique électronique a connu la même révolution. Les synthés et autres orgues électroniques simulent depuis longtemps une foule d'instruments et créent également des sons nouveaux, que nul instrument ne saurait reproduire.
L'art, qui imitait la nature, est à présent imité par la machine.
Elle l'interprète également. Les images de synthèse permettent de visualiser des objets invisibles à l'œil, parce que trop petits ou n'appartenant à notre spectre de vision, et d'autres qui n'existent pas en tant que tels mais qui sont construits par l'interprétation d'une certaine somme d'informations. On peut ainsi « voir » de superbes galaxies lointaines aux couleurs chatoyantes alors qu'on n'a fait qu'écouter des bruits dans une certaine longueur d'onde ; un microscope électronique ne voit pas les atomes à l'aide d'un instrument optique mais interprète de même des informations électromagnétiques. L'imagerie médicale, par TEP (Tomographie par Émission de Positons) et IRM (Imagerie par Résonance Magnétique Nucléaire) permet de reconstituer le système digestif d'un patient le long duquel le médecin se promènera ensuite à loisir, comme dans un jeu vidéo. On n'a jamais réellement filmé l'intérieur du corps humain, mais on peut le voir comme s'il avait été ouvert. La plupart des images que nous produisons sont donc loin de la réalité mais intègrent un certain nombre d'informations qui leur donne du sens. Virtuel ne signifie pas irréel mais réel interprété.
En cela, rien de neuf sous le soleil. Les peintures rupestres des hommes des cavernes étaient déjà une interprétation de la réalité, et l'histoire de la peinture témoigne des tentatives pour imiter le réel, avec un rendu toujours plus grand, ou pour l'interpréter, surtout à partir du moment où la photographie a rendu caduque les représentations platement réalistes. Dans le cas de l'imitation comme de l'interprétation, il y a à la base simulation, c'est-à-dire une intention de trucage de la réalité.
Au XIIIe siècle, Giotto, alors élève de Cimabue, dessina sur un tableau de son maître qui s'était absenté une mouche à l'apparence si réelle que Cimabue tenta de la chasser quand il la vit. L'anecdote montre que le désir de donner de la réalité à nos productions, en abusant nos sens, est de tous temps. Par ailleurs, les trompe l'œil ne sont rien d'autre que des leurres dessinés qui cherchent sciemment, comme leur nom l'indique, à nous abuser. Plus près de nous, l'hyperréalisme cherche à tromper le spectateur en réalisant des toiles qui ont le détail et le rendu d'un cliché photographique.
Mais on peut aller beaucoup plus loin dans le trucage avec les images virtuelles, qui ne diffèrent des premières que par l'angle selon lequel on les considère : l'image de synthèse se définit par rapport aux moyens utilisés, l'image virtuelle par rapport au contenu.
On sait comme l'industrie du cinéma s'est emparée des premières pour représenter l'impossible et donner libre cours à tous les fantasmes, à l'imaginaire le plus débridé, avec un saisissant effet de réalisme. Ce qu'on appelle trucage et effets spéciaux n'est pas non plus nouveau : la photographie à peine née a suscité des trucages, certes grossiers pour un œil contemporain, mais qui déjà annonçaient l'ère du faux dans laquelle nous sommes entrés. On allait jusqu'à gratter le film pour remplacer un détail par un autre. Le cinéma, dès Méliès, s'engouffra dans les effets spéciaux avec plus de rapidité encore que la photographie. Les techniques sont devenues toujours plus sophistiquées jusqu'à l'apparition du numérique, dont la puissance de calcul permet de créer des mondes entièrement simulés. Final Fantasy, le film, en est un bon exemple.
On peut aussi offrir au spectateur d'être le héros d'une histoire : son image est synthétisée de manière à se substituer à celle de l'acteur qui a joué le rôle.
La retouche et la correction d'images, les incrustations, ont depuis si longtemps envahi notre quotidien qu'on se méfie avec raison de ce que l'on voit. Alarmiste, la science-fiction avait mit l'accent sur l'usage totalitaire de tels procédés, qui permettraient à des dictateurs de renforcer leur pouvoir par la désinformation. Dans le 1984 de George Orwell, Winston est employé au Ministère de la Vérité pour maquiller les journaux, réhabilitant ou supprimant des personnages selon la ligne officielle du parti. Sur les photos, des têtes disparaissent et d'autres les remplacent. Les complots sont souvent de nature idéologique : dans le film Capricorne One, les astronautes ne se sont jamais posés sur la Lune mais se sont livrés à une simulation filmée visant à faire accroire la suprématie technologique des États-Unis. Il est cependant difficile de se livrer à de tels trucages de la réalité sans se faire attraper. L'usage qui en est fait est davantage commercial et économique que politique ou idéologique. Les top-models des magazines sont toutes retouchées pour donner à voir sur papier glacé un corps parfait, et les incrustations publicitaires pullulent lors des retransmissions d'un match de foot.
Mais si on peut éliminer les défauts physiques, on peut aussi s'attaquer aux problèmes moraux. Le politiquement correct, les tenants d'une éthique rigide, se sont toujours autorisés à censurer ce qu'ils jugeaient inacceptable. Ce n'est pas neuf non plus, mais le numérique offre ici aussi de vertigineuses perspectives. Toujours dans Remake, on s'attaque à tout ce que la société a prohibé et qui perdure sur la pellicule : l'alcool, le tabac et la drogue sont soigneusement effacés des vieux films par conformité aux codes moraux en vigueur.
Le trucage des images ne posant plus aucun problème, la science-fiction s'est davantage intéressée à multiplier les supports où les incruster. Les lunettes sur lesquelles s'inscrivent des messages n'ont déjà plus rien de futuriste. La SF se contente de remarquer qu'il n'est pas très poli de s'abriter derrière ses lunettes pour lire son journal pendant une conversation : elle invente les nouveaux codes sociaux qui seront en vigueur quand ces pratiques se seront généralisées.
Les murs des appartements sont tapissés de vidéos qui peuvent interagir avec les occupants. Dans les rues, des bâtiments holographiques décorent la ville et cachent la misère. Les vêtements constituent évidemment un support idéal, bien que cela puisse être gênant quand on en change ou quand le tissu est élimé. Certains auteurs lui préféreront donc le brassard, plus facilement transportable et plus économique. Les images sur les vêtements servent davantage à afficher une publicité ou un motif ornemental, personnalisé, à la façon d'un tee-shirt imprimé. Mais elles peuvent aussi devenir des outils de communication.
Mais pourquoi s'encombrer de gadgets ou de vêtements dont il faut parfois changer ? Il suffit de se faire greffer des puces sous la peau, alimentées par l'électricité naturelle du corps humain, pour devenir à son tour un logo ambulant. Dans Métrophage, de Richard Kadrey, les nouveaux peinturlurés urbains sont très à la page : « Les traits du garçon étaient d'une pâleur lumineuse, son crâne lisse et chauve. Jonny reconnut sa dégaine : c'était un zombi analytique. […] L'archétype du zombi. Jonny vit toutefois des taches noires sur le crâne et les mains du garçon, aux endroits où les pixels sous-cutanés avaient cramé ou avaient été détruits. Manifestement, cela faisait plusieurs mois qu'il avait négligé tout entretien sérieux. » Ce Zombi s'est donc fait « dermatténuer la peau et pixeliser les couches profondes » pour afficher sur son corps les images de son choix. Et voici ce qui se passe lorsqu'il est blessé lors d'un combat :
Les images envahissent donc le réel, profitant du moindre support. Elles contaminent également l'intimité de l'être, au-delà de la peau. Elles sont imprimées directement sur la rétine. Transmises par le nerf optique, elles permettent déjà à un aveugle de voir a minima ; en SF, celui-ci voit en technicolor. Le mieux est encore de les diffuser directement dans le cerveau : l'idée à présent très répandue des broches à la base du crâne est presque devenue un lieu commun de la science-fiction, en littérature comme au cinéma. Claude Ecken